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Théories supersymétriques et modularité

Comme nous l’avons vu, il est important de déterminer la structure des vides des théories de jauges en quatre dimensions, et la supersymétrie rend cette tâche plus accessible – nous y reviendrons. D’autre part, il serait agréable de disposer d’un principe supplémentaire qui permettrait de mettre de l’ordre dans les vides. Nous allons voir qu’un tel principe existe, il s’agit de la modularité, qui généralise la dualité électro-magnétique mentionnée dans la section

0.2.1.

0.3.1 La théorie maximalement supersymétrique

La première apparition de laS-dualité en physique remonte aux travaux sur les théories de Yang-Mills dans les années 1970. Dans [13], Montonen et Olive ont proposé une symétrie échangeant fort et faible couplage, champs électrique et magnétique, et le groupe de jaugeGavec son dual de Langlands G. Cette symétrie est par essence non-perturbative, et il est par conséquent difficile, si ce n’est impossible, de la vérifier par des moyens classiques. L’introduction de la supersymétrie fournit le contrôle non-perturbatif suffisant pour effectuer des tests.

qu’en présence de beaucoup de supersymétrie. Le point de départ est le travail de Witten et Olive [14], où il est démontré que lorsque des monopoles ou d’autres solitons sont inclus dans des théories supersymétriques, des charges centrales reliées aux nombres topologiques des solitons sont générées. Dans un contexte quadri-dimensionel, les charges électrique et magnétique joueront le rôle de charges centrales de l’algèbre de supersymétrie, et la masse m de tout état est bornée inférieurement par la condition de Bogomol’nyi-Prasad-Sommerfield (BPS). Dans la version N = 2 du modèle étudié par Montonen et Olive (le nombre N compte le nombre de supercharges, comme expliqué dans l’appendice A), cette borne est saturée par toutes les particules au niveau classique, y compris les monopoles et les dyons. Ainsi, puisque le nombre d’états dans les supermultiplets ne peut pas sauter à mesure que la constante de Planck est activée, Witten et Olive concluent que la borne BPS doit rester saturée dans la théorie quantique, ce qui donne accès au spectre non-perturbatif (au moins en partie). Osborn [15] poursuit ce travail dans la théorie N = 4 super Yang-Mills, qui est maximalement supersymétrique. En imposant une brisure spontanée de symétrie, il génère un multiplet N = 2 massif qui sature la borne BPS, et montre qu’un monopole magnétique correspond au même multiplet, et avec la même masse ! Ainsi, dans la théorieN = 4, l’accord entre les contenus des multiplets électrique et magnétique est une forte indication que la dualité est réalisée.

Bien sûr, comme nous l’avons expliqué, l’algèbre de jauge ne suffit pas pour spécifier com-plètement la théorie, et il faut également en donner les opérateurs de ligne? Ainsi, même si g =g, les théories ne sont pas nécessairement invariantes par S-dualité (et la transformation T n’est pas non plus nécessairement une symétrie). Un exemple est représenté sur la figure 1

extraite de [10].

Figure 1: Ce diagramme représente comment les sept théories avec algèbre de jaugesu(4) sont échangées par les symétries modulaires. En rouge, nous montrons l’action de laS-dualité, et en vert, l’action de T. Quand il n’y a pas de flèche de la couleur correspondante, cela signifie que la théorie est invariante. Ce diagramme est à comparer avec la figure4.1 dans le chapitre 4.

0.3.2 De la S-dualité à l’invariance modulaire

A l’origine observé dans des modèles sur réseaux [16,17], l’effet de l’angleθY M a pu être intégré à notre histoire. D’après l’effet de Witten [18], l’inclusion d’un tel angle dans le Lagrangien donne aux dyons une charge électrique qui peut être un multiple non entier de la charge élémentaire. Cependant lorsque l’angle est varié continûment de zéro à 2π, le spectre est rebattu mais demeure globalement invariant. Dans le contexte des théories de jauge supersymétriques, avec un groupe de jauge simple, il est naturel d’assembler l’angle θY M et la constante de couplage gY M dans

une combinaison complexe

τ = 4πi gY M2 +

θY M

2π , (24)

que l’on peut interpréter comme la composante scalaire d’un superchamp, de sorte que le La-grangien de la théorie (A.14 puisse être considéré comme un terme de superpotentiel. La S -dualité et la symétrieθY MθY M + 2π génèrent à eux deux un groupe modulaire SL(2,Z) de dualités. Cependant, l’accord dans les multiplets trouvé par Osborn dans la théorie maximale-ment supersymétrique n’est plus réalisé dans les théories N = 2, ce qui exclut une réalisation simple de la dualité électro-magnétique dans ces théories, et par la même occasion dans toutes les théories avec moins de supersymétrie. Cependant, une version différente des mêmes idées émerge du travail de Seiberg et Witten dans les années 1990.

Dans la théorie pure SU(2) avec des monopoles [19], la partie scalaire du multiplet vecteur et de son dual (aD, a) se transforme sous l’action du groupe modulaire SL(2,Z). Le générateur

S = 0 1 −1 0

!

