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TIC, travail en temps réel et cadences machiniques

Chapitre 4. TIC, intensité et intensification du travail

1. TIC, travail en temps réel et cadences machiniques

TIC et conditions de travail. Les enseignements de l’enquête COI

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internes à satisfaire immédiatement sont plus fortes notamment pour les outils orientés vers des pro- cessus internes comme les Intranet ou les réseaux locaux, le travail collaboratif ou la modélisation des processus (tableaux IV.a et b). Les TIC viennent ainsi équiper mais aussi renforcer les interac- tions productives internes à l’entreprise. Cependant, l’immédiateté des réponses à apporter ne con- cerne pas les demandes externes qui sont même moindres dans les entreprises ayant mis en place des outils de traçabilité (RFID) permettant par exemple au client de suivre lui-même le processus ou le produit qui le concerne. L’interactivité liée aux TIC vise donc principalement à satisfaire les de- mandes internes à l’entreprise. Mais ces demandes immédiates, internes ou externes, se concentrent fortement sur les utilisateurs de TIC avancées (Internet, courriel intensif, tâches en ligne). Tout se passe comme si ces salariés jouaient un rôle pivot dans l’articulation des demandes internes et ex- ternes, en y répondant ou en les relayant en temps réel, internalisant ainsi une partie des demandes externes. Ce résultat peut être recoupé par l’enquête Conditions de travail de 2005 (Moatty et Rouard, 2010) montrant par exemple que les salariés qui sont de forts lecteurs pour le travail (dont les neuf dixièmes sont des utilisateurs de l’informatique) sont plus souvent, soumis à l’obligation de répondre immédiatement à des demandes extérieures (61 %) que les non lecteurs (38 %). De même, la présence de certaines technologies (ERP, Intranet/Lan, travail collaboratif, RFID) dans l’entreprisee ou leur utilisation par les salariés pour des usages connectés, favorise une dépendance immédiate vis-à-vis des collègues. La technologie semble ainsi jouer un rôle propre d’outil de communication équipant des interdépendances productives se déroulant en temps réel au sein des collectifs de travail.

Si les TIC sont associées à une pression à l’immédiateté orientée vers les demandes internes pou- vant dériver vers le risque du travail en urgence, ils ont peu d’influence sur les rythmes de travail lorsque des délais sont prévus, qu’il s’agisse de délais relativement courts, une heure au plus, ou de délais plus longs, une journée ou plus. Cependant, lorsque les outils TIC équipent la relation avec l’extérieur, comme dans le cas de l’Extranet ou de l’EDI, ils peuvent s’associer à des délais de l’ordre de la journée pour répondre dans des temps calibrés aux demandes des clients ou des four- nisseurs. Du côté des usages des salariés, si les utilisateurs intensifs du courriel sont, nous venons de le voir, soumis à des contraintes d’immédiateté, ils sont en revanche moins concernés par des délais courts de l’ordre de l’heure. L’immédiateté est sans doute à interpréter dans leur cas comme une norme usuelle de rapidité de la réponse dénuée d’un caractère fortement contraignant.

Les pointes d’activité constituent une contrainte qui s’associe dans certains cas avec l’équipement TIC des entreprises. C’est le cas pour les entreprises équipées d’outils de traçabilité, ce qui renvoie sans doute plus à la variabilité du marché de ces entreprises qu’à une variabilité induite par la tech- nique elle-même. De même, les pointes d’activité associées aux outils de travail collaboratif corres- pondent plutôt à des modes d’organisation du travail caractérisés par des moments de surcharge. Du côté des salariés, les pointes d’activité concernent à la fois les utilisateurs d’une informatique no- made et ceux qui ne sont pas connectés. Plutôt que d’être la cause des pointes d’activité, ces techno- logies spécifiques viennent sans doute ici plus équiper des entreprises ou des salariés déjà concernés par des variations de l’activité.

La perception, ou l’imputation, par les salariés, d’un rôle des TIC sur l’intensité du travail peut en- fin être liée à l’imposition de rythmes en raison de cadences liées à des process industriels. En effet, dans les entreprises ayant adopté une technologie TIC, les salariés déclarent plus souvent que leur rythme de travail est imposé par des cadences machiniques, tout particulièrement lorsque l’entreprise dispose d’un ERP ou d’outils de traçabilité. Ces résultats renvoient à la perception d’une dépendance à l’outil informatique mais aussi au fait que l’équipement informatique s’associe à d’autres équipements de l’entreprise, tant dans des contextes tertiaires qu’industriels. La technolo- gie semble constituer un relais de transmission de cadences liées à d’autres équipements. C’est en particulier le cas pour les salariés utilisant des outils peu ou pas connectés qui sont fortement con- cernés par les cadences machiniques. Par contre, les utilisateurs de TIC avancées sont dans la situa- tion inverse. Ayant le plus souvent une activité tertiaire, dans l’industrie ou dans les services, leurs

rythmes de travail est, nous l’avons vu, surtout lié à la temporalité des réponses à apporter aux de- mandes internes et externes.

Le bilan de l’effet des TIC sur les rythmes de travail est donc complexe. Si les TIC s’associent avec des normes d’immédiateté des réponses à apporter, elles ne modifient guère les délais lorsqu’ils existent. Si elles peuvent servir de relais à une augmentation quantitative des contraintes indus- trielles, les TIC n’en sont pas pour autant la cause première. Au total, l’équipement TIC des entre- prises s’associe à de fortes « contraintes industrielles » plutôt qu’à des « contraintes de flexibilité marchande » liées à des demandes externes ou à des pointes d’activité, souvent liées à la demande. Tout se passe comme si les contraintes marchandes étaient pour partie internalisées à travers l’informatisation. Les TIC ne correspondent donc pas globalement à une intensification du travail cumulant les deux types de contraintes industrielles et marchandes qui toucherait de manière uni- forme l’ensemble des salariés. Mais les utilisateurs de TIC avancées sont particulièrement exposés à l’intensification du travail et semblent en première ligne face aux demandes internes et externes, même s’ils sont moins assujettis aux cadences machiniques. Les utilisateurs peu ou pas connectés sont exposés d’une façon différente : ils sont particulièrement soumis aux cadences machiniques et doivent faire face à des pointes d’activité.

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