• Aucun résultat trouvé

II.3 Synthèse bibliographique sur le comportement mécanique du chrome

II.3.3 Température de transition ductile-fragile

La Température de Transition Ductile-Fragile (TTDF) est une température au-dessous de laquelle le matériau casse de manière fragile (par clivage ou séparation des grains au niveau des joints de grain) et au-dessus de laquelle il présente des déformations plastiques significatives avant rupture. Elle est souvent déterminée par des essais de résilience Charpy qui permettent de mesurer l’énergie

absorbée lors de la rupture d’une éprouvette entaillée sous l’action d’un choc. Ayant une structure cristallographique cubique centrée, la température de transition du chrome est relativement élevée, proche voire supérieure à température ambiante.

Quelques études montrent que le chrome à haute pureté peut être ductile à température ambiante [125-127]. Gilbert et al. (1963) rapportent que la température de transition du monocristal de chrome pur est de l’ordre de -80°C [128]. Sameljuk et al. (1996) [129] montrent que le monocristal de chrome est ductile dès -75°C lors d’essais de traction selon la direction <110> et dès -50°C selon la direction <100>. La ductilité du monocristal de chrome pur (C = 20 ppm, N = 15 ppm, O = 100 ppm, en ppm massiques) est aussi observée à température ambiante par Briant et al. [127] à partir d’essais de flexion 4 points. De plus, les auteurs montrent qu’un polycristal recristallisé pur (taille de grain non reportée) est aussi ductile à température ambiante. Ils concluent que la présence des joints de grain ne réduit pas significativement la ductilité du matériau.

Toutefois, la plupart des études trouvées dans la littérature montre une fragilité du chrome polycristallin à température ambiante [120]. Morinaga et al. (1995) [130] suggèrent que c’est au niveau des joints de grains que les fissures s’amorcent. La Figure II.30 présente l’évolution de la ténacité mesurée sur Ducropur (taille de grain de 82µm, 99,7% Cr) [114]. L’augmentation de la ténacité à partir de 200°C correspond à la transition fragile-ductile. À température ambiante, la ténacité est d’environ 10 MPa.m1/2. Les auteurs proposent cette valeur comme limite supérieure. Wadsack et al. (2001) [131] rapportent une valeur de 7,7 MPa.m1/2pour un matériau similaire. Il faut garder en tête que la ténacité n’est pas totalement intrinsèque et qu’il y a un effet probable de la taille des grains et des impuretés. On peut attendre un taux de restitution d’énergie critique de 100 à 300 J.m−2pour le chrome à température ambiante, comme discuté par Hong et al. [132].

0 50 100 150 200 250 300 0 10 20 30 40 50 Température (°C) Tén acité (M P a.m 1/2 )

FIGUREII.30 – Évolution de la ténacité du chrome polycristallin Ducropur (taille de grain de 82µm) [114].

La Figure II.31 regroupe des valeurs de TTDF du chrome recristallisé pour différentes tailles de grains reportées par différents auteurs [133-135]. La température de transition augmente avec la diminution de la taille des grains. Cette tendance est l’inverse de celle observée dans les cas du tungstène et de l’acier (structure cubique centrée) pour lesquels la ductilité aux faibles températures est favorisée par le raffinement de la microstructure [136]. Ces résultats suggèrent que le chrome pur recristallisé est ductile à température ambiante seulement si la taille des grains est supérieure à ∼ 100

µm. Il est à noter que cette dépendance de la TTDF à la taille de grains n’est plus correcte dans le cas où la taille des grains est réduite à moins de quelques centaines de nm par des déformations plastiques importantes entre 320 et 390°C [135]. Dans ce cas, le matériau est ductile à température ambiante (essai de flexion, sous réserve de l’absence de formation de microfissures lors de la fabrication). Néanmoins, dans ce cas, il est difficile de dissocier l’effet de la taille de grains et celui lié aux déformations plastiques appliquées. De plus, Provenzano [137] suggère que le chrome nanostructuré avec une taille des grains de l’ordre de 10 nm peut présenter une certaine ductilité à température ambiante grâce au glissement aux joints de grains.

0 50 100 150 200 250 0 100 200 300 400

Taille des grains (µm)

T emp ér at u re de tr an sition (°C) Thornley et Wronski (1972) [133] Matsumoto et al. (1997) [134] Wadsack et al. (2002) [135] Mellor et Wronski (2002) [138]

FIGUREII.31 – Évolution de la température de transition ductile-fragile du chrome recristallisé en fonction de

la taille des grains [133-135].

Dans ce sens, on pourrait s’attendre à ce que la recristallisation qui augmente généralement la taille des grains améliore la ductilité du chrome. Néanmoins, il est souvent reporté que la recristallisation réduit la ductilité du chrome (la taille des grains n’est malheureusement pas précisée) [120, 139, 140]. Cette relation peut être expliquée par la forte sensibilité de la fragilité du chrome recristallisé aux impuretés [126] ou à la ségrégation d’impuretés aux joints de grains. En effet, Briant et al. (2000) [127] montrent qu’un polycristal recristallisé de haute pureté (taille de grain non communiquée) est ductile à température ambiante.

