• Aucun résultat trouvé

Afin de tracer les contributions relatives des archées et des bactéries dans la MO des sédiments de l’estuaire de Seine, une analyse des tetraéthers de glycérol a été menée. Les tetraéthers de glycérol d’origine archéenne (6 composés ; I à VI, les structures sont présentées dans le chapitre 1 page 62) et bactérienne (VII à IX, les structures sont présentées dans le chapitre 1 page 62) ont été identifiés dans la fraction polaire de l’ensemble des échantillons de sédiment. La quantité totale en tetraéthers isopréniques est comprise entre 9,5 et 166,6 µg/gCorg, avec une tendance globale à l’augmentation de Rouen vers La Carosse (Figure 80). Une tendance comparable (augmentation de la concentration en tetraéthers isopréniques de l’amont vers l’aval) a été observée dans les sédiments de l’estuaire des Perles

- 162 -

et de la rivière Jaune, causée par une production de MO par des Thaumarchées marine dans le milieu (Zhu et al., 2011; Wu et al., 2014). La quantité de tetraéthers ramifiés varie quant à elle 17,6 et 287,5 µg/gCorg et avec une tendance globale à la diminution le long de l’estuaire, si l’on excepte la carotte de sédiment prélevée à Fatouville en septembre 2015 (Figure 80). Aucune tendance des concentrations en tetraéthers avec la profondeur n’est observée dans l’ensemble des carottes (Figure 80).

Figure 80 : Variation de la quantité en tetraéthers isopréniques et de tétraéthers ramifiés dans l’ensembles des carottes de sédiment de l’estuaire de Seine.

Le rapport des tetraéthers bactériens sur les tetraéthers archéens a été calculé, afin d’estimer les variations de contributions relatives de ces deux domaines de microorganismes (Figure 81). Ce dernier montre des valeurs très élevées à Rouen ce qui suggère que les tetraéthers bactériens y sont prédominants. Ce rapport diminue rapidement dans le bouchon vaseux puis à l’embouchure de l’estuaire, où les tetraéthers archéens deviennent prédominants. Ce changement de communautés microbiennes dans les sédiments de l’estuaire a également été observé en mesurant les quantités d’ARNr 16S bactériens et archéens. Ces analyses, réalisée sur trois sédiments de surface en avril 2016, montre une augmentation de la biomasse archéenne par rapport à la biomasse bactérienne à l’aval de l’estuaire (Huguet et al., 2018).

- 163 -

Figure 81 : Evolution du rapport des tétraéthers ramifiés produits par les bactéries sur les tétraéthers isoprénique, produits par les archées le long de l’estuaire de Seine pour différentes profondeurs.

La distribution des tetraéthers bactériens dans l’ensemble des échantillons varie peu (Figure 82). Les tetraéthers bactériens prédominants sont les composés acycliques VII, VIII et IX, comme observé classiquement dans la littérature (Loomis et al., 2011). Deux types d’isomères des tetraéthers bactériens sont actuellement connus : les 5-méthyl et les 6-méthyl. Pour préciser l’isomérie, une apostrophe est rajoutée (e.g. VIIa’). Dans l’ensemble des sédiments, les isomères 6-méthyl dominent (Figure 82). Cette tendance est observée généralement dans les milieux aquatiques (De Jonge et al., 2015). A l’inverse, la distribution des tetraéthers archéens diffère en fonctions des sites : à Rouen, seul le tetraéther I domine, alors que dans les autres carottes, les composés I et VI dominent (Figure 82). Ce changement de distribution a également été observé dans l’estuaire du Yangtze (Chine), le composé I étant prédominant dans la rivière, et le tetraéther VI devenant plus abondant en aval (Zhu et al., 2011). Il reflète un changement de diversité archéenne le long de l’estuaire. En effet, le composés VI (crenarchaeol) est spécifique d’une espèce d’archées, les Thaumarchées. Le composé I est lui prédominant chez les archées méthanogènes. Sur cette base, le rapport des tetraéthers I/VI a été proposé pour déterminer les communautés archéennes prédominantes dans les échantillons naturels (Blaga et al., 2009). En effet, les archées méthanogènes biosynthétisent les tetraéthers I à V, les Thaumarchées produisant en plus le composés VI (Schouten et al., 2002). Les valeurs du rapport I/VI > 2 témoignent d’une prédominance des archées méthanogènes dans les sédiments (Blaga et al., 2009). Dans la carotte de Rouen, ce rapport

- 164 -

est en moyenne de 4,2 ± 0,2 montrant que les tetraéthers isopréniques y sont majoritairement issus d’archées méthanogènes. A l’inverse, le rapport I/VI est de 1,0 ± 0,1 au niveau des autres sites, indiquant que les Thaumarchées sont les archées prédominantes à l’aval de l’estuaire. Une prédominance d’archées méthanogènes dans les sédiments de rivières ainsi que leur disparition en aval, dans la zone côtière a également été observé dans l’estuaire du Yangtze (Zhu et al., 2011).

Figure 82 : Exemple des deux types de distribution des tétraéthers isopréniques observés dans les sédiments de l’estuaire de Seine (haut) et exemple de la distribution des tétraéthers ramifiés (bas).

Enfin, l’indice BIT a été calculé pour l’ensemble des sédiments (voir 1.5.2). Cet indice permet d’estimer la proportion de MO issue des sols par rapport à celle produite dans la colonne d’eau en prenant l’hypothèse que les tetraéthers bactériens sont produits exclusivement dans les sols et que le crenarchaeol n’est produit que dans la colonne d’eau (Hopmans et al., 2004).

- 165 -

Des valeurs proches de 1 témoignent d’un apport important de MO des sols alors que des valeurs de 0 témoignent d’une MO purement aquatique (Hopmans et al., 2004). Le BIT diminue progressivement le long de l’estuaire (Figure 83) avec des valeurs proches de 1 à Rouen et des valeurs autour de 0,5 à La Carosse. Ceci suggère qu’en amont de l’estuaire de Seine, la MO sédimentaire provient majoritairement des sols, alors que dans la zone aval, il s’agit plutôt d’un mélange de MO des sols et aquatique. Une telle diminution du BIT est classique dans les milieux côtiers (Strong et al., 2012; De Jonge et al., 2015). Toutefois le BIT doit être interprété avec précaution : il est possible d’avoir une production in situ de tétraéthers bactériens dans la colonne d’eau (Liu et al., 2014) et des apports de tetraéthers archéens provenant des sols. L’indice BIT est également très fortement corrélé au δ13C de la MO sédimentaire (ρ = -0,84, p < 0,01) témoignant du mélange des masses d’eaux continentales et marines.

Figure 83 : Evolution de l’indice BIT pour toutes les profondeurs dans l’ensemble des carottes de sédiment de l’estuaire de Seine.

- 166 -

4.3 Conclusions

Les biomarqueurs lipidiques ont permis d’aborder l’étude de la dynamique de la MO dans l’estuaire de Seine au niveau moléculaire. Plusieurs sources naturelles de MO ont pu être identifiées dans les sédiments : les végétaux terrestres, les algues (dont une partie de la MO est produite par des diatomées et des dinoflagellés) et les microorganismes. Une contribution des macrophytes à la MO est également à prendre en compte, bien que la distinction avec la MO des végétaux terrestres soit difficile. La contribution en MO provenant des végétaux terrestres semble importante tout le long de l’estuaire de Seine ce qui témoigne d’une exportation de cette dernière jusqu’en baie de Seine. La proportion en MO aquatique produite par des algues est plus importante dans les sédiments de surface de La Carosse (avril 2016 ; Figure 84). Enfin, des changements des communautés microbiennes ont pu être détectés à l’aide des biomarqueurs : les tetraéthers archéens deviennent de plus en plus abondants vers l’aval par rapport aux tetraéthers bactériens. En parallèle, un changement des communautés archéennesarchéennse le long de l’estuaire de Seine a été mis en évidence : des archées méthanogènes abondantes en amont, et des Thaumarchées plus abondantes en aval. De plus, une source anthropique de la MO a pu être détectée : il s’agit de la MO émise par les stations d’épurations. Cette dernière n’avait pas pu être détectée par les analyses plus globales à cause de la superposition de leurs signaux avec les sources naturelles. Ainsi, les analyses moléculaires semblent nécessaires afin de bien déterminer les sources anthropiques de la MO.

- 167 -

La composition de la MO varie avec la profondeur dans l’ensemble des carottes avec une MO qui semble dérivée d’un matériel plus algaire en aval et en surface des sédiments (Figure 84). Le long des carottes, la MO se dégrade, probablement en raison du changement des conditions environnementales (les sédiments sont anoxiques passés les 2 à 3 premiers millimètres ; Huguet et al., 2018). Cette dégradation semble également plus intense pour la MO aquatique que pour la MO terrigène, enrichissant rapidement les sédiments en MO terrigène avec la profondeur.

Le long de l’estuaire, les sédiments de surface s’enrichissent en MO aquatique, notamment à l’aval. A l’inverse, la MO terrigène, bien que moins importante à l’aval, reste néanmoins une part importante de la MO de l’estuaire de Seine. Enfin, la part de MO anthropique est importante à Rouen et diminue rapidement vers l’aval (Figure 84).

L’analyse préliminaire des stérols contenus dans la MOP a permis de révéler de très grandes différences de composition avec le sédiment. En effet, la MOP est enrichie en MO aquatique dans les deux sites étudiés, particulièrement à La Carosse (Figure 84). Ainsi, la MOP contiendrait un matériel plus labile que le sédiment de surface et encore plus que le sédiment profond. Toutefois, ces interprétations seront à confirmer lors de l’analyse des lipides de l’ensemble des échantillons de MOP.

- 169 -

C

HAPITRE

5 : L

A COMPOSITION

(

MACRO

)

MOLECULAIRE

Documents relatifs