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2. Comment envisageons-nous de tester le rôle fonctionnel du cortex moteur primaire dans la

2.1. Les traces graphiques : des niveaux de préférences motrices distincts

Durant nos expérimentations, nous utiliserons deux types de formes graphiques : soit des formes graphiques sans signification (ellipses, cercles, trait), soit des lettres. Bien que ces formes soit relativement distinctes, elles nous permettrons de manipuler les préférences motrices des participants afin d’en observer les conséquences sur leur traitement visuel.

2.1.1. Les Ellipses

Outre le fait qu’elles aient déjà été utilisées dans des paradigmes mettant en évidence les interactions perceptivo motrices (Viviani & Stucchi, 1989, 1992), l’utilisation d’ellipses dans une partie de notre étude, a été guidée par le fait qu’elles présentent l’avantage de ne pas être toutes produites avec la même facilité par notre système moteur. Ces formes, qui sont le résultat d’une habileté motrice apprise par tous (l’écriture), semblent présenter des niveaux de préférences motrices bien distincts en fonction de leur excentricité. Essayez de dessiner une ellipse sur une feuille de papier. Vous verrez que vous n'allez pas produire n'importe quelle

excentricité. Recommencez l'expérience sur une autre feuille: vous constaterez que la deuxième ellipse produite ressemblera étrangement à la première: Ces préférences motrices dans la production d’une trace graphique ont été étudiées chez une grande variété de populations allant des enfants de 2 ans (Lurçat, 1974) aux primates (Polyakov, Drori, Ben- Shaul, Abeles, & Flash, 2009; Polyakov, Stark, Drori, Abeles, & Flash, 2009; Reina & Schwartz, 2003; Schwartz, Moran, & Reina, 2004) en passant par l’adulte sain (Sosnik, Hauptmann, Karni, & Flash, 2004; Sosnik, Shemesh, & Abeles, 2007). La mise en relation de ces différentes études révèle que des formes elliptiques semblent être les premières à apparaitre dans notre comportement graphique, et constituent ce que l’on peut nommer des « primitives » du mouvement graphique (comparable à un « alphabet » du geste). Or, il semble que, parmi l’ensemble des formes elliptiques (allant du trait au cercle en passant par des excentricités intermédiaires), toutes ne possèdent pas la même valeur pour notre système moteur. En ce sens, les données tirées des expériences de Lurçat (1974) sont très révélatrices : les traits et les ellipses d’excentricité intermédiaire sont les premières à faire leur apparition sur les dessins des jeunes enfants apprenant à écrire ou dessiner, confirmant ainsi que certaines formes sont plus ancrées dans notre système moteur. Ces différences dans la production de formes se retrouvent également chez l’adulte, qui pourtant a appris à produire des ellipses de différentes excentricités. Ainsi plusieurs études montrent que la production de certaines excentricités, similaires aux « formes primitives » observées chez les enfants sont plus résistantes à l’ajout de contraintes telles que la vitesse (Buchanan, Kelso, & Fuchs, 1996; Dounskaia, Van Gemmert, & Stelmach, 2000; Sallagoity, Athènes, Zanone, & Albaret, 2004) ou à des accidents vasculaires-cérébraux (Dipietro, Krebs, Fasoli, Volpe, & Hogan, 2009; Dipietro et al., 2007). Ces observations ont été interprétées comme reflétant une plus grande stabilité de certains patrons de coordination de notre système moteur. Cette étude des patrons de coordination dans la production de formes graphiques a été systématisée dans une étude d’Athènes et al. (Athènes, Sallagoity, Zanone, & Albaret, 2004) afin d’identifier les

au cours d’un cycle oscillatoire. En manipulant ce seul paramètre, nous pouvons décrire un éventail de formes elliptiques d’excentricité différente allant du trait au cercle (Figure 15).

Figure 15: Exemple de formes obtenues grâce à la manipulation de la PR (entre 0 et 180°) ainsi que leur valeur d’excentricité correspondante.

