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Les taxanes: historique, structure chimique, propriétés pharmacologiques et mode d’action.

L’historique des taxanes a débuté en 1962 lors d’une campagne menée aux Etats-Unis par le National Cancer Institute et le US Department of Agriculture ayant pour but la découverte de nouveaux extraits naturels de plantes potentiellement actifs contre le cancer (Kingston 2007). C’est ainsi que l’if de l’ouest (Taxus brevifolia) a été testé et que des extraits présents dans son écorce se sont révélés cytotoxiques contre des cellules de carcinomes épidermoïde KB. Quatre ans plus tard, d’autres essais ont montré que les extraits d’écorce d’if étaient également actifs contre des cellules leucémiques et en 1969, une nouvelle molécule voit le jour : le paclitaxel (Kingston 2007). Sa structure a été définie deux ans plus tard grâce à des études de résonnance magnétique nucléaire et à l’analyse par diffraction des rayons X des deux produits obtenus après traitement basique de la molécule : la 10-désacétylbaccatine III (10- DAB) et l’ester méthylique de la N-benzoylphenylisosérine (Wani et al. 1971) (Figs. 11 et 12).

Mêmes si les premières études cliniques du taxol n’ont pas été très encourageantes, les recherches ont néanmoins été poursuivies au National Cancer Institute, avec la découverte d’une activité du paclitaxel dans un modèle de mélanome B16. Puis, Horwitz et coll. ont découvert que le paclitaxel agissait sur les microtubules en 1979, ce qui a permis de rendre cette molécule célèbre dans le monde de la recherche biomédicale (Horwitz 2004). Suite à cette découverte et après plusieurs années d’études précliniques et toxicologiques, le premier essai clinique a débuté en 1984, suivi en 1992 par l’accord de mise sur le marché du paclitaxel dans les cancers de l’ovaire par la Food and Drug Administration (McGuire et al. 1989). Il faudra

! 79! en charge du cancer du sein (Holmes et al. 1991).

Dans les années qui suivirent, l’utilisation du paclitaxel s’est progressivement généralisée dans les cancers du poumon ou les sarcomes de Kaposi.

Figure'11:'Structure'chimique'du'paclitaxel

Figure'12:'Représentation'en'3'dimensions'de'la'molécule'de'paclitaxel'(extrait'de' commons.wikimedia.org'–'2013)

La paclitaxel présentait cependant un écueil de poids, à savoir sa disponibilité. En effet, il fallait abattre environ un millier d’arbres pour produire un kilogramme de paclitaxel et chaque arbre mettait environ deux siècles pour obtenir une taille « adulte » ; ceci ayant entrainé des polémiques tenaces entre écologistes et laboratoires de recherche. Afin de contrer cet inconvénient majeur, une équipe avait réussi à étudier les aiguilles de l’if commun alias Taxus baccata (et non plus son écorce) et avait démontré leur grande richesse en 10-DAB. Pour obtenir du paclitaxel, il suffisait d’y adjoindre une chaine latérale et une acétylation en C10, ce que fit cette équipe en 1988 (hémi-synthèse du paclitaxel) (Gueritte-Voegelein et al. 1991). Lors de cette hémi-synthèse, la même équipe découvrit un intermédiaire potentiellement plus efficace : le docétaxel (Gueritte-Voegelein et al. 1991).

L’une des principales différences entre ces deux taxanes se situait au niveau du

carbone10 : l’acétate (CH3COO-) du paclitaxel était remplacé par un hydroxyle (-OH),

ce qui rendait le docétaxel plus soluble dans l’eau. Le benzoate (C6H5COOH) de la chaîne latérale était en outre remplacé par un groupement tert-butylcarbonate

[(CH3)3C032-] (Figs. 13 et 14). Les premiers essais cliniques de phase I ont alors

débuté en 1990 pour finalement aboutir à une autorisation de l’utilisation du docétaxel aux Etats-Unis en 1996. ' Figure'13:'structure'chimique'du'docétaxel. O O HO OH OH O O O O O H H O OH NH O O

! 81!

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Figure'14:'représentation'en'3'dimensions'de'la'molécule'de'docétaxel'(extrait'de' commons.wikimedia.org'–'2013).

Les taxanes représentent une grande famille puisque celle-ci compte plus de 300 composés (Baloglu and Kingston 1999). Les taxanes présentent pour la grande majorité un squelette diterpénique comportant 3 cycles avec 20 atomes de carbone (Fig. 15).

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Figure'15:'squelette'des'taxanes'(d’après'R.'Aouzal.'2010).

Les taxanes possèdent un cycle A de conformation bateau déformé, possédant une double liaison en tête de pont, un cycle B à huit chaînons de conformation chaise-

bateau portant deux groupements méthyle en position pseudo-axiale, et un cycle C de conformation demi-chaise possédant une jonction trans- avec le cycle B. Ces composés comportent quatre centres quaternaires, douze centres asymétriques, et dix fonctions oxygénées (Fig. 15).

Malgré leur grand nombre, les taxanes ont pu être classés en quatre grands groupes, notamment selon la nature des fonctions oxygénée en C4-C20:

- Groupe A : ce premier groupe comprend les taxanes possédant une double liaison exocyclique en C4. On peut citer dans ce groupe la taxine B, un des alcaloïdes responsables de la toxicité de l’if commun (Fig. 16).

