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Total s’approprie les codes d’un cinéma militant engagé en faveur de l’environnement et de l’humanité

Il n’est pas question ici d’affirmer que le groupe Total a plagié ou s’est directement inspiré du film « Human » pour sa campagne « Committed to better energy ». Cela serait impossible d’un point de vue chronologique, ce film ayant été diffusé en 2015. Postuler l’idée que le groupe a construit son discours marchand en se saisissant des références culturelles écologiques et sociales présentes dans les discours militants 153 Cf. annexe 9, capture n°5 154 Cf. annexe 9, capture n°1, 2, 3, 8, 9 et 10. 155 Cf. annexe 9, capture n°9 156 Cf. annexe 9, capture n°10 157 Cf. annexe 9, capture n°3

semble plus approprié. En effet, le film « Human » utilise des codes et des références que l’on retrouvait et que l’on retrouve encore dans le cinéma engagé et dans les discours militants audiovisuels en général. Yann Arthus-Bertrand n’est pas le premier à s’engager en faveur de l’avenir de l’humanité et de la planète et son œuvre cinématographique ne bouleverse pas les codes déjà établis dans ce genre de cinéma. Au contraire, il convoque des références et des procédés de montage et d’esthétique plutôt traditionnels, notamment dans les films documentaires.

Total, dans son film promotionnel, convoque les mêmes références culturelles que les documentaires écologiques ou le cinéma engagé comme nous l’avons vu précédemment. Il est important de souligner que le réalisateur de ce film n’est autre que Samir Mallal, réalisateur et scénariste connu pour certains de ses documentaires dont Bombay Calling en 2009. On lui reconnaît une esthétique visuelle tournée vers le naturalisme et l’émotion158. Ce réalisateur maîtrise donc les codes

cinématographiques et documentaires. Les paysages montrés subliment la nature dans toute sa diversité (en allant du désert aux étendues enneigées, en passant par les fonds marins159) et sont souvent des vues d’hélicoptère, permettant de montrer au mieux la

grandeur de la nature et de ses étendues. A travers cette monstration de la beauté sublimée de l’écosystème, on peut supposer que la marque s’engage en faveur de la préservation de ces paysages et de la nature. Et c’est exactement le discours qu’elle propose. « Une énergie plus propre » pour préserver ces espaces naturels. De même, le film est organisé sur la base d’un discours unique, celui de la marque mais prononcé par une pluralité de personnes travaillant au sein de l’entreprise à des postes divers et variés. Comme dans le film « Human », cette diversité est symbolisée par la présence d’hommes et de femmes d’origine, de couleur de peau, de fonction et d’âge différents, qui se passent la parole et partagent une même vérité, celle du discours de la marque : « Total, committed to better energy ». Ce discours gagne d’avantage en crédibilité et en autorité lorsqu’il est partagé par des humanités plurielles et différentes. Cela lui confère un caractère universel. La diversité de ces acteurs est également l’occasion pour Total de présenter l’ensemble de ces domaines d’expertise. D’autre part, on retrouve le même procédé de montage habituellement employé dans des productions audiovisuelles militantes et qui permet ici de dénoncer un contraste

entre les sociétés développées et celles qui ne le sont pas. Le film de Total fait se succéder des plans montrant des sociétés équipées de métros et de trains160, et des

plans présentant des sociétés plus restreintes en énergie, comme par exemple celui d’une jeune étudiante africaine s’éclairant à l’aide d’une ampoule rudimentaire pour travailler161. Certains plans sont d’ailleurs stéréotypés, au sens entendu par Stéphanie Kunert – synonyme de « cliché » et « lieu commun »162. A travers ce montage, le groupe semble dénoncer les inégalités en présence dans le monde, à l’instar du film « Human », et notamment les excès des sociétés qui ne laissent plus de place à la nature. Cependant, on remarque que dans tous les plans présentant des « scènes de vie », une source d’énergie est présente et salvatrice pour les activités exercées par les personnes. A travers la diversité des sociétés et des humanités présentées dans le film, la marque Total se présente donc comme l’entreprise qui aide et participe au confort et à la vie de l’humanité en lui délivrant l’Energie. User des codes du cinéma engagé et militant est un moyen intéressant pour Total de se voir attribué, par le simple usage de ces codes, une intention communicationnelle particulière en portant un regard humain et sensible. Cette orientation discursive vise à toucher un large public, sensible aux discours militants pour la cause environnementale, et permet de valoriser la marque à travers le monde.

