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Tendances observées pour l‘expression des gènes homéologues chez différentes espèces

CHAPITRE I Synthèse bibliographique

I. Qu‘est-ce que la polyploïdie ?

I.4 Evolution fonctionnelle d‘un génome allopolyploïde : régulation et expression des gènes

I.4.4 Tendances observées pour l‘expression des gènes homéologues chez différentes espèces

espèces allopolyploïdes

Un panorama des études réalisées chez différentes espèces polyploïdes permettra d‘avoir un aperçu des tendances observées en termes d‘expression des gènes en fonction de l‘âge de formation de l‘espèce polyploïde et du degré de divergence entre les espèces progénitrices.

Les études pionnières qui ont caractérisé les conséquences transcriptomiques d‘une hybridation et d‘un doublement de génome chez les espèces allopolyploïdes sont celles de Rapp et al. 2009 puis de Flagel et Wendel et al. 2010 sur le coton, Chelaifa et al. 2010 sur la spartine et Bardil et al. 2011 sur le café. Ces études ont toutes révélé une expression globale des gènes biaisée en faveur de l‘un des sous génomes mais les données utilisées ne représentaient qu‘une fraction des gènes. Plus récemment, plusieurs études portant sur la caractérisation des biais d‘expression des gènes homéologues et l‘évaluation de la dominance de l‘un des sous-génomes ont été réalisées en utilisant d‘individus synthétiques, des données RNA-seq sur plusieurs tissus et des systèmes biologiques d‘étude comportant plusieurs espèces ayant conduit à l‘événement de polyploïdisation.

Figure 11. Profils théoriques d’expression de gènes post-polyploïdisation.

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I.4.4.1 L’exemple de Mimulus

Le système expérimental et biologique proposé par Edger et al. 2017 chez Mimulus, avec les différentes formes sauvages disponibles, représentent un grand intérêt pour la compréhension des conséquences de la polyploïdisation sur l‘expression des gènes (Figure 12). Les chercheurs ont travaillé sur le très récent allohexapolyploïde naturel Mimulus

peregrinus (~140 ans) issus de l‘hybridation entre une espèce

diploïde Mimulus gattatus (2x) et une espèce tetraploïde

Mimulus luteus (4x) portant les génomes La et Lb. Cette hybridation a conduit à la formation d‘une espèce triploïde M. x

robertsii stérile qui, par un doublement de son génome, a donné

l‘espèce allohexaploïde Mimulus peregrinus (6x). Dans leur étude, les auteurs ont comparé des données de RNA-seq provenant de trois tissus sur les espèces diploïdes, hybrides F1, allopolyploïdes naturelles et synthétiques. Ils ont mis en évidence l‘établissement de la dominance du sous génome de

M. luteus au sein des descendants polyploïdes, avec une

prépondérance plus accentuée pour le sous-génome Lb, dès l‘hybridation chez l‘espèce hybride F1. Ils ont aussi observé une augmentation des biais d‘expression entre gènes homéologues entre les deux individus allopolyploïdes (synthétique et naturel), donc au cours des générations.

I.4.4.2 L’exemple du Coton

Le coton cultivé comprend deux espèces allotetrapolyploïdes issues de l‘hybridation de différentes espèces diploïdes. Gossypium hirsutum L. provient de l‘hybridation des espèces G. arboreum et G. raimondii il y a environ 1-2 millions d‘années. Yoo et al. 2013 ont étudié des données RNA-seq de feuilles chez les espèces de cotons diploïdes (progéniteurs modèles : G. arboreum (A2) et G. raimondii (D5), allotetraploïdes domestiqués (Gossypium hirsutum), individus synthétiques, et l‘hybride F1 (A2 x D5). Ils ont observé une dominance globale préférentielle du sous-génome A sur le sous-génome D avec plus de gènes présentant une expression similaire au génome A diploïde (G. arboreum). Ils ont également mis en évidence que les biais d‘expressions entre gènes homéologues chez le polyploïde sont expliqués par une conservation des niveaux d‘expression des gènes des espèces progénitrices. Enfin, ils ont également observé un renforcement des biais d‘expression depuis la formation de l‘hybride jusqu‘à la spéciation de l‘allopolyploïde avec statistiquement plus d‘expression transgressive des gènes chez les espèces allopolyploïdes naturelles (16%, 14,1% et 13, 8% des gènes pour l‘hybride F1, l‘allopolyploïde sauvage et celui domestiqué respectivement), rejoignant les résultats trouvés chez Mimulus. Ces résultats ont été