(25)

est identifié avec la dualité électro-magnétique, et échange deux descriptions équivalentes de la même théorie. D’autre part, le générateur

T = 1 1 0 1

!

(26)

est la symétrie θY MθY M + 2π décrite précédemment. Au niveau classique, τcl = aD

a , et l’action du groupe modulaire est l’action habituelle sur τcl. Cela reste vrai dans la théorie quantique dans le cas deN = 4, mais en général le flot de la constante de couplage sous l’action du groupe de renormalisation gâche la modularité.

Dans les théories avec encore moins de supersymétrie, la modularité est plus cachée. Ainsi, la chromodynamique quantiqueN = 1 avec le nombre adéquat de quarks et de squarks est reliée par la dualité de Seiberg [20,21] à une théorie différente, mais qui évolue dans l’infrarouge vers la même physique. Il s’agit ici encore d’une version de la dualité électro-magnétique, les quarks étant par exemple envoyés sur les quarks du groupe dual magnétique dans l’autre théorie, mais il est important de noter que les deux théories sont très différentes. Dans la version la plus simple, une théorie SU(N) avec 32N < Nf <3N quarks est reliée à une théorie SU(NfN) avec Nf quarks ainsi que des mésons. De plus, la dualité n’est réalisée que dans la limite de basse énergie.

Le travail récent de Gaiotto [22] éclaire d’un jour nouveau les dualités des théories N = 2, en associant à ces dernières une courbe ultraviolette C avec insertions, de telle sorte que la courbe de Seiberg-Witten, qui contrôle la physique dans l’infrarouge, soit donnée par l’équation λ2ϕ(z) = 0, où z est un paramètre de C,λ est la forme de Seiberg-Witten et les propriétés asymptotiques deϕ(z) sont déterminées par le superpotentiel. Un exemple important est celui de la théorie N = 2, dans laquelle la matière est composé d’un hypermultiplet de masse m dans la représentation ajointe. Dans ce cas, la courbe C est un tore avec une insertion, et en utilisant les propriétés des fonctions elliptiques, on obtient [23]

u= trφ2, avecφla composante scalaire du multiplet vecteur. Cela fournit une interprétation géométrique du groupe modulaire SL(2,Z), qui apparaît ici comme le groupe des symétries discrètes de la structure complexe du tore.

La théorie N = 4 est un cas particulier de cette situation, et on peut comprendre le dia-gramme de la figure 1 de ce point de vue. En effet, il existe une interprétation des données discrètes nécessaires pour définir les théories dites de classe S à quatre dimensions, à savoir le spectre des opérateurs de ligne, en termes d’une géométrie à six dimensions [24], comme le sous-réseau maximal isotrope deH1(C, Z( ˜G)), oùC est la courbe ultraviolette. Pour les théories N = 4, nous venons de voir que C est un tore, et donc H1(C, Z( ˜G)) est isomorphe à Z( ˜G)2. Cela explique pourquoi le même diagramme de dualité apparaîtra plus tard dans notre analyse des extrema du potentiel de Calogero-Moser elliptique et des vides des théories N = 1. On pourra comparer avec les figures 4.1et5.1.

0.3.3 La structure des vides

L’espace des vides est un outil de base de l’analyse des théories de jauge supersymétriques, qui est basé sur l’holomorphie. La classification des vides massifs et de masse nulle, et l’analyse de leurs symétries et de leurs propriétés de dualité sont des traits fondamentaux d’une théorie. Rappelons quelques théorèmes centraux :

• Dans les théoriesN = 1, le superpotentiel n’est pas renormalisé en théorie des perturba-tions. Cependant, il peut être affecté par des effets instantoniques.

• Dans les théoriesN = 2, la fonction β à une boucle (A.25) est exacte.

• Les théoriesN = 4 sont finies.

Nous devons faire la distinction entre les espaces de modules classique et quantique. En général, une dégénérescence entre des vides d’une théorie classique qui n’est pas causée par une symétrie (on parle de dégénérescence accidentelle) est détruite par les effets quantiques. Cependant, en présence de supersymétrie, la situation générique correspond à une préservation quantique de la dégénérescence en théorie des perturbations, bien que des effets non-perturbatifs puissent générer un superpotentiel additionnel et détruire les vides classiques. Le superpotentiel effectif sur l’espace des modules contient toute l’information concernant la limite à basse énergie, avec son contenu en particules et sa structure de phase.

L’espace des modules classique est singulier aux points où il y a des champs additionnels de masse nulle par rapport à un point générique. Une question naturelle concerne alors le destin de ces singularités dans l’espace des modules quantique [25]. En fait, à peu près tout peut arriver : une singularité peut disparaître, rester mais changer de nature, ou ne pas être affectée. Nous verrons un exemple dans le cas de la théorie SU(2) pure N = 2. Avant cela, penchons-nous sur la théorie maximalement supersymétrique.

