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Tatouage des LEVRES chez les femmes Aïnous du vieux Japon

DEUXIEME PARTIE : LES MUTILATIONS BUCCODENTAIRES INTENTIONNELLES A TRAVERS LE MONDE ET LES CIVILISATIONS

2. Mutilations des TISSUS MOUS

2.1.2. Tatouage des LEVRES chez les femmes Aïnous du vieux Japon

Définition

Les femmes aïnous, tribu japonaise de l’île d’Hokkaido située à l’extrême nord de l’archipel nippon, pratiquaient le rituel du tatouage des lèvres en bleu leur dessinant des sortes de moustaches (fig.55) (DERVAUX 2006). Les femmes aïnous portaient également plusieurs tatouages aux formes géométriques et curvilignes sur leurs bras et leurs mains.

Origines et histoire du tatouage en Asie

La pratique du tatouage en Asie (Sud du Japon, Chine, Sibérie) semble avoir été diffusée par les migrations du peuple aïnou (VAN GULIK 1983, DEFRENET 1992, HEAS 2008). En Effet, les preuves les plus anciennes prennent la forme de statuettes en argile : les Dogus, de forme généralement féminine et datant du moyen Jômon (VII° millénaire avant J.C. au III siècle avant J.C). Certaines présentent des marques de tatouages sur le visage, notamment sur le pourtour des lèvres (fig.56), ce qui permet aux ethnologues japonais d'affirmer qu'il s'agit de représentations de tatouages péribuccaux chez les femmes aïnous de Hokkaido (DERVAUX 2006). À divers moments de l'histoire, les autorités japonaises ont interdit l'utilisation des tatouages par ce peuple (et d'autres ethnies sous leur autorité, comme les autochtones de Taïwan) pour tenter de les démettre de leurs pratiques culturelles traditionnelles et de les préparer pour la suite du processus de japonisation. Le tatouage fut interdit définitivement en 1871 par les autorités de Meiji influencées par les occidentaux qui considérèrent cette pratique comme barbare et cruelle. Cette pratique ne disparut cependant que progressivement. Aujourd’hui, chez les Aïnous, la teinture des corps à l'encre ou à la suie a remplacé le tatouage pour les fêtes et les cérémonies.

Motivations

Culturelles :

Pour les femmes aïnous, le tatouage était primordial sur le plan social : arrivée de la puberté, statut marital (VAN GULIK 1982, DERVAUX 2006, HEAS 2008). Ce marquage facial intervient ainsi quand la jeune fille est nubile (entre huit et quatorze ans) et devient un signe de fidélité et de loyauté de la femme envers son mari (son tatouage péri-labial l’empêchera de critiquer son époux) (VAN GULIK 1982).

Esthétiques :

Le tatouage labial (et le tatouage en général) était strictement réservé aux femmes aïnous. Il était symbole de féminité, de beauté et de prestige (VAN GULIK 1982).

Par ailleurs, les hommes de cette tribu, réputés pour avoir une pilosité plus abondante que celle des japonais, portaient de longues barbes et moustaches. Cette pilosité les fit passer pour des « animaux » auprès des japonais qui en profitèrent pour multiplier les razzias dans les villages, enlevant et violant les femmes.

Figure 57 : Différents motifs de tatouages péri-labiaux aïnous ( VAN GULIK 1982)

Figure 58 : Makiri, couteau pour tatouage aïnou (iconothèque du musée du Quai Branly)

se faire passer pour des hommes et échapper ainsi aux incursions (VAN GULIK 1982). Religieuses :

Chez les Aïnous, les tatouages possédaient un sens religieux : ils protégeaient contre les démons et étaient garants d’une vie heureuse dans l’au-delà. En effet, la suie n’est pas seulement considérée comme une substance colorante. Selon ce peuple, elle possèderait un rôle sacré car étroitement liée à Kamuy (dieu du feu) une des plus importantes divinités aïnous (VAN GULIK 1982). Huci-Kamuy protège la famille, éloigne les maladies et est invoqué lors des naissances et des décès. Le tatouage labial représentait donc un signe de bonne santé. Le tatouage des sourcils, autre artifice féminin aïnou, exposerait au risque de cécité s’il venait à s’effacer.

Différents motifs

VAN GULIK (1982) répertorie plusieurs motifs de tatouages péri-labiaux (fig.57). Il peut s’agir d’une simple bande encerclant le pourtour des lèvres, surmontée ou non d’un chapelet circonférentiel. Les extrémités au coin des lèvres peuvent être également retroussées plus ou moins légèrement donnant l’aspect de véritables moustaches.

