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III) Le sous marquage citationnel : Vers une appropriation de l'œuvre?

1) The Artist et la problématique du temp track

a) Peut on parler de psittacisme174 pour The Artist?

Ce terme peut sembler violent mais cependant la question est légitime puisque tout au long de son film Michel Hazanavicius répète des scènes issues de films classiques. Le réalisateur comprend-il (réfléchit-il)ce qu'il répète?

170 The Artist, Michel Hazanavicius, 2011 171 Vincere, Marco Bellocchio, 2009

172 Finding Nemo, Andrew Stanton, Lee Unkrich, 2003

173 Le temp track est un morecau de musique préexistant au film utilisé (de manière temporaire) durant la phase du

montage de l'œuvre.

174 Le psittacisme est une récitation mécanique de mots, de phrases, de notions dont le sens n'a pas été compris ou a été

Même si The Artist a connu un succès phénoménal, la critique n'a jamais caché son scepticisme vis à vis du film : « déformation très séduisante mais

dédramatisée »; « The Artist fait la malin avec un héritage nettement plus grand que lui » ; « le film considère le cinéma avec le même point de vue que son héros : un loisir forain, folklorique et stylé »175

Ce qui lui est reproché est certainement la forme « pot-pourri »176 que son film a

adopté. La multiplication des citations ; des prélèvements cinéphiles conduit

finalement à une sorte d'effacement de la personnalité et du discours de l'énonciateur.

The Artist emprunte en effet les escaliers de City girl de Murnau (1930) ; une scène

de couple en plein déclin à Citizen kane de Orson Welles (1941) ; un petit chien à

The thin man de W.S. Van Dyke (1934); une scène de La marque de Zorro de Fred

Niblo(1920).

Peut-on considérer qu'il s'agit d'un hommage même si dans certains cas, Michel Hazanavicius ne fait qu'un copié-collé des œuvres qu'il cite? Il n'y a aucun regard porté sur ces films, aucune transposition (d'un ton vers un autre), aucune adaptation (d'une situation à une autre).

« Tout le dilemme de The artist, voire son impasse, est dans cette tension

inaugurale entre le récit et son commentaire. Plus précisément sur sa difficulté de faire de ce commentaire, un récit. D'une part une randonnée dans le cinéma dit des origines, d'autre part de faire de ce voyage en marche arrière, un film en avant, contemporain »177

Comme Gus Van Sant fait Psychose de nouveau, Michel Hazanavicius refait l'histoire du cinéma classique hollywoodien sous la forme d'une compilation de scènes mises les unes à la suite des autres. Cependant le but du réalisateur n'est pas de démontrer l'impossibilité de ce retour en arrière, mais plutôt l'actualité d'un propos qui, a première vue, est plutôt démodé.

La forme que revêt cet hommage divise les opinions. Pour certains, cette série de reprises invite à la nostalgie d'un cinéma expressif, léché et travaillé tandis que pour d'autres elle inspire une esthétique creuse; vide de sens.

L'utilisation du thème composé par Bernard Herrmann dans The Artist a beaucoup secoué les spectateurs. Nombre sont ceux qui ont avoué avoir eu

175 Lepastier, Joachim « the artist : un film sourd » dans les cahiers du cinéma n°671, oct 2011

176 Un pot pourri en musique est un morceau composé à partir de brefs extraits de différents morceaux existants 177 Lefort, Gérard pour Libération du 12/10/2011

l'impression d'être arrachés au film au moment de la diffusion du thème. Kim Novak qui joue le rôle de Judy / Madeleine dans Sueurs froides exemplifie cette

incompréhension.

b) « Je viens dénoncer un viol »

C'est en ces termes que Kim Novak débute son communiqué dans la presse californienne à la suite du visionnage de The Artist.

