• Aucun résultat trouvé

Les systèmes toxine-antitoxine

Dans le document en fr (Page 50-58)

a. Caractéristiques communes

Les systèmes toxine-antitoxine (STA) sont des systèmes de mort autoprogrammée exprimés par les bactéries et les archées constitués de deux composants : une toxine stable de type protéique dont la surexpression ectopique tue les bactéries ou induit une stase bactérienne et d’une antitoxine instable qui neutralise l’action de la toxine. Dans certaines conditions, l’antitoxine labile est dégradée favorisant l’action de la toxine en inhibant des processus cellulaires essentiels comme la traduction, la réplication et la synthèse de la paroi cellulaire. Afin de neutraliser cette toxicité, l’antitoxine doit donc être continuellement synthétisée par la bactérie. Ces STA sont classés en six types en fonction de la nature et du mécanisme d’action des antitoxines. Les STA de type I et III regroupent les antitoxines de type ARN, alors que les types II, IV, V et VI regroupent les antitoxines de type protéique.

Les STA ont été identifiés pour la première fois comme des modules intervenant dans le maintien de plasmides. Les trois premiers systèmes décrits appartenant tous au type I sont : ccdAB localisé sur le plasmide F chez E. coli (Ogura & Hiraga, 1983, Jaffe et al., 1985), hok-sok appartenant au locus parB et kis-kid appartenant au locus parD localisés sur le plasmide R1 de E. coli (Gerdes et al., 1986b, Bravo et al., 1987). Après la division cellulaire, les cellules filles dépourvues de ces plasmides ne peuvent plus se réapprovisionner en antitoxine, laissant la toxine libre d’entraver un processus cellulaire essentiel comme la réplication de l’ADN, la traduction ou encore la synthèse de peptidoglycane avec pour conséquence un arrêt de la croissance bactérienne. Ainsi, l’élimination spécifique des cellules dépourvues de plasmides, appelée « mort post- ségrégationnelle » ou PSK (Post-Segregational Kiling) (Gerdes et al., 1986a) favorise le maintien des plasmides dans la population bactérienne (Figure 15).

50

Figure 15 : Mécanisme de « mort post-ségrégationnelle » ou PSK. Contrairement aux

plasmides PSK-, au cours de la division cellulaires les cellules filles qui ne reçoivent pas le plasmide PSK+, porteur du STA, n’expriment plus l’antitoxine labile et sont alors éliminées par la toxine qui est stable. Seules les cellules filles possédant le plasmide survivent, favorisant ainsi le maintien du plasmide PSK+ dans la population bactérienne. Ainsi la présence du STA sur le plasmide lui confère un avantage sélectif par rapport à un plasmide PSK-. (Adapté de (Van Melderen & Saavedra De Bast, 2009))

Plus tard, de nombreux STA ont également été découverts sur le chromosome bactérien (Van Melderen & Saavedra De Bast, 2009, Gerdes et al., 2005, Pandey & Gerdes, 2005). Les STA chromosomiques n’interviennent pas dans le maintien de plasmides, cependant, les analyses bio-informatiques montrent qu’un certain nombre d’entre eux sont intégrés sur les EGM, comme les îlots de pathogénie ou les intégrons (Makarova et al., 2009, Cambray et al., 2010). Comme les STA plasmidiques, ces STA peuvent contribuer au maintien de ces éléments génétiques à l’intérieur du chromosome bactérien, contribuant ainsi à la dispersion des gènes de résistance ou des facteurs de virulence localisés sur ces EGM (Hernandez-Arriaga et al., 2014). Des études suggèrent également un rôle altruiste des STA chromosomiques, qui induiraient une mort autoprogrammée d’une fraction de la population bactérienne pour permettre à la population générale de survivre dans des conditions de croissance difficiles (Yarmolinsky, 1995, Aizenman et al., 1996). La stabilité différentielle de la toxine et de l’antitoxine est une stratégie simple mais efficace exploitée par les bactéries pour de nombreuses fonctions dans la physiologie bactérienne. En effet, des STA ont d’ores et déjà été associés à la réponse aux stress, la protection contre les phages ou au contraire le maintien des phages, la formation de biofilm ou encore la persistance. Ils constituent également une arme potentielle dans la pathogénie bactérienne (Otsuka, 2016, Lobato-Marquez et al., 2016).

51

b. Six types de systèmes toxine-antitoxine

Les STA de type I

Pour les STA de type I, l’antitoxine de type ARN possède une complémentarité de séquence avec l’ARNm codant la toxine. Après la formation d’un complexe par appariement de base, l’antitoxine est capable d’activer la dégradation de l’ARNm de la toxine et/ou d’inhiber la traduction de l’ARNm de la toxine (Figure 16).

Figure 16 : Principales caractéristiques des STA de type I. Toxine (T) et antitoxine (A) sont indiqués en rouge et bleu, respectivement. L’antitoxine est un ARN antisens qui s’apparie avec l’ARNm codant la toxine. Le duplex est ciblé par des RNAses inhibant la traduction de la toxine. Abréviation : SD, séquence Shine-Dalgarno. Adapté de (Lobato-Marquez et al., 2016).

Mon travail de thèse porte sur l’étude fonctionnelle d’un STA de type I. Pour cette raison, ils seront décrits plus en détail ultérieurement.