Technique

Le peuple aïnou n’utilisait pas d’aiguille pour effectuer leurs tatouages mais un petit couteau aiguisé comme un rasoir appelé MAKIRI (fig.58) avec lequel la peau était incisée (VAN GULIK 1982). Le manche de cet instrument est finement sculpté avec des motifs zoomorphes et apotropaïques conjurant le mauvais sort et détournant les influences maléfiques.

L’opérateur était traditionnellement la grand-mère ou la tante maternelle. Cette coutume ancestrale s’effectuait donc selon un mode matrilinéaire.

Les lèvres de la jeune fille étaient nettoyées à l’aide d’une solution d’écorce de bouleau (« iwa-ni ») ou de fusain d’Europe (« komke-ni ») bouillie (VAN GULIK 1982). Cette décoction ou « nire », de couleur verdâtre, possédait des vertus antiseptiques. Les Aïnous lui prêtaient aussi un pouvoir hémostatique. Ils s’en servaient donc avant, pendant et après l’intervention. La tatoueuse procédait, en respectant bien le contour des lèvres, à de rapides incisions dessinant ainsi une moustache parfaitement symétrique. Ce marquage requière, on peut l’imaginer, une incroyable dextérité. Pour obtenir cette couleur bleutée, les femmes raclaient les cendres ou « supash » situées sur la surface externe du chaudron contenant le « nire ». Le « supash » est donc composé à la fois de cendres issues de la combustion du bouleau mais également de particules métalliques provenant du récipient et responsables de la couleur noire bleutée. Cette suie était ensuite appliquée au doigt sur les scarifications. Des retouches étaient nécessaires pour améliorer le tatouage et selon VAN GULIK (1982) il fallait deux années pour le terminer. Durant la cérémonie, des incantations étaient prononcées et répétées par l’opératrice afin d’invoquer Huci-Kamuy et éloigner les esprits maléfiques, telles que :

« pas ci-yay, roski, roski, pas ren-ren »

Figure 59 : A droite jeune fille peule (Mali) à la lèvre inférieure tatouée ; à gauche il s’agit d’une femme mariée car son tatouage est étendu à l’ensemble des lèvres et de la zone cutanée péri-labiale

(NORBERT 2009)

Figure 60 : Début XX° siècle, lèvres et menton d’une femme maor i, décorés par un tatouage aux formes géométriques (GENDREAU)

Conséquences et complications

Aucune information concernant d’éventuelles complications n’est relevée dans la littérature. Cependant, compte tenu des conditions d’asepsie employées, nous pouvons évoquer le risque de transmission de pathogènes infectieux et d’infections locales. Les réactions allergiques, dues aux pigments métalliques contenus dans le « supash », peuvent également être envisagées.

Autres répartitions géographiques et temporelles du tatouage labial

Au Mali, les femmes peules pratiquent le tatouage des lèvres (le « tani ») et du contour de la bouche (le « samasuma ») en plus du tatouage gingival (le « dakudi ») (GUILHEM 2009). Ces parures épidermiques noires permettent de créer un contraste avec la blancheur de l’émail dentaire. Outre la recherche esthétique, ce tatouage est une véritable initiation (puberté, mariage) (MILET 2007). En effet, il est pratiqué dès la puberté chez les jeunes filles se limitant alors à la lèvre inférieure puis une fois la jeune femme mariée, il s’étend à la lèvre supérieure et au pourtour labial (fig.59).

Dans la civilisation Maori (Nouvelle Zélande), le tatouage tribal appelé moko, s’effectuait sur le visage et était lourd de signification (SIMMONS 1997). Au delà de sa fonction d’embellissement, il permettait d’identifier le rang social de l’individu, de connaître ses origines ancestrales et était réalisé lors de rites initiatiques (mariage, entrée dans la puberté, etc.). Traditionnellement, le moko féminin (section warunga du moko) était circonscrit aux lèvres et au menton (fig.60) contrairement à celui des guerriers qui recouvraient entièrement leur visage. Les motifs étaient généralement spiralés. Il s’agissait en réalité, comme le tatouage aïnou, de scarifications (entailles réalisées dans la chair) colorées ensuite avec de l’encre.

Figure 61 (à droite) : Femme mursi portant un plateau labial inférieur ajouré (PESSONALO 2006)

Figure 62 (à gauche) : Femme surma portant un labret inférieur trapèzoide (LOSTAL 2008)

Figure 63 : 1925, femme sara-djinguée à double plateau labial (iconothèque du musée du Quai Branly)

2.2

P

ERFORATION

et

ETIREMENT

des lèvres : le labret des femmes « à plateaux »