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4.1 Etat de l’art

4.1.4 Toral et Way

Toral et Way, dans leur article de 2014, soutiennent que l’applicabilité de la traduction automatique statistique à un certain type de texte peut être étudiée en analysant deux propriétés des données : le degré de liberté de la traduction (si une traduction est littérale ou non) et la largeur du domaine (général ou spécifique). Ils indiquent que la TAS est encore plus applicable si le domaine est limité et le degré de liberté est réduit, et c’est pour cela que cette dernière donne de meilleurs résultats pour les textes techniques que pour les articles de journaux, plus imprévisibles et touchant plus de domaines (Toral et Way, 2014, p. 175).

Dans une étude successive (2015a), les mêmes auteurs explorent plus en profondeur cette idée d’applicabilité de la TAS à des textes littéraires, toujours en tenant compte du degré de liberté de la traduction et de la largeur du domaine. Selon Toral et Way, la TA a fait beaucoup de progrès depuis l’apparition des approches statistiques et est maintenant adoptée dans l’industrie au moins dans les domaines techniques : ils ont donc choisi d’explorer l’applicabilité de la TA à des textes littéraires, qui peuvent être considérés comme le dernier bastion de la traduction humaine (Toral et Way, 2015a, p. 123).

Dans cette étude, les deux auteurs comparent le degré de liberté de la traduction et la largeur du domaine de corpus parallèles pour la littérature à ces mêmes propriétés pour des documents techniques et des articles de journaux. Leur idée est que les textes littéraires appartiennent à un domaine restreint, comme les textes techniques, mais que le vocabulaire est plus riche que celui de ces derniers. Les articles de journaux couvrent plus de domaines et leur langage est moins complexe, ce qui les rend moins prévisibles (Toral et Way, 2015a, pp. 125-126).

Ils entraînent donc un système de TA statistique pour traduire un roman de l’espagnol vers le catalan, et la traduction est évaluée soit automatiquement soit manuellement. Les résultats de l’évaluation permettent à Toral et Way de conclure que la TA peut être utile pour traduire des romans entre deux langues très proches (comme le sont l’espagnol et le catalan), et indiquent même que le 60 % des traductions automatiques est considéré comme étant de qualité égale ou supérieure (Toral et Way, 2015a, pp. 130-131).

Toral et Way publient une deuxième étude en 2015 « Machine-assisted translation of literary texts: a case study », en considérant soit les limites soit les avantages de la traduction automatique au profit de la traduction de textes littéraires. En effet, malgré le fait que,

souvent, des personnes pas trop passionnées par la TA proposent des textes littéraires pour illustrer l’inutilité (dans n’importe quel domaine) de la traduction automatique, les deux auteurs affirment que la TA a le potentiel d’être utile pour la traduction littéraire et que « the perceived wisdom that [machine translation] has no hope whatsoever of helping human translators create translations of novels should not be accepted at face value » (Toral et Way, 2015b, p. 241).

Les auteurs poursuivent leur article en écrivant, et en le répétant plusieurs fois, que les traducteurs littéraires sont payés extrêmement peu pour leur travail. Si l’on arrive à prouver que la TA peut aider dans ce domaine, il serait possible pour ces traducteurs d’être plus productifs et donc de gagner davantage. Successivement, ils reproduisent une citation de Kelly et Zetzsche : « the person who translates the bestselling literary masterpieces would probably earn more working on a factory assembly line » (Toral et Way, 2015b, p. 247). Une autre citation que Toral et Way proposent est celle de Martin de Haan, président du Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires, qui est également assez frappante :

« most literary translators are on the verge of poverty » (Toral et Way. 2015b, p. 248).

Les motivations principales qui ont poussé les auteurs à faire cette recherche sont doubles : selon eux, en effet, les progrès de la recherche dans le domaine de la TA et l’apparition de l’ebook permettent de construire et entraîner des systèmes de TA statistiques (Toral et Way, 2015b, p. 240). Cependant, alors qu’il est prouvé que la TA (avec ou sans post-édition) est utile dans certains domaines, comme par exemple les recherches multilingues, les recherches de marché ou encore la traduction de contrats, le but de ces études était de reproduire le sens des documents originaux. L’objectif essentiel de la traduction littéraire, par contre, est de préserver l’expérience de lecture (Toral et Way, 2015b, p. 242).