N = 4

Dans le langage des théories N = 1, la théorie de Yang-Mills N = 4 possède six scalaires φi, i = 1, . . . ,6 dans la représentation adjointe, en plus du multiplet vecteur, pour ce qui est du

contenu bosonique. Le superpotentiel fournit alors un terme 1 8g2 Y M X i,j [φi, φj]2 (28)

qui est nul si lesφi commutent deux à deux. On peut ainsi les voir comme des éléments de la sous-algèbre de Cartan : ils brisent le groupe de jauge àU(1)r, oùr est le rang, et nous parlons donc de phase de Coulomb. Quand toutes les valeurs dans le vide sont nulles, on parle de phase superconforme – et on peut naturellement trouver toute une série de phases intermédiaires avec une symétrie résiduelle non abélienne.

Ainsi, nous avons trouvé l’espace des modules classique :

MN=4= R

6r

Weyl group, (29)

qui est singulier aux points deR6rqui sont fixés par le groupe de Weyl. Ces singularités signalent de nouveaux degrés de libertés de masse nulle, qui sont nécessaires pour construire les bosons de jauge non abéliens qui apparaissent à ces points. On peut montrer que cet espace classique n’est pas corrigé dans la théorie quantique [26], de sorte que (29) reste vrai dans la théorie complète.

N = 2

Maintenant que nous avons décrit la situation pour la théorieN = 4 très contrainte, nous nous tournons versN = 2 où la physique est beaucoup plus riche. A titre d’exemple du mécanisme évoqué précédemment, dans la théorieSU(2) pure l’espace des modules estCavec une singularité à l’origine où la symétrie non-abélienne est restaurée. L’espace des modules n’est pas détruit dans la théorie quantique, mais la singularité se scinde en deux singularités quantiques qui correespondent à des valeurs non nulles du paramètre de la branche de Coulomb.

N = 1

Les théories de jauge avec la quantité minimale de supersymétrie sont moins contraintes, et présentent des propriétés physiques très riches. L’exemple de base est la déformation massive de la théorieN = 2 du paragraphe précédent. Classiquement, ainsi qu’en théorie des perturbations, le superpotentiel se réduit au terme de masse, et il n’y a qu’un seul vide avec une valeur moyenne nulle pour le multiplet chiral. Cependant, en prenant en compte les effets non-perturbatifs, le superpotentiel Affleck-Dine-Seiberg est généré [27], induisant un effet répulsif dans la région fortement couplée, et scindant ainsi le vide classique en deux vides quantiques.

Dans la théorie de Yang-Mills pure, le groupe deR-symétrieU(1) est brisé par des instantons à un sous-groupe discret, et le nombre de vides est le nombre de Coxeter dualh de l’algèbre de jauge. L’existence de vides isolés implique la possibilité d’existence de murs de domaines entre les régions d’espace-temps avec différentes configurations de vides. Dans les théoriesN = 1, la densité d’énergie sur un tel mur peut être calculée de façon exacte dans le régime à fort couplage [28],

0.3.4 Compactification sur le cylindre

Après avoir décrit l’espace des vides des théories N = 2 sur R4, Seiberg et Witten [29] ont poursuivi leur exploration sur un espace de topologie non triviale,R3×S1. Un effet intéressant de cette compactification est alors que la courbe de Seiberg-Witten acquiert une signification physique. En effet, comme nous le verrons en détail dans le chapitre5, deux scalaires additionnels apparaissent (la ligne de Wilson le long du cercle et le dual du photon dans les trois directions non compactes), que l’on peut combiner en un scalaire complexeZ, voir la figure 2. La théorie à basse énergie est alors un modèle sigma pour lequel l’espace cible est la courbe de Seiberg-Witten, et l’espace des modules est précisément cette courbe, avec ses modules. Un potentiel généré de façon non perturbative sur la branche de Coulomb peut être vu comme un potentiel additionnel (au sens de la mécanique classique) dans le modèle sigma, ce qui est l’essence du lien intime entre les théories de jauge supersymétriques et les systèmes mécaniques intégrables – c’est la supersymétrieN = 2 qui fournit cette structure supplémentaire.

Figure 2: Compactification de la théorie sur le cylindre, et apparition des deux scalaires réels qui se combinent dans le scalaire complexeZ.

Ainsi, la compactification sur le cylindre est un outil extrêmement puissant pour sonder la dynamique de jauge, pour au moins trois raisons :

• Elle offre une réalité physique à la courbe de Seiberg-Witten ; • Elle relie théories de jauges et systèmes intégrables ;

• Elle connecte la physique à quatre dimensions (quand le rayon R → ∞) et la physique à trois dimensions (quandR→0).

De façon heuristique, si toute théorieN = 2 donne naissance à un système intégrable complexifié, la compactification sur le cylindre le transforme en un espace hyperkähler manipulable [30]. Nous allons donc utiliser abondamment ces compactifications dans la suite. Il faut cependant noter que d’autres topologies permettent d’accéder à des résultats intéressants. Citons par exemple la compactification sur une sphère à quatre dimensions [31] ou un ellipsoïde [32] où la fonction de partition peut être calculée exactement en utilisant le principe de localisation supersymétrique. La correspondance d’Alday-Gaiotto-Tachikawa [33] fait alors un lien avec des théories conformes à deux dimensions dont les constantes de couplages sont contrôlées par cette géométrie.

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