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CHAPITRE I CADRE THÉORIQUE ET DÉLIMITATION DU TERRAIN D’ÉTUDE

CHAPITRE 6 TAILLE DES VILLES ET INSERTION DANS LES RÉSEAUX DE

L’intégration dans l’économie-monde des villes centre-est européennes se reflète dans les orientations variées prises par les flux économiques depuis 1989. Contrairement à ce que pourrait impliquer le modèle centre-périphérie, ces flux ne révèlent pas l’existence d’une dépendance à l’égard de la seule Europe occidentale. Certes d’une importance moindre de nos jours par rapport aux échanges avec les villes de l’Union européenne (hors PECO), les liens du passé communiste ont perduré après la période de transition des années 1990. Ils se sont même diversifiés durant les années 2000.

Ce chapitre propose d’étudier les interactions des villes centre-est européennes dans le cadre de liens capitalistiques entre firmes transnationales à plusieurs niveaux, définis et modélisées sous forme de graphes. Les orientations de ces liens multi-niveaux, leur structure générale, mais aussi la spécialisation économique des villes centre-est européennes impliquées dans ces liens seront examinées, tout en envisageant le rôle des petites, moyennes et grandes villes sous chacun de ces aspects. L’objectif est d’analyser les différentes formes d’intégration des villes dans l’économie-monde.

1. Les liens capitalistiques multi-niveaux

Les chapitres précédents ont montré que les liens capitalistiques issus de firmes des espaces post-communiste et centre-est européen représentaient, en 2013, respectivement 0,3 % et 5,3 % des revenus d’investissements directs à l’étranger générés par l’ensemble des firmes étrangères en Europe centrale et orientale. Les liens post- communistes, principalement originaires de Moscou, étaient liés à des filiales de Lukoil ou Gazprom, géants pétroliers en Roumanie (Pliotesti, Campia Turzi) et en Bulgarie (Ruse, Bourgas). Cependant, les liens analysés jusqu’à présent étaient des liens directs. Aussi, ces faibles revenus générés nous amènent à envisager une autre forme de contrôle des firmes centre-est européenne que nous définirons par la suite : le contrôle indirect.

196 1.1 Décomposition des liens

Une décomposition des liens capitalistiques a été réalisée, à l’image des travaux sur les liens de contrôle en provenance de l’étranger des firmes en France (Finance, 2016). Afin de ne considérer que les liens transnationaux, cette étude ne prend pas en compte les liens unissant les sièges et établissements au sein d’un pays centre-est européen. Cette décomposition a conduit à identifier les liens selon le schéma suivant : une firme étrangère (niveau N) contrôle le capital d’une firme en Europe centrale et orientale (niveau N-1). Cette dernière possède elle-même le capital d’une autre firme (niveau N-2) (Encadré 6.1)75.

Encadré 6.1 Décomposition des liens de contrôle du capital des firmes en Europe centrale et orientale en plusieurs niveaux

Source : réalisé par l’auteur à partir de la base de données ORBIS

Le niveau N-2 se décline en plusieurs orientations des liens de contrôle vers :

 une autre firme d’un autre pays de l’espace centre-est européen (1) ;

 une firme de l’Union européenne (hors PECO) (2) ;

 une firme de l’espace post-communiste (3) ;

 une firme hors de l’Europe (4).

75 ORBIS permet d’aller au maximum jusqu’au niveau N-3 pour ce type de liens en Europe centrale et orientale.

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L’ensemble de ces liens sera desormais dénommé chaînes de contrôle de capital, ou liens capitalistiques multi-niveaux. Nous parlerons de leurs orientations par la suite en considérant la ville où se localise la firme en N-2 (cas 1, 2, 3, 4, Encadré 6.1).

Cette décomposition permet de caractériser les villes centre-est européennes en N-1. Elle conduit à émettre une observation importante : la destination privilégiée du contrôle du capital par les firmes de l’espace centre-est européen au niveau N-2 est représentée par ce même espace (Tableau 6.1).