"Je viens dénoncer un viol […]Une grande œuvre s’est fait violer par The

Artist. Ce film a pris le thème de l'amour issu de la bande originale de Sueurs

froides et s’est approprié les émotions que ce morceau engendre. Alfred Hitchcock et

Jimmy Stewart ne peuvent pas se défendre, mais je peux parler en leur nom. […] Même si le générique de The Artist comporte le nom de Bernard Herrmann, je considère cette manière de faire comme de la triche. Honte sur eux ! [...]Ce genre d’emprunts est dangereux pour l’avenir des artistes de cinéma. Il est moralement répréhensible pour des membres de notre industrie d’user et abuser de célèbres œuvres d’art pour attirer l’attention et récolter de la gloire, tout en détournant ces œuvres de leur sens original. Il est essentiel que tous les artistes s’engagent pour préserver nos œuvres pour la postérité, avec leurs identités intactes et protégées."178

Du point de vue de l'actrice, The Artist commet donc une faute grave en utilisant cette musique. Le personnage de Kim Novak ne fait qu'un avec la musique; il n'y a aucune distance entre les deux. Bernard Herrmann donne une équivalence musicale aux différentes valeurs de plans (le thème s'intensifie lorsque Madeleine se rapproche de Scottie par exemple) et de cette manière, images et musique convergent vers un même climax.

Michel Hazanavicius s'intéresse justement à la partition de Bernard Herrmann pour cette forme d'intensification du drame. C'est le lyrisme et la dramturgie du chromatisme que le réalisateur cherche à récupérer, et non le drame que la bande originale construit au fur et à mesure dans son ensemble. L'extrait que Michel Hazanavicius choisit n'a d'intérêt à ses yeux que parce qu'il pousse le spectateur à ressentir de la tristesse.

178 Extraits de la lettre disponibles sur <ttp://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/The-Artist-Kim-Novak-l-actrice-

Au sein du discours, la citation que l'on peut ici qualifier d'ornementale179 a

pour fonction de le réhausser. La citation ici, n'a pas pour but d'apporter un élément nouveau à la à la narration mais tout au plus de relayer la pensé peut-être confuse de l'artiste citateur ou d'illustrer son bon goût.

La manière dont Michel Hazanavicius envisage la bande originale de film est finalement très proche de la perception des films auxquels il rend hommage (le cinéma classique hollywoodien) mais est diamétralement opposée à celle de Bernard Herrmann. Effectivement alors que le réalisateur de The Artist voit la bande originale comme un accompagnement sonore qui illustre et habille une séquence, Bernard Herrmann la considère comme un élément impliqué dans la narration.

c) Et la musique originale?

A l'origine Ludovic Bource (compositeur de The Artist) avait composé un morceau pour cette scène. Pour cette composition il s'inspire d'ailleurs largement du morceau de Bernard Herrmann. Si il n'est pas essentiel à la compréhension de la trame, pourquoi utiliser le morceau de Bernard Herrmann et non la variation de Ludovic Bource? Vraisemblablement, Michel Hazanavicius avait beaucoup écouté ce morceau au moment de l'écriture du film et l'a finalement utilisé comme « temp track » durant le montage. S'étant habitué au thème de Bernard Herrmann, il lui est devenu difficile d'envisager une autre musique d'accompagnement.

La partition de Bernard Herrmann évoque un retour vers le passé, une forme de liaison entre le passé et le présent. C'est également ce que recherche Michel

Hazanavicius : Lier ces deux temps au travers de la réutilisation du principe du film muet. Cependant au lieu de s'emparer des codes qui ont constitué l'histoire du cinéma afin d'élaborer une œuvre inédite, il restitue ces codes en rééditant une histoire classique de cinéma180. Comme dans Sueurs froides, Scottie recherche la femme

idéale , le réalisateur recherche un idéal cinématographique. Il construit son film avec des morceaux qu'il récupère à l'intérieur de films classiques. Les différentes

179 Beugnot, Bernard, « La mémoire du texte -essais de poétique classique », Paris, Éditions Champions, 1994, p311 180 Plusieurs autres films ont traité de cette problématique du passage du cinéma muet au cinéma parlant (Michel

Hazanavicius s'en inspire d'ailleurs largement). On peut par exemple citer : Boulevard du crépuscule ou Chantons sous la pluie.

citations qu'il fait de ce cinéma sont purement décoratives; ils leur attribue un sens propre sans se soucier du sens de son œuvre d'origine.

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