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Mardi 23 juin 2020

M. Thierry Lebeau. – Les relations avec les ARS ont été très constructives

Cependant, les personnels croulent sous les dossiers extrêmement complexes qui nécessiteraient un temps long d’expertise. Ils sont donc contraints de traiter rapidement certains dossiers. Par ailleurs, la problématique des sols est assez récente. Cette formation est très peu valorisée à l’université. Il s’agit du parent pauvre de la géologie. En biologie, le sol est le support du développement des plantes. La partie noble pour un biologiste sera donc la plante et non le sol. Je confirme que les jeunes sont très friands de formations intégratives. Le sol est parfaitement adapté à cette approche intégrative des écosystèmes superficiels.

M. Frédéric Ogé. – Il y a trente ans, on qualifiait le sol d’inconnu maltraité.

Actuellement, le sol n’est plus un inconnu et nous allons commencer à le traiter correctement.

Toutes les interrogations de Mme Jourda portent sur la mise en place du lien de causalité.

Certaines questions non exprimées portent sur la recherche de responsabilités au civil et au pénal. Il sera difficile de prouver ce lien de causalité qui impliquerait des poursuites pénales.

On a évoqué, à une époque, la possibilité de déposer une plainte pour crime d’empoisonnement ou de délit d’atteinte à l’environnement. Ce questionnement explique probablement le silence relatif sur ce problème pendant une vingtaine d’années.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. – Il n’existe pas de loi sur la pollution des sols. Il faudrait donc mieux encadrer ce secteur. Les inondations meurtrières dans notre département ont ravivé certaines pollutions des sols. Ne pourrait-on pas imaginer un plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) à l’échelle départementale pour réagir plus rapidement et éviter que la problématique ne soit portée par les populations et les associations. Il existe un vide en matière d’accompagnement de l’État. L’échelle régionale est pertinente mais en cas de danger imminent, la réactivité n’est pas au rendez-vous. La commission d’enquête sur l’incendie de Lubrizol a rendu ses conclusions récemment.

Concernant l’incendie de Notre-Dame de Paris, le système de prévention de la contamination

au plomb en milieu scolaire a été mis en place à la suite des pressions exercées. On n’assiste donc pas les populations et les maires qui sont confrontés à des difficultés.

M. Frédéric Ogé. – Nous avons réfléchi à ces problèmes avec le professeur Guermond de l’Université de Rouen dès 1995. Nous avons développé un système d’information géographique qui couvrait Grand-Quevilly, Petit-Quevilly et la Rive Gauche de la Seine. Nous avons déjà proposé l’utilisation de ce système. Cependant, des systèmes d’information géographique (SIG) n’ont été mis en place que vingt plus tard. Il y a 25 ans, nous avons publié des études qui faisaient le lien avec les plans d’occupation des sols (POS) devenus plans locaux d’urbanismes (PLU) et tiraient la sonnette d’alarme auprès des écoles d’ingénieurs. Par ailleurs, la résurgence des pollutions avec le changement climatique concerne également le Nord-Pas-de-Calais car les aquifères sont des nappes relativement proches. En période de sécheresse, des problèmes surviennent. Des pompages devront donc être effectués. Cependant, ce type de problème doit être résolu par le législateur.

M. Alain Duran. – La convention citoyenne pour le climat a proposé de soumettre au référendum la création du crime d’écocide en cas d’atteinte grave et irréversible à l’environnement. Compte tenu des liens complexes entre toxicité et santé et des interrogations qui demeurent en la matière, pourriez-vous nous faire de votre ressenti sur le sujet ?

M. Frédéric Ogé. – Une thèse soutenue en 2017 à Paris-13 pose le problème du rapport à la justice environnementale. Elle montre que la majeure partie des populations concernées n’a pas les moyens d’accéder à cette justice environnementale. Il est possible de réfléchir à cette notion d’écocide pour les sols en utilisant le référentiel géochimique antérieur comme base de négociation afin d’aller le plus loin possible tout en tenant compte des impératifs économiques. Nous devons, en effet, penser aux générations futures. La problématique des sols implique donc une réflexion sur notre société.

