• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Reconstruction identitaire et intégration dans l’œuvre de Walter Bauer

4.2 Ni allemand ni canadien : le test de la réalité

4.2.1 Théories et perspectives sur la reconstruction identitaire dans l’œuvre de

En ce qui a trait à la reconstruction identitaire et tout ce qui l’entoure, nous avons pu relever quelques théories qui semblent se contredire à plusieurs égards. Nous présenterons ici les deux grandes théories qui s’opposent dans notre tentative d’établir si le processus de reconstruction identitaire de Walter Bauer est viable. Les perspectives de Rodney Symington et Daniel Chartier sur l’immigration et les possibilités de jumelage de deux cultures au sein d’un seul individu semblent en effet être à l’opposée l’une de l’autre. Nous nous proposons donc de présenter chacune d’entre elles, pour ensuite utiliser les travaux d’autres chercheurs, nommément Doris Bachmann-Medick et Simon Harel, pour venir compléter le portrait qui nous permettra d’analyser la reconstruction identitaire chez Walter Bauer.

Pour Rodney Symington, les quêtes identitaires du genre de celles que Walter Bauer se propose de faire sont pratiquement impossibles à mener à bien. À ce sujet, Symington écrit :

« They [ ses objectifs identitaires ] constituted a noble vision, but in the final analysis they were unrealistic hopes. For even more dominant were two other elements in his life wich proved to be both obsessively preoccupying and ultimately insurmountable : the endless experience of exile as an ambivalent force – one with positive possibilities, but almost always with negative results, and the insuperable problem of language. »80

Nous pouvons relever deux éléments déterminants pour le processus de reconstruction identitaire de Bauer dans cet extrait, soit l’ambivalence de

80

71

l’expérience migrante et les problèmes de langue. C’est cette question de la langue qui, toujours selon Symington, joue un rôle déterminant dans l’échec de la quête de Bauer. En effet, en continuant d’écrire en allemand dans un pays étranger et en adoptant les thèmes de ce pays, Bauer a ultimement laissé mourir ses racines en Allemagne, sans pour autant parvenir à s’en faire de nouvelles au Canada. Au lieu d’être un homme des deux pays, il a fini par ne pas être tout à fait de l’un ni de l’autre.

Les travaux de Simon Harel dans le domaine de l’écriture migrante viennent confirmer, sinon ajouter, à cette idée de perte d’identité que nous avons relevée dans le texte de Symington. En effet, Harel définit la littérature migrante comme étant marquée par « l’abandon de l’amour de l’appartenance »81, ce que Bauer n’a jamais voulu, comme nous l’avons vu au chapitre 1 traitant du poids du passé chez lui. Le reste de la définition que fait Harel vient cependant affirmer que le résultat de la littérature migrante est une hybridité culturelle, faisant ainsi le lien avec des conceptions plus optimistes des reconstructions identitaires du genre de celle de Bauer. Ces conceptions qu’il convient de définir comme optimistes sont visibles dans les textes de Daniel Chartier et de Doris Bachmann-Medick. En effet, Bachmann-Medick avance l’idée d’une fusion identitaire originale, semblable à celle mise de l’avant par Harel et Ortiz, qu’elle exprime par l’équation 1+1=3 en opposition aux idées de la globalisation (1+1=1) et celles du monde économique (1+1=2)82. L’hybridité culturelle issue d’une reconstruction identitaire « transculturelle » peut être vue comme étant plus grande que la somme de ses parties, à l’opposé des fusions d’entreprises dans le domaine économique.

Pour conclure, il convient de remettre de l’avant les théories de la nordicité littéraire de Chartier. L’élément principal à retenir est le rôle favorable

81

HAREL, Les passages obligés de l'écriture migrante. p. 57

82

72

que joue la nordicité pour l’exilé en crise identitaire. En effet, Chartier semble être à l’opposé des théories de Symington, puisque selon lui, la nordicité elle- même favorise la reconstruction identitaire. Nous avons déjà vu à ce sujet l’importance du concept de « virginité » du pays et le laboratoire culturel qui se développe dans ces espaces vides. Toujours selon Chartier, dans un contexte nordique où l’homme doit faire face à la nature, le passé est mis de côté pour favoriser le présent et le futur. À ce regard porté vers l’avant qui caractériserait l’existence nordique, il faut aussi ajouter le caractère à la fois universel et particulier de l’imaginaire nordique, favorisant la construction d’une nouvelle identité à l’aide de la culture particulière et celle plus universelle qui caractérise la nordicité. Il est alors clair que pour Daniel Chartier, la reconstruction identitaire est non seulement possible, mais bien définitivement favorisée par le contexte nordique.

Ces différentes perspectives sur la reconstruction identitaire peuvent être vues comme étant contradictoires, mais nous sommes plutôt d’avis qu’il s’agit en fait de plusieurs facettes d’une même réalité. En effet, les auteurs utilisent différents aspects de la vie d’un immigrant pour faire valoir leurs théories. Ainsi, Symington se base-t-il principalement sur l’expérience sociale de l’immigrant pour affirmer que l’hybridité culturelle est presque impossible puisque l’immigrant ressent continuellement le poids de sa propre aliénation. L’argumentaire de Chartier relève quant à lui du domaine des idées et de l’imaginaire du Nord et son rôle artistique dans le processus de reconstruction identitaire. Nous sommes d’avis que tous deux amènent de bons points et que le processus de reconstruction identitaire du style tenté par Bauer est un combat entre ces deux théories; un combat entre la réalité et l’imaginaire qui détermine la réussite ou non du processus.

73