L’étude menée par Athènes et collaborateurs s’est attachée à vérifier si l’ensemble de ces formes sont produites avec la même stabilité par le système moteur. Les auteurs ont donc demandé à chaque participant de reproduire les différentes formes présentées (Traits, Ellipses et Cercle) sur une tablette graphique. La phase relative produite a été calculée et comparée à la phase relative requise dans le but d’obtenir des informations sur la précision et la stabilité du mouvement produit. Les résultats révèlent que toutes les formes ne sont pas produites avec la même précision et la même stabilité. En effet, les auteurs repèrent ce qu’ils nomment des patrons de coordinations préférentiels, c'est-à-dire des formes qui sont produites avec une précision et une stabilité importante (faible variabilité). Ainsi, il semble que les formes décrites par des phases relatives de 0°, 45°, 120-135° et 180° sont mieux reproduites que l’ensemble des autres formes.

2.1.2. Les Lettres

L’utilisation de lettres dans l’autre partie de ce travail a, quant à elle, été guidée par le fait que les différentes étapes de traitement visuel de formes telles que des ellipses n’est pour le moment pas encore bien documenté, alors que ces processus ont été beaucoup plus étudiés dans le cas des lettres (Grainger & Holcomb, 2009; Grainger, Rey, & Dufau, 2008; Holcomb & Grainger, 2006; Madec, Rey, Dufau, Klein, & Grainger, 2012; Massol, Grainger, Dufau, & Holcomb, 2010; Petit, Midgley, Holcomb, & Grainger, 2006; Rey, Dufau, Massol, & Grainger, 2009). L'idée principale de ces études est que le traitement visuel des lettres repose sur une activation séquentielle de représentations de taille et de complexité croissantes. Une des études qui a mis en évidence cette hiérarchisation utilisait à la fois des lettres et des

pseudo-lettres partageant les mêmes caractéristiques physiques (Rey et al., 2009). Alors que les participants devaient observer visuellement les lettres qui leur étaient présentées, les auteurs mesuraient grâce à l’EEG, les variations de potentiels électriques qu’elles évoquaient sur le scalp de l’observateur. Ils constatent qu’aucune différence n’apparaît avant un délai de 130 ms après la présentation de la lettre. Cette absence de différence est interprétée comme reflétant les processus d’analyse des traits constitutifs des caractères. Ces derniers ne diffèrent pas puisque les lettres et les pseudo-lettres étant composées des mêmes caractéristiques physiques. Après 130 ms, l’apparition de différences dans la réponse évoquée par les lettres et les pseudo-lettres a été interprétée comme reflétant les processus d’identification abstraite de l’identité de la lettre (autour de 170 ms). De plus, grâce à la quantité de polices et de styles existants, les lettres nous permettent, au même titre que les ellipses, de manipuler les préférences motrices des participants. Ces préférences sont directement corrélées avec les indices qu’elles portent en elles, sur le mouvement nécessaire à les produire. Dans ce cadre, deux types de lettres ont particulièrement été comparées : les lettres manuscrites et les lettres d’imprimerie. Cependant, une critique importante que nous pouvons faire aux études visant à comparer le traitement visuel de lettres manuscrites à celui de leurs homologues d’imprimerie est la suivante : en plus des informations motrices contenues dans la lettre, les lettres manuscrites sont visuellement beaucoup moins familières que leurs homologues d’imprimerie.

L’ajout d’une autre catégorie de lettres nous permettrait de manipuler plus surement et de manière indépendante la familiarité visuelle des lettres et ce que nous appellerons la familiarité motrice. Aux deux types de lettres traditionnellement utilisées, nous ajouterons donc une catégorie : les lettres manuscrites par soi. Ces lettres présentent la particularité d’être visuellement plus familières que les lettres écrites par un autre scripteur et sans doute tout aussi familières que les lettres d’imprimerie. Il a également été démontré (Knoblich & Prinz, 2001; Knoblich et al., 2002) que lorsqu’un observateur voit son propre mouvement d’écriture

Tableau 1 : Tableau récapitulatif présentant les niveaux de Familiarité Motrice et Visuelle estimés pour les 3 Types de lettres (manuscrite par soi, manuscrite par autrui et d’imprimerie).

Soi Autrui Imprimerie

Familiarité Visuelle Forte Faible Forte

Familiarité Motrice Forte Moyenne Faible