La campagne institutionnelle mise en place par le groupe Total et dévoilée le 4 octobre 2014 témoigne donc d’une volonté du groupe de réajuster et/ou reforger son image auprès d’un public international. On peut y voir un lien avec le contexte de la COP 21, qui encourage les sociétés à placer la question environnementale au centre de leurs préoccupations. A l’issue d’une analyse sémiologique sous le prisme de la performativité, ce film est indéniablement une performance appréciable. Le fait que l’entreprise se saisisse des codes des discours militants et que les références culturelles de l’écologie viennent innerver son discours marchand témoigne de l’importance de la question climatique dans nos sociétés. Un tel procédé doit également permettre à la marque Total de séduire et de susciter l’adhésion en formant autour d’elle une communauté de croyants élargie. Les consommateurs étant de plus

159 Cf. annexe 6, images 15, 17 et 34 160 Cf. annexe 6, images 5 et 6 161 Cf. annexe 6, image 53 et 54

en plus concernés par les questions environnementales, repérer dans un film de campagne les codes traditionnels des discours militants et des références écologiques qu’ils ont l’habitude de voir dans des productions cinématographique engagées et qu’ils apprécient leur permettra d’associer la marque Total à cet engagement et d’adhérer à la proposition que lui fait un discours marchand. Cependant, cette stratégie communicationnelle, aussi bien pensée et efficace soit-elle, n’est pas infaillible et ne peut garantir à la marque de remporter l’adhésion de tous. En effet, certains acteurs dénoncent cette communication mise en place par le groupe, et le paradoxe qu’une entreprise polluante monopolise le débat public autour de la question climatique concernant l’ensemble de la société civile.

IV) Les différents formats de la contestation et de la

dénonciation

« Veille, pour flatter le peuple, à rendre compte de tes actes, mais seulement après coup, afin que personne ne se mêle de contester tes décisions.»

Jules Mazarin, 1602-1661.

A la lumière de la précédente analyse, il est apparu que la communication du groupe Total entend valoriser l’image de la marque, en lui prêtant un engagement en faveur de l’environnement, en la présentant comme une entreprise garante du patrimoine de l’humanité et de ses intérêts. L’entreprise s’est saisie des codes rhétoriques et esthétiques des discours militants dans sa communication. Cet apport discursif et symbolique a permis de renforcer l’efficacité performative de son discours marchand, suscitant une forte propension chez un public non averti – c’est-à-dire ne s’étant pas renseigné préalablement sur les activités du groupe, son histoire, et certaines de ses activités restées dans l’ombre – à adhérer à la proposition faite par le groupe et à s’investir dans l’objet de croyance qu’il lui propose. Cependant, il demeure des groupes de « non croyants » qui mettent en place diverses formes de dénonciation et de contestations, à travers des discours et des actions. S’intéresser à ces groupes et à leurs discours revient à proposer une analyse des différents acteurs et formats de la dénonciation et/ou de la contestation ?

1. Le discours universitaire de Jean-Baptiste Comby, quand la recherche dénonce

Jean-Baptiste Comby est sociologue, chercheur au Centre d’Analyse et de Recherche Interdisciplinaire sur les Médias (CARISM) ainsi qu’au Centre Nantais de Sociologie (CENS) et maître de conférences à l’Institut Français de Presse de l’Université Paris 2. Spécialiste de la question climatique et de son traitement médiatique, il a récemment publié un ouvrage qui est le fruit de son travail doctoral, intitulé La

Raisons d’agir. La date de publication de ce travail n’est pas anodine : le 8 octobre 2015, soit un mois et demi avant l’ouverture de la COP 21 à Paris, dans un environnement médiatique marqué par les préoccupations environnementales et les enjeux de cette conférence internationale. Cette chronologie confère une visibilité, mais également un impact accru, à un travail qui s’érige en dénonciation du traitement médiatique réservé à la question climatique en tant que problème public.