Du point de vue de la société, une application positive de la TA à des textes littéraires favoriserait des échanges littéraires à travers les différentes communautés linguistiques et culturelles, spécialement pour les minorités linguistiques, qui ont eu un accès limité à des traductions (Toral et Way, 2015b, p. 243). Du point de vue monétaire, l’ebook a permis de réduire les coûts de distribution et impression, et les coûts qui restent sont les droits de publication et les coûts de la traduction. L’utilisation de la TA pourrait réduire ces coûts et les éditeurs pourraient faire traduire plus d’œuvres : de cette manière, les lecteurs auraient accès à plus de livres traduits dans leurs langues maternelles respectives et les auteurs pourraient toucher plus de lecteurs (Toral et Way, 2015b, p. 247).

Toral et Way poursuivent l’article en fournissant une analyse du développement de la TAS au fil des années, développement qui pour les années 2007 à 2012 a été mesuré par Graham et al.

(2014), avec sept paires de langues et sur des communiqués. En voulant établir si ce progrès est valable également pour les textes littéraires, les deux auteurs proposent deux traductions du même passage de L’Etranger de Camus produites par Google Translate en 2013 et en 2015. Un exemple d’amélioration de la TA pendant cette période est donné avec la phrase suivante : à la limite de la nuit. En 2013, la phrase avait été traduite par the limit of the night.

En 2015, on the edge of the night (Toral et Way, 2015b, pp. 250-252).

Comme ces travaux se sont concentrés surtout sur l’anglais comme langue cible, les deux auteurs veulent vérifier si entre deux langues proches la TA peut être utile : en effet, ils fondent leur hypothèse sur le principe qu’entre des langues de la même famille le nombre de traductions potentielles devrait être plus bas. Ils se focalisent sur le même passage de L’Etranger, en le traduisant en italien (Toral et Way, 2015b, p. 252).

En ce qui concerne l’analyse quantitative, Toral et Way considèrent tout le roman, avec les traductions en anglais et en italien. Ils comparent les scores BLEU et TER obtenus par Google Translate en prenant comme référence les traductions officielles publiées. Bien que l’italien et le français soient deux langues très proches, les scores sont meilleurs pour une des deux références anglaises. Cela est dû principalement à trois facteurs : l’italien a une morphologie plus complexe que l’anglais ; une des deux références en anglais utilise un langage plus simple par rapport à l’italien ; et aussi le modèle du langage de Google Translate est meilleur pour l’anglais que pour l’italien, car les données monolingues disponibles en lignes en anglais sont beaucoup plus nombreuses. Les auteurs concluent en affirmant que le type de traduction que l’on veut produire est un facteur très important à considérer, encore plus que le degré de parenté entre les langues (Toral et Way, 2015b, pp. 254-255).

Dans la conclusion de leur travail, Toral et Way indiquent, en ce qui concerne les options de traduction, que l’un des problèmes principaux liés à la traduction automatique est qu’il n’y a pas une traduction de référence unique : en effet, les traductions professionnelles d’une œuvre sont très différentes entre elles. Ils signalent également que les traductions entre langues proches semblent plus simples à post-éditer, et proposent ensuite deux possibles méthodes pour améliorer la TA d’œuvres littéraires : il faudrait adapter les systèmes de traduction automatique à différents aspects des romans (tels que les descriptions, les dialogues, etc.), ou trouver un workflow de traduction automatique qui soit plus adapté à la littérature. En effet,

les textes littéraires ne sont pas traduits de la même façon que les documents techniques, ce qui veut dire que les workflows employés dans ces domaines ne sont pas compatibles avec la traduction littéraire. Ce que Toral et Way suggèrent est de repérer des alternatives, comme la TA interactive, qui propose au traducteur des options de traduction : ces alternatives conviendraient peut-être mieux à cette branche de la traduction (Toral et Way, 2015b, pp.

263-264).

4.2 Conclusion

Etant donné le nombre réduit d’études sur l’applicabilité de la TA à la traduction littéraire, et qu’aucune de celles-ci comporte l’utilisation d’un système neuronal, nous avons voulu tester de notre côté, dans le but d’évaluer si la post-édition d’un système de TA neuronale (en l’occurrence, Google Translate) pourrait rivaliser avec une traduction humaine.

5 La méthodologie