Figure 12. Système biologique des Lamiales du genre Mimulus, phénotype des fleurs et composition génomique.

B) à E) Espèces du genre Mimulus utilisées dans cette étude : M. guttatus (2x) (B) hybridé avec M. luteus (C) pour produire un triploïde stérile M. robertsii (3x) (D), lequel qui à une duplication de génome donne l’allopolyploïde naturel M. peregrinus (6x) (E). F) Graphique des génomes et

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remaniés avec le séquençage du génome de cette espèce et une analyse « whole genome » des données RNA-seq (Zhang et al. 2015). Cette étude a révélé une évolution asymétrique des deux sous génomes A et D en termes de perte de séquence mais pas de dominance globale de l‘un des sous-génomes en termes d‘expression. L‘étude des biais d‘expression sur 35 tissus différents a révélé que 20 à 40% des paires d‘homéologues présentent des biais d‘expression alternativement en faveur du sous-génome A ou D en fonction du tissu considéré. Les gènes du sous-génome A davantage exprimés correspondaient pour beaucoup à des facteurs de transcription.

I.4.4.3 L’exemple du genre Brassica

Les espèces du genre Brassica sont reliées entre elles par des évènements d‘hybridation interspécifiques définies par le triangle d‘U proposé par Nagaharu en 1935 (Figure 13).

Brassica napus correspond au colza qui provient de

l‘hybridation récente entre Brassica rapa et Brassica

oleracea qui a eu lieu il y a environ 7500 ans. Les patrons

des biais d‘expression chez cette espèce sont moins clairs que pour des allopolyploïdes plus anciens du fait de l‘apparition très récente de cette espèce à l‘échelle des temps évolutifs des espèces (7500 ans) et du fait des nombreux échanges de séquences entre sous-génomes qui peuvent avoir provoqué des remaniements transcriptomiques diluant les différences d‘expression originelles entre les deux sous-génomes (Chahoub et al. 2014, Stein et al. 2017, Hurgobin et al. 2018). De nombreuses analyses d‘individus de Brassica synthétiques ont été réalisées pour mieux comprendre le fonctionnement de ce génome (Zhang et al. 2010, Marmagne et al. 2010, Jiang et al. 2013, Tan et al 2016…). Par exemple, Wu et al. 2018 ont identifié 30% de gènes homéologues présentant une expression différentielle (Differential Gene Expression ou DEG) par rapport aux progéniteurs diploïdes avec 63% appartenant au sous génome C et 37% au sous génome D (d‘après leurs travaux sur les 40371 gènes exprimés dans l‘allopolyploïde synthétique). Les auteurs ont mis en évidence que les DEGs identifiées correspondaient à une répression de l‘expression des gènes au sein de l‘individu polyploïde comparée à l‘expression des gènes parentaux. Ils ont également montré que 63,3% des paires de gènes homéologues présentaient des variations d‘expression similaire à celles retrouvées chez les deux parents. Seuls 17% des gènes ont été identifiés comme présentant de nouveaux profils d‘expression, différents des deux parents. Les auteurs ont ensuite caractérisé les biais d‘expressions (additivité et transgressivité) globales chez le polyploïde synthétique comparé aux progéniteurs. Ils ont comptabilisé 46,5% de gènes ne présentant pas de changements de profils d‘expression au sein du polyploïde, 4,9% d‘expression additive, 9% d‘expression transgressive et 36,9% présentant une dominance d‘expression (ELD) avec significativement

Figure 13. Triangle d'U, relations phylogéniques entre espèces du genre Brassica (Woo Jang-choon, 1935).