Les STA de type II

Les STA de type II regroupent le plus de loci et sont de loin les plus étudiés. Comme l’ensemble des STA, ils sont généralement composés de deux gènes qui sont ici organisés en opéron. Le gène de l’antitoxine précède celui de la toxine et les deux sont transcrits à partir d’un seul et même promoteur localisé en amont du gène de l’antitoxine (Leplae et al., 2011). La plupart du temps, les deux gènes sont légèrement chevauchants indiquant une traduction couplée des deux gènes. L’organisation de l’opéron ne doit rien au hasard : elle permet de faire en sorte que l’antitoxine soit toujours transcrite et traduite avant l’initiation de la synthèse de la toxine (Chan et al., 2016).

En condition normale de croissance, la protéine antitoxine se fixe à la protéine toxine pour préserver la cellule de sa nuisance. Cependant, l’antitoxine, peu structurée (Cherny et al., 2005), est particulièrement sensible à la dégradation par les protéases de l’hôte. Ainsi, le clivage de l’antitoxine libère la toxine lui permettant d’agir sur ses cibles cellulaires.

L’antitoxine de type II empêche la toxicité de la toxine grâce à un domaine de fixation qui ne se structure que suite à la formation du complexe toxine-antitoxine. Souvent, l’antitoxine s’enroule autour de la toxine pour l’inactiver en bloquant ou masquant les sites

52

actifs de la toxine (Boggild et al., 2012, Schureck et al., 2014) : c’est le cas de MazF, décrit pour la première fois chez E. coli et découvert chez S. aureus (Kamada et al., 2003, Schuster et al., 2015, Schuster & Bertram, 2016). La structure cristallographique du complexe MazE/MazF chez E. coli révèle une structure en hétérohexamère étendue composée d’une alternance d’homodimères de toxine et d’antitoxine (MazF2-MazE2-

MazF2)(Kamada et al., 2003).

D’autres antitoxines inhibent l’activité de la toxine en perturbant leur structure, comme l’antitoxine RelB (Li et al., 2009), ou en se fixant loin du site actif pour verrouiller la toxine dans une conformation ouverte inactive, comme l’antitoxine HipB (Schumacher et al., 2009).

Les antitoxines de type II répriment également la transcription de leur propre opéron par fixation directe sur le site opérateur, en plus de cibler leur toxine. Seules, elles n’ont qu’une action limitée sur leur propre régulation, en revanche, une répression totale est généralement observée en présence du complexe toxine-antitoxine. En effet, la fixation de la toxine sur l’antitoxine favorise sa capacité à fixer l’ADN. La toxine, qui n’est pas capable de fixer l’ADN en amont de l’opéron, a ici un rôle de corépresseur en modifiant la conformation du complexe antitoxine-ADN (Hayes & Kedzierska, 2014, Chan et al., 2016) (Figure 17).

Figure 17 : Principales caractéristiques des STA de type II. Toxine (T) et antitoxine (A) sont indiquées en rouge et bleu, respectivement. L’antitoxine est une protéine qui bloque l’activité de la toxine par une interaction protéine-protéine directe. Dans la plupart des cas, le complexe T-A se fixe au promoteur pour réprimer efficacement la transcription des deux éléments. L’antitoxine seule peut aussi fixer et réprimer son propre promoteur, mais moins efficacement qu’en combinaison avec la toxine. Les niveaux d’antitoxine sont minutieusement contrôlés par les protéases. Abréviation : SD, séquence Shine- Dalgarno. Adapté de (Lobato-Marquez et al., 2016).

Les toxines de type II peuvent être divisées en six groupes en fonction de leur homologie de structure (Blower et al., 2011). Elles peuvent cibler différentes structures cellulaires et des procédés moléculaires essentiels entravant ainsi les activités cellulaires (Hayes & Van Melderen, 2011, Kedzierska & Hayes, 2016). La grande majorité des toxines de type II agissent comme des endoribonucléases qui inhibent la traduction (Yamaguchi et al., 2011) : c’est le cas de la toxine MazF qui clive les ARNm libres de manière séquence spécifique (Zhang et al., 2003). D’autres toxines de type II inhibent la traduction bactérienne

53

par d’autres mécanismes décris dans le chapitre consacré à la régulation de la traduction. Enfin, les toxines de type II CcdB et ParE agissent par inhibition de la réplication de l’ADN (Bernard & Couturier, 1992, Yuan et al., 2011) et les toxines ζ et PezT empêchent la synthèse de la paroi bactérienne (Mutschler et al., 2011).

Des STA de type II ont déjà été impliqués dans le maintien d’EGM (Van Melderen & Saavedra De Bast, 2009), la mort cellulaire autoprogrammée (Engelberg-Kulka et al., 2006), l’inhibition globale de la traduction (Christensen et al., 2001), la persistance (Correia et al., 2006), la formation de biofilm (Kim et al., 2009, Mutschler et al., 2011, Wood & Wood, 2016) ; Bloom-Ackermann, 2016) ou encore la virulence (Wood & Wood, 2016, Chan & Espinosa, 2016). La délétion du STA pezAT exprimé par Streptococcus pneumoniae présente une résistance accrue aux antibiotiques de la famille des β-lactamines. PezAT pourrait participer à l’équilibre subtile entre la perte de fonctions, comme la résistance aux β-lactamines et l’acquisition d’autres fonctions, comme la virulence (Chan & Espinosa, 2016).

Quatre STA de type II sont exