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l’opinion et désintérêt du résultat

1. Sur les traces du forum : la rubrique qui décrédibilise la parole du lecteur

« Votez, réagissez, commentez sur le site !» Une fois orienté sur la page des « Questions du jour » l’internaute est invité dans un premier temps à voter pour répondre à l’interrogation de la journée et dans un second temps à commenter son vote ou le sujet d’actualité sur lequel porte la question. En effet, les médias associent au dispositif permettant de voter un espace dédié aux commentaires. L’ouverture d’un espace réservé aux discussions autour du débat proposé dans la journée n’est pas sans rappeler le principe des forums de discussions apparus sur les sites internet des journaux dans la fin des années 90 et au début des années 2000. En s’y attardant quelque peu, de nombreuses similitudes apparaissent entre les espaces de discussion entre votants associés aux « Questions du jour » et les forums de lecteurs.

Dans un premier temps, tous deux sont soumis à une obligation de modération, qui sans être une obligation légale relève de la responsabilité des éditeurs. Parmi les

messages systématiquement supprimés figurent les messages publicitaires, pédophiles, incitant à la haine raciale, niant les crimes contre l’humanité, appelant au meurtre, les messages proxénètes, les insultes, les propos grossiers, irrévérencieux, les messages diffamants ou incitant à la consommation de drogues, d’alcool ou le piratage. Les modérateurs sont donc chargés de la bonne tenue des discussions, ils encouragent le débat d’idées tout en rejetant tout commentaire blessant ou offensant. Si certaines rédactions s’en chargent elles-mêmes, d’autres préfèrent déléguer cette fonction à des sociétés chargées de la modération. RMC fait des entreprises médiatiques reléguant la modération des commentaires de son public à un prestataire extérieur. Les commentaires laissés sur le site internet n’apparaissent donc à l’écran qu’une fois approuvés par le modérateur.

La seconde similitude entre ces commentaires et ceux des forums de discussion réside dans le fait qu’une inscription soit nécessaire pour pouvoir réagir. L’inscription consiste en l’enregistrement du nom et de l’adresse mail de la personne intéressée ainsi que d’un mot de passe. Ivan Valerio explique cette obligation d’inscription comme une obligation légale sensée dissuader l’ajout de commentaires déplacés et facilitant les procédures judiciaires en cas de poursuites pénales : « maintenant, on ne peut plus laisser de commentaire sans inscription. On pouvait le faire il y a quelques années mais maintenant il faut obligatoirement créer un compte parce que si on a un problème juridique, c’est-à-dire que si quelqu’un fait de la diffamation, des insultes racistes ou xénophobes il faut pouvoir le retracer, et pour ça on doit créer un système d’espace membre »98.

 Vers une décrédibilisassion de la parole du public ?

Sophie Falguères, dans sa thèse portant sur les forums de discussions de trois sites de presse99, réalisée entre 2003 et 2006, relève un désintérêt de la part des journalistes pour les commentaires laissés par leurs lecteurs. Dans un premier temps, elle reproche aux journalistes de ne pas prendre la peine de relire les commentaires postés sur leurs forums, ce qu’elle interprète comme une marque de profond désintérêt : « Le

98 Cf. entretien avec Ivan Valerio. Annexe 2 pp.144-151.

99 FALGUERES Sophie, Presse quotidienne nationale et interactivité : trois journaux face à leurs publics. Analyse des

fait d’avoir confié la gestion des forums à une société privée ne laisse que peu de doute quant au désintérêt que portent les membres du Figaro à leurs forums de discussions »100. Si le rédacteur en chef du site web de RMC a admis déléguer la modération à une entreprise extérieure, en revanche nous ne disposons pas d’informations sur la pratique des autres médias. Cependant, il est aisé de supposer qu’il en est de même pour de nombreux médias pour qui la modération passe pour une perte de temps sur le travail rédactionnel. Dans une rédaction telle que Francetv Info, la modération est, elle, complètement indépendante des équipes de journalistes travaillant sur le site internet. Des services internes à l’entreprise mais extérieurs à la rédaction sont en charge de cette tâche. D’une manière générale, il est donc possible de remarquer une certaine distance entre les commentaires des lecteurs et les membres des rédactions en charge des « Questions du jour ». La modération et l’analyse des commentaires n’entrent pas dans leurs missions journalistiques.

D’autre part, les réserves émises par les journalistes quant à la représentativité et à la qualité des messages publiés laissent perplexe au sujet de l’intérêt des rédactions pour les commentaires laissés par leurs lecteurs. Déjà en 1984, lorsque les réactions des lecteurs ne parvenaient aux journalistes que par le biais du courrier, Rémy Rieffel écrivait : « le jugement des journalistes à l’égard du courrier est [...] globalement négatif. Leurs appréciations sont dures et impitoyables : aucun qualificatif ne trouve grâce à leurs yeux pour désigner leurs correspondants. Ils en distinguent trois catégories : les psychopathes : ‘‘ ce sont des fous, des débiles ...’’, les oisifs : ‘‘ce sont les personnes âgées qui ne savent pas quoi faire de leurs dix doigts qui nous écrivent’’ et les corporatistes : ‘‘lorsqu’ils s’aperçoivent qu’on les a grugés, alors là ils écrivent et s’en prennent à nous »101. Alors que les interventions des lecteurs sont

maintenant numériques, l’opinion des journalistes à leur égard ne semble guère avoir changé. Chez RMC, Ivan Valerio relève lui aussi le peu de valeurs que recèlent les commentaires laissés sur le site : « On va pas se mentir, très souvent ça a une valeur ajoutée extrêmement faible. Les gens se lâchent, en plus ils sont anonymes. Donc c’est hyper libre et souvent hyper n’importe quoi »102. Sophie Falguères insiste sur le

100 FALGUERES Sophie, Presse quotidienne nationale et interactivité : trois journaux face à leurs publics. Analyse des

forums de discussion du Monde, de Libération et du Figaro . Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, p240.

101 RIEFFEL Rémy, L’élite des journalistes. Les hérauts de l’information , PUF, collection « Sociologie d’aujourd’hui »,

Paris, 1984.

fait que de tels jugements de valeur décrédibilisent la parole des lecteurs tout en atténuant « la portée de leurs commentaires et l’intérêt des espaces de rétroactions qui leur sont destinés »103.