La teneur en impuretés interstitielles impacte la température de transition ductile-fragile. L’azote et le carbone sont les éléments les plus pénalisants sur la ductilité du chrome. Weaver (1957) [141] rapporte que la réduction de la teneur en azote de 15 ppm à 5 ppm massiques permet de diminuer la température de transition d’un chrome recuit de 350°C à 150°C. Selon Smith et Seybolt (1956) [142], une teneur massique en azote supérieure à 100 ppm et une teneur en carbone supérieure à 200 ppm conduisent à une augmentation significative de la TTDF tandis qu’une teneur massique en oxygène et en soufre jusqu’à respectivement 3000 ppm et 1000 ppm a des effets négligeables. Un effet de fragilisation par l’hydrogène est mis en évidence par Nambu et al. (1995) [143, 144].

La ductilité du chrome massif est sensible à l’état de surface. Morinaga et al. (1995) [130] observent lors d’essais de flexion sur du chrome polycristallin (taille de grain ∼ 100 µm) pur à température ambiante que les éprouvettes finement polies (profondeur maximale des vallées Rmax< 0,3µm) peuvent être pliées plastiquement jusqu’à 90° tandis que les éprouvettes grossièrement

polies (Rmax > 0,5µm) cassent de manière fragile. Cette sensibilité de la température de transition ductile-fragile à la rugosité de la surface a aussi été reportée lors d’études antérieures [120]. Moriganga et al. l’expliquent par le fait que l’énergie de surface du chrome est faible de telle sorte que la propagation des fissures est plus facile que leur germination, qui est favorisée par la présence des microfissures au niveau de la surface des éprouvettes moins polies. Rappelons que le revêtement de Cr étudié étant à l’état brut après le dépôt sans polissage de finition, sa surface libre est plus ou moins rugueuse (Rmax > 1µm). Pourtant, les résultats de Moriganga et al. ne sont pas nécessairement transposables dans ce cas (faible épaisseur, effet du substrat, procédé de dépôt particulier, haute pureté, etc.).

L’environnement extérieur est aussi un facteur susceptible d’influencer la ductilité du chrome. Nambu et al. (1995) [143] rapportent que la ductilité d’un chrome polycristallin (taille de grain ∼ 100 µm) est augmentée par l’humidité. Cette relation est interprétée par l’augmentation du nombre de dislocations mobiles générées au cours du chargement [134]. La formation de ces dislocations doit être associée au développement de contraintes locales à l’interface oxyde-Cr, qui peuvent être dues à l’insertion d’atomes d’oxygène en solution solide dans le substrat ou à la déformation induite par la formation d’oxyde de Cr qui a un volume molaire environ deux fois plus élevé que le Cr. Par ailleurs, cette relation n’est pas observée sur le chrome dont la couche d’écrouissage induite par le polissage mécanique est enlevée par polissage électrolytique [144].

Plusieurs méthodes ont été proposées dans le but d’améliorer la ductilité du chrome à température ambiante. Weaver (1957) [141] rapporte qu’une pré-déformation jusqu’à 3% à 400°C, au-delà de la température de transition ductile-fragile, conduit à une ductilité significative à la température ambiante pour un chrome recuit. Sans toutefois présenter de courbes, Wadsack et al. (2002) [135] mentionnent qu’une pré-déformation à 3%, 5% et 10% de déformation plastique à 300°C apporte à des éprouvettes de chrome recristallisé (Ducropur) (taille de grains 80µm), initialement fragile à température ambiante, une certaine ductilité à cette température. De plus, ces auteurs montrent qu’une ductilité prononcée à température ambiante est observée pour des éprouvettes ayant subi des déformations plastiques importantes (> 200%) entre 350 et 400°C qui conduisent à une diminution de la taille de grains à 1-10µm. Ensuite, une pressurisation hydrostatique à température ambiante au-delà de 600 MPa jusqu’à 1200 MPa permet de diminuer la température de transition d’un chrome recristallisé de 277°C vers 17°C [138]. Ces méthodes consistent à créer des dislocations mobiles pour faciliter la plasticité ultérieure. Par ailleurs, l’addition d’éléments d’alliage est aussi possible pour accroître la ductilité du chrome. Wailcox et al. (1972) [145] montrent que l’ajout de dioxyde de thorium ThO2(∼3% mass.) aide à diminuer la température de transition ductile-fragile de 140°C vers 50°C pour un chrome recristallisé (taille de grains ∼ 33 µm) et vers 15°C pour un chrome brut laminé (taille de grains ∼ 1,2 µm). Ces auteurs proposent que les particules ThO2sont une source de dislocations ou permettent de « transmettre » les dislocations au-delà des joints de grains et donc de relaxer la concentration des contraintes et d’empêcher la germination de fissures intergranulaires. L’effet positif de l’ajout de vanadium, de manganèse et de rhénium est expérimentalement démontré par Matsumoto et al. (1995) [146] et Gilbert et al. (1966) [147]. Le vanadium (en solution solide de substitution) ayant une forte affinité avec l’azote, le carbone et l’oxygène permet de réduire la teneur en impuretés. L’effet du rhénium peut être associé à la diminution de la solubilité des impuretés interstitielles dans le chrome.

Il faut toutefois noter que nos revêtements sont à priori nettement plus purs que le chrome « pur » de qualité industrielle et que l’on s’attend moins à des effets fragilisants dus aux impuretés.