Tableau 6.1 Implication des firmes centre-est européennes en N-1 dans différentes orientations des liens en N-2

% des liens s'orientant vers des

firmes en N-2 de l'espace : PECO (1) 62 UE hors PECO (2) 26 Post-communiste (3) 8 Hors de l'Europe (4) 4 Total 100

Source : réalisé par l’auteur à partir de la base de données ORBIS

Ainsi, selon cette approche, les firmes centre-est européennes en N-1 impliquées dans ces chaînes sont particulièrement actives dans le cadre de contrôle de capital d’autres firmes centre-est européennes –, ce qui n’a pas pu être relevé auparavant. Par ailleurs, elles sont également liées à d’autres firmes de l’Union européenne, représentant 26 % des liens qu’elles génèrent.

L’analyse des liens capitalistiques multi-niveaux révèle la complexité des réseaux de firmes transnationales, dépassant d’ailleurs les informations disponibles dans les bases de données. L’exemple de Chypre illustre cette complexité. Quelques liens très minoritaires en direction des firmes russes en N-2 révèlent ainsi la présence de firmes originaires de Chypre au niveau N (Tableau 6.2). Or, Chypre est considérée comme un paradis fiscal et un relais important pour les firmes russes (Rozenblat, Di Lello, 2014).

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Tableau 6.2 Exemples de liens de contrôle multi-niveaux en provenance de firmes chypriotes en N

N N-1 N-2

NOM VILLE NOM VILLE NOM VILLE

OTP Holding LTD Akrotiri OTP Travel KFT Budapest OTP Travel LTD Moscou Calgeron

Investment Nicosie Rovese S.A. Kielce Avtis LLC Moscou

Source : réalisé par l’auteur à partir de la base de données ORBIS

Par exemple, la firme OTP holding limited, localisée à Akrotiri au niveau N et dont la filiale à Budapest, possède le capital d’OTP Travel Ltd à Moscou en N+1, fait en réalité partie du groupe bancaire hongrois OTP, ayant pour siège Budapest. Ainsi, OTP bénéficie d’exemptions fiscales par l’intermédiaire de la firme à Nicosie. Par ailleurs, comme la ville d’Akrotiri accueille l’une des dernières bases millitaires britanniques à Chypre, il est possible de supposer que certaines firmes chypriotes peuvent en réalité être des sociétés-écrans pour des firmes, par exemple britanniques, qui contrôleraient celles- ci à un niveau supérieur à N (en N+1).

De la même manière, Calgeron Investment LTD, firme située à Nicosie (au niveau N), est en réalité une société-écran de Calgeron Investment, un fonds d’investissement écossais d’Edinbourg. Rovese S.A., située à Kielce (au niveau N-1 de ce lien), contrôlait, quant à elle, la firme Avtis LLC, située à Moscou et spécialisée dans la production de carrelage en céramique. Toutefois, selon les renseignements figurant sur son site Internet, il ne s’agit pas de la seule firme que Rovese S.A. possède de nos jours : Cersanit Romania S.A. en Roumanie, Cersanit Invest LLC en Ukraine, Syzranskaja Keramika S.A. et Frianovo Ceramic Factory LLC en Russie font également partie de ses acquisitions.

Au délà des limites inhérentes à la complexité des montages financiers, l’étude des liens de contrôle indirect révèle néanmoins des informations sur les villes d’Europe centrale et orientale.

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1.2 Modélisation sous forme de graphes

La théorie des graphes permet de modéliser un réseau sous forme de sommets ou

nœuds et d’arrêtes, appellées également arcs ou liens dans un espace défini par des

propriétés non-géographiques76 (Dancoisne-Pruvost, 1984 ; Beauguitte, 2010a, 2010b). Les nœuds peuvent correspondre à des individus ou des entités géographiques, comme des villes, alors que les liens correspondent par définition à la mise en relation des nœuds, par exemple des flux commerciaux entre des pays ou des navettes domicile- travail. Un graphe est orienté si la direction des liens est bien déterminée à l’avance, et non-orienté dans le cas inverse (Haggett, Chorley, 1967).

Dans notre cas, des villes (les nœuds) sont reliées par des flux capitalistiques (les liens) entre firmes, rapportées aux villes-sièges. L’orientation des liens est determinée par la provenance et la destination de la firme en N et N+2. Une agrégation des chaînes, dont les liens capitalistiques passent par la même ville en N-1, a été réalisée selon les revenus d’IDE générés dans cette ville même si les villes en N et N-2 ne sont pas forcément les mêmes (Figure 6.1).