Les variations des terres rares et de leurs rapports de fractionnement sont discutées
séparément dans ce paragraphe car elles ne correspondent pas systématiquement aux
transitions enregistrées par les autres éléments. Les paramètres tels que la somme des
concentrations en terres rares (ΣREE) et l’anomalie en cérium caractérisée par le rapport
Ce/Ce* varient fortement alors que les ratios Pr/Yb et Y/Ho sont stables globalement et
montrent quelques excursions positives ou négatives (Figure IV. 8.). Il existe une corrélation
- pendant la période tardiglaciaire (avant 14,5 ka), ΣREE est maximal et
Ce/Ce* minimal (Fig. IV. 8.);
- ΣREE baisse alors que Ce/Ce* augmente de 14,3 à 13,3 ka. Il s’agit de la plus importante transition du profil pour ces paramètres, qui correspond à la chute du
δ13
C et de U;
- ΣREE et Ce/Ce* réaugmente et rechute respectivement pendant le YD à des valeurs proches de leurs valeurs à 15 ka;
- la transition à 10 ka n’est pas significative: ΣREE et Ce/Ce* restent à des valeurs proches de celles du YD;
- après le hiatus, ΣREE est élevé jusqu’à 8,3 ka, alors que Ce/Ce* est d’abord
élevée puis chute à des valeurs proches du glaciaire jusqu’à 8,3 ka;
- enfin, de 8,3 à 7 ka, ΣREE baisse tandis que Ce/Ce* augmente, puis ils sont
Fig IV. 8.: variations du fractionnement élémentaire des REY dans Vil-stm11 illustrées par l’anomalie en cérium Ce/Ce* et les rapports élémentaires normalisés (Pr/Yb)n et (Y/Ho)n. Les profils en δ13C, de la somme des
Les évolutions de l’anomalie en Ce et de ΣREE sont assez fortement corrélées avec celles de U (Fig. IV. 9 et Fig. IV. 10.), ce qui pourrait suggérer un contrôle commun, par
exemple par le biais de l’état redox de l’eau d’infiltration ou par la complexation commune
par les ions carbonates. L’anomalie en Ce a été considérée comme un traceur potentiel des
conditions redox en milieu marin (DE BAAR et al., 1983) ou dans les paléosols (GALLET et al.,
1996), tandis que la quantité totale de REE en solution est liée au bilan de la compétition entre
leur stabilisation par des complexes de type carbonates ou acides humiques et leur retrait par
adsorption sur des phases qui précipitent, comme les oxydes de fer et de manganèse.
Fig IV. 9.: relation entre l’anomalie en Ce et la somme des concentrations en REE dans la stalagmite Vil-stm11. Les échantillons du tardiglaciaire sont repèrés par des losanges, ceux du B-A par des croix, ceux du YD par des
Au cours du Bølling-Allerød se produit une chute des concentrations en REY de deux
ordres de grandeur alors que l’anomalie en Ce gagne deux ordres de grandeur et que les niveaux en U chutent (Fig. IV. 10.). La chute des REE a pu être causée par l’augmentation de la phase organique qui a séquestré les terres rares. L’apparition de matière organique
abondante n’a pas créé de fractionnement au sein du spectre de REY, sauf pour Ce. Ceci pourrait s’expliquer par la compétition entre l’adsorption sur les oxy/hydroxydes métalliques (OHM) et sur les acides organiques (AO). Le ratio OHM/AO est élevé en période froide et
sèche et faible en période chaude et humide. Or, l’adsorption des REY sur les OHM peut s’accompagner d’une forte préférence pour le Ce par rapport aux autres terres rares (OHTA
and KAWABE, 2001), alors que la complexation des REY par les AO empêche ce
fractionnement (DAVRANCHE et al., 2005). L’eau résiduelle qui nourrit la stalagmite possède
donc une anomalie en Ce plus marquée en période froide et sèche.
Les spectres de REY des paléo-eaux d’infiltration ont été reconstruits à partir des
concentrations de Vil-stm11 et des coefficients de partition actuels mesurés dans les niveaux
inférieurs de la grotte (Fig. IV. 11.). Ils montrent que l’anomalie en Ce était très marquée (soit
Ce/Ce* << 1) en tardiglaciaire par rapport à l’encaissant, assez marquée au cours du B-A et
YD ainsi que de 8,7 à 7,7, alors que le spectre de REY des eaux entre 7,7 et 5,4 ka devait être
proche de celui de l’encaissant. Le lien entre la variation de l’anomalie en Ce et le climat n’est pas toujours respecté, notamment pour l’optimum Holocène caractérisé par un ΣREE élevé et
un Ce/Ce* faible. Ceci peut s’expliquer par l’apport au-delà d’un certain seuil de précipitation
de matériel détritique en plus grande quantité ce qui augmenterait le rapport OHM/AO.
Cependant, l’apport massif de terres rares exogènes est peu probable hormis pour trois échantillons (à 12,9, 10,1 et 8,8 ka) qui ont des rapports Pr/Yb anormalement élevés, et ne
Fig IV. 10.: relation entre la concentration en uranium et l’anomalie en cérium dans la stalagmite Vil-stm11. En bleu: fin du glaciaire; orange: B-A; vert: YD; bordeaux: optimum Holocène; rouge: Holocène moyen.
En résumé, l’anomalie en cérium se présente comme un traceur potentiel du rapport OHM/AO dans l’eau d’infiltration, donc des conditions de formation des complexes des terres rares, sous réserve que l’origine des REY ne change pas au cours du temps et que l’on se situe sous un certain seuil hydrologique au dessus duquel le ratio OHM/AO réaugmente en fonction
Fig. IV. 11.: spectres de REY normalisés aux argiles (NASC) et rapportés au calcium, de l’encaissant (en beige), de Vil-stm11 par période climatique (en pointillés), et de la reconstitution moyenne de l’eau d’infiltration à ces
périodes (en trait pleins). En bleu: fin du glaciaire; en vert: YD; en bordeaux: optimum Holocène; en rouge: Holocène moyen. Les coefficients de partition de chaque REY sont considérés constants pour toutes les périodes
et égaux aux valeurs mesurées actuellement aux niveaux 1B à Villars (cf. III. 1. 4).