Figure'16:'représentation'du'groupe'1'des'taxanes'et'de'la'taxine'B'(d’après'R.'Aouzal.'2010).

- Groupe B : ce groupe comprend les taxanes présentant un groupe époxyde (atome d’oxygène ponté sur une liaison carbone-carbone) en position C4-C20. La baccatine I fait par exemple partie de ce groupe (Fig. 17).

! 83! - Groupe C : ce groupe comprend des taxanes qui possèdent un groupe oxétane (C3H6O), comme le paclitaxel ou la 10-DAB (Fig. 18). Ce cycle oxétane est une caractéristique cruciale étant donné que ce cycle est impliqué dans la fixation des taxanes du groupe C aux microtubules.

Figure'18:'représentation'du'groupe'C'des'taxanes'et'du'10PDAB'(d’après'R.'Aouzal.'2010).

- Groupe D : ce dernier groupe est celui qui compte le moins de représentants. Ces taxanes ne présentent pas le système tricyclique habituel, mais deux cycles à six chaînons et un à dix, ce qui en fait sa particularité. Par exemple, la taxine A représentée ci-dessous (Fig. 19), constitue un poison violent issu de l’if commun.

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Figure'19:'représentation'du'groupe'D'des'taxanes'et'de'la'taxine'A'(d’après'R.'Aouzal.'2010).

Le paclitaxel a comme formule brute la suivante, C47H51NO14 pour un poids

pour une masse moléculaire de 807,88 g/mol(kDa). Le taux de fixation aux protéines plasmatiques est de 89-98% et de plus de 98% pour le paclitaxel et le docétaxel, respectivement. Les deux molécules de taxanes sont très lipophiles avec une quasi- insolubilité dans l’eau. Concernant leur métabolisme, le paclitaxel et le docétaxel sont métabolisés essentiellement par le foie (CYP2C8 et 3A4). Leur demi-vie d’élimination est de 5.8h et de 86h pour le paclitaxel et le docétaxel, respectivement. Enfin, concernant leur élimination, le paclitaxel est éliminé dans les fèces et les urines alors que le docétaxel présente une élimination biliaire.

Concernant le mode d’action des taxanes, ils font partie de la famille des poisons du fuseau mitotique, au même titre que la colchicine (médicament utilisé dans la goutte), la vincristine, ou la vinblastine (tous deux utilisés en tant qu’agents anticancéreux). Cependant leur mode d’action, mis en évidence pour la première fois en utilisant le paclitaxel, semble tout à fait original (Horwitz 2004). En effet, les poisons du fuseau mitotique agissent sur le cycle cellulaire, en bloquant la division cellulaire au moment de la mitose, provoquant ainsi la mort cellulaire (Vaclavikova et al. 2004). Ainsi, les cellules à fort taux de division, dont font partie les cellules cancéreuses, sont les plus touchées par de telles molécules.

Plus précisément, les taxanes agissent sur les microtubules, les « rails » qui guident le matériel génétique de la cellule mère vers les deux cellules filles lors de la mitose. Les microtubules sont des fibres constitutives du cytosquelette. Ce sont des tubes creux de 25 nm de diamètre dont les parois sont elles-mêmes constituées de plusieurs protofilaments de tubuline (13 par microtubule). Ces protofilaments sont issus de la polymérisation de la tubuline, une protéine constituée de deux sous-unités, α et β (Fig. 20) (Gaskin, Cantor, and Shelanski 1974). En présence de paclitaxel, il y a un phénomène de stabilisation du cytosquelette des microtubules, inhibant ainsi leur dépolymérisation (Correia and Lobert 2001). Le paclitaxel se fixe dans une poche de β-tubuline, site accessible mais exposé partiellement quand la tubuline est déjà incorporée dans le microtubule (Amos 2004). Ce site de fixation est en fait situé à l’interface entre deux protofilaments adjacents (Correia and Lobert 2001). Le paclitaxel se fixe préférentiellement sur les microtubules que sur le dimère de tubuline avec une stœchiométrie d’une mole de paclitaxel par mole de dimère de tubuline

! 85! polymérisée (Parness and Horwitz 1981). Enfin, cette fixation à la tubuline polymérisée est réversible.

Figure'20:'représentation'de'la'structure'des'microtubules'(d’après'R.'Aouzal.'2010).

En se fixant dans cette poche, le paclitaxel va interférer avec la dynamique des microtubules en promouvant leur formation et en les stabilisant afin d’inhiber leur dépolymérisation. La stabilisation est accompagnée par des modifications structurales dans les microtubules, qui se traduisent notamment par une altération de la conformation des sous-unités de la tubuline, ce qui retarde ainsi la dissociation de l’hétérodimère de tubuline (Grosios et al. 1999). Cette stabilité des microtubules induite par le paclitaxel est fatale pour la cellule, du fait des perturbations induites sur les structures cytoplasmiques dépendantes des microtubules, avec par exemple des répercussions sur la mitose, le maintien de la morphologie cellulaire ou la sécrétion (Chen, Meng, and Ding 2010). Dans le cas de la mitose, le paclitaxel bloque le cycle cellulaire en phase G2 ou M en empêchant le transport des chromosomes dans la cellule en division (Amos 2004; Correia and Lobert 2001).