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plus de paires de gènes présentant un biais d‘expression en faveur du génome A (24%) comparé au génome D (15%). Cette étude montre que chez une espèce polyploïde récente, il est difficile d‘observer des dominances d‘expression des sous-génomes et des biais d‘expression entre gènes homéologues très importants ; les gènes homéologues semblent présentent pour une grande majorité une conservation de leur régulation à ce stade de l‘évolution de l‘espèce.

I.4.4.4 Soja et Maïs, deux paléopolyploïdes à l’évolution contrastée

Chez le maïs qui est une espèce paléopolyploïde, l‘un des deux sous-génomes est soumis à une forte sélection négative (purifying selection) des allèles défavorables (Pophaly et Tellier 2015). Cette étude a également montré que 98% des paires de gènes paralogues retenus dans ce génome présentent une sous-fonctionnalisation de leur expression de façon tissu-spécifique. La plupart de ces gènes sont des facteurs de transcription alors que les gènes des paires de paralogues présentant une répression de l‘expression sont des gènes de complexes macromoléculaires. Le soja est une espèce sont le génome a été modelé par deux évènements de polyploïdisation (59MYA et 13MYA) et présente 75% de ces gènes présents en copies multiples (Roulin et al. 2013). Parmi ces gènes, 50% d‘entre eux présentent une sous-fonctionnalisation d‘expression sur les sept tissus étudiés et correspondent en grande majorité à des facteurs de transcription. L‘étude comparative des données RNA-seq entre les deux sous-génomes de ces deux espèces (Soybean 1 et Soybean 2 et Maïs 1 et Maïs 2) pour 24 et 28 conditions d‘expression des gènes pour le maïs et le soja respectivement a mis en évidence une expression globale plus importante des gènes du sous-génome 1 pour le maïs (dominance de l‘un des sous génomes) alors qu‘aucune différence n‘a été observée entre les deux sous-génomes du soja mais plutôt des biais d‘expression stochastiques selon les tissus (Zhao et al. 2017). Ils ont corrélé les biais d‘expression entre les deux sous-génomes du maïs avec une fréquence moins importante de TE proche des gènes dans le sous-génome maïs 1, bien que la proportion de TEs de ce sous-génome soit plus importante. Dans le génome du soja, aucune différence n‘a été retrouvée concernant la proximité des TEs aux abords des gènes entre les deux sous-génomes. Le delta de divergences génomiques entre espèces progénitrices diploïdes des deux espèces étudiées a été évoqué pour expliquer les biais d‘expression observés chez les polyploïdes actuels.

Cette liste de travaux n‘est pas exhaustive et nombre de recherches sont effectuées chez d‘autres espèces. Les travaux de Richard Buggs sur l‘allotetraploïde Tragopogon mirus ont également révélé des tendances de biais d‘expression des gènes liés à la sous-fonctionnalisation par tissus des gènes homéologues (Buggs

et al. 2010, Buggs et al. 2012). Pour résumer, une des tendances observées chez beaucoup d‘espèces

allopolyploïdes est que la dominance de l‘un des sous-génomes peut être expliquée par les caractéristiques structurales des régions régulatrices des gènes (présence et proportion de TE) déjà présentes chez les espèces progénitrices diploïdes. Des données d‘expression sur plusieurs tissus permettent d‘observer des sous-fonctionnalisations des gènes permettant la diversification de la redondance fonctionnelle et la rétention de gènes. L‘effet dose d‘expression lié au nombre de copies explique également la conservation des patrons d‘expression de certains gènes.

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Remarquons que les espèces polyploïdes très étudiées à l‘heure actuelle sont des espèces domestiquées par l‘homme. En effet, un grand nombre d‘espèces domestiquées présente un état polyploïde ou palé-polyploïde de leurs génomes.