M. Thierry Lebeau. – Je souscris entièrement à cette position. Lorsqu’on réalise un diagnostic de sol, on tente toujours de trouver le point « référence » qui n’aurait pas été sujet à l’impact de l’activité humaine. C’est un objet de discussion important. Certains rapports de bureaux d’étude à Lille s’appuient ainsi sur les fonds pédogéochimiques à 200 mètres pour le plomb, ce qui conduirait à considérer que tous les sols sont pollués. Cette approche différente pose question sur l’équité environnementale des citoyens en fonction de leur région. À Nantes, le fonds pédogéochimique en plomb est à 60 mètres. À Lille, il serait inférieur à 200 mètres pour des terres agricoles peu exposées aux impacts de l’activité industrielle.

La définition de l’écocide doit être plus large concernant les sols. En quoi une activité humaine modifie, de façon irréversible, les fonctions du sol ? Les fonctions écosystémiques qui sont très anthropocentrées (fertilité du sol pour les besoins alimentaires) sont-elles les seules concernées ? Nous avons des connaissances très avancées sur l’évaluation des fonctions d’un sol (réserve de biodiversité, usage alimentaire…).

M. Frédéric Ogé. – Il y a une vingtaine d’années, 60 000 à 70 000 hectares de terres par an devenaient des parkings ou des routes alors qu’elles pouvaient être cultivées ou affectées à d’autres usages. On ne peut plus continuer ainsi à long terme. Il faut donc réoccuper de façon intelligente ces terrains définis comme des friches industrielles, commerciales ou des zones minières. La notion d’écocide ne peut être employée. En revanche, une réflexion importante peut être lancée sur la notion d’atteinte au sol en la reliant

à l’atteinte à l’environnement. L’espèce humaine doit également être au centre de cette réflexion. Une réflexion est à conduire pour définir des seuils qui évolueront en fonction des avancées scientifiques et de la pression sociale. Certaines régions subissent une déshérence industrielle. Elles souhaiteraient donc voir à nouveau s’implanter des sites industriels. Des compensations pourraient également être envisagées pour les populations qui subissent des effets parfois terribles. Je reprends les travaux de Christelle Gramaglia sur l’effet du cadmium à Decazeville, Viviez et Aubin. À présent, ce cadmium a atteint l’île de Ré. Il faut donc intégrer un effet « espace » dans la réflexion.

Ce problème est donc compliqué mais cela ne signifie pas pour autant que le législateur ne doit pas s’en emparer.

M. Thierry Lebeau. – Il est important de tenir compte de la notion de temporalité. La société actuelle repose sur l’instantanéité. Dans certains cas, le sol peut être dépollué sur des temps très longs. Nos territoires sont fortement imprégnés par notre activité.

Cependant, une réversibilité plus ou moins importante est possible mais sur plusieurs générations. Or la société n’est peut-être pas prête à accepter cette situation. Il faut donc adapter les usages en fonction de l’évolution de la pollution de ces sites.

La question des terres excavées soulevée par la rapportrice est extrêmement intéressante au regard du bilan carbone désastreux des camions qui transportent des terres faiblement contaminées vers des lieux de stockage. L’initiative de Nantes pour la gestion des terres excavées est donc une piste à creuser. À titre personnel, je suis favorable à ce type d’expérimentation sous réserve de la mise en place d’un contrôle rigoureux. Des aménagements intelligents de quartiers incluant le réemploi des terres excavées peuvent donc être envisagés après vérification de l’absence d’impact sanitaire. Le sol est une ressource qui se raréfie. Nous n’en avons pas conscience en France car nous possédons de nombreux sols agricoles. Cependant, nous pourrons être confrontés un jour à une pénurie de sols.

M. Frédéric Ogé. – L’excavation est une solution intelligente à court terme mais dangereuse à long terme car l’on ne fait que déplacer des centaines de milliers de tonnes d’un endroit à un autre. Or ces terres pourraient parfaitement être traitées même si ces solutions sont plus onéreuses. Ce n’est pas en déplaçant des terres excavées dans des carrières ou des gravières et en les transformant en merlons de protection phonique sur les autoroutes que l’on résout le problème. On le reporte ainsi sur les générations futures. L’État se doit donc d’intervenir.

Mme Maryse Carrère. – Quel regard portez-vous sur le traitement des dossiers de fin d’exploitation des sites pollués par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ? Ces dernières ont avoué qu’elles traitaient les dossiers en prenant en considération les limites financières des entreprises. Pensez-vous que tous les facteurs de dépollution sont suffisamment pris en compte notamment sur le long terme ? Percevez-vous une évolution positive dans l’analyse de ces dossiers et les exigences de réparation de ces sols pollués par les entreprises pour la protection des citoyens et des collectivités ?

M. Frédéric Ogé. – Les Dreal sont les filles des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire). Le « I » d’industrie devance le « E » d’environnement.

Mme Maryse Carrère. – Ils ont été fusionnés avec les anciennes directions régionales de l’environnement (Diren). On peut supposer qu’une révolution culturelle a eu lieu dans l’appréhension de ces dossiers.

M. Frédéric Ogé. – Bien sûr. Cependant, il faudra vingt ans pour que cette révolution prenne effet. Il est donc trop tard pour un certain nombre de cas car les effets négatifs seront trop importants. D’autre part, les personnels ne sont pas en nombre suffisant pour appréhender ces dossiers de façon pertinente et approfondie. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé que les fiches concernant ces sites soient informatisées. Un modèle avait été réalisé de ces fiches consultables par activité, entreprise et commune. Cependant, rien n’a été fait et j’ignore pourquoi.

Mme Béatrice Béchet. – La question des résultats des traitements appliqués aux sols est importante. Lors des conférences où elles exposent leurs résultats, les sociétés de dépollution s’engagent à réduire les teneurs en polluants de 90 %. Cependant, elles s’interrogent sur la concentration résiduelle et ses éventuels impacts. En outre, cette concentration résiduelle peut contenir des métabolites du contaminant dont on connaît très peu les effets. Sur le plan scientifique, la question de l’évaluation des résultats de la dépollution reste donc ouverte.

M. Thierry Lebeau. – Dans chaque chantier, des négociations ont lieu sur le niveau de dépollution à atteindre en fonction des budgets. Pour deux situations identiques, on peut donc observer des objectifs de taux de dépollution différents. Ceux-ci ne sont pas liés au risque sanitaire ou environnemental mais à des aspects économiques.

Mme Maryse Carrère. – Lorsque les industriels quittent les sols pollués, les collectivités doivent souvent assumer la dépollution que celle-ci soit résiduelle ou non. C’est mon expérience en tant qu’élue.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. – Au travers des différentes auditions, j’ai pu constater une différence d’approche entre les pollutions récentes qui font l’objet d’un suivi précis et les pollutions historiques réactivées. Or une équité de traitement doit prévaloir.

Concernant les ARS, vous avez souligné les différences entre régions. Or le service rendu doit être le plus en adéquation possible avec les problématiques posées dans l’ensemble du territoire.

Comment peut-on parvenir à une définition des pollutions car on se heurte toujours à cette notion d’inventaire ou de cartographie qui sont imparfaits ? Dans le souci d’informer, on devrait néanmoins envisager une cartographie révisable car les pollutions peuvent évoluer à la hausse ou à la baisse. En outre, sur un même secteur pollué dans une commune, certains sols peuvent ne pas être pollués.

Vous avez également mentionné la possibilité d’interaction entre les polluants, ce qui m’alerte. Face à cette information, il convient d’être clair et précis car certains spécialistes ne s’appuient que sur un seul traceur.

M. Frédéric Ogé. – Nous pouvons parfaitement traiter au niveau de la parcelle cadastrale. Par ailleurs, nous savons travailler dans la verticalité. Nous pouvons réfléchir par rapport au sous-sol. Nous connaissons également les aquifères proches de la surface : nappe phréatique, couches inférieures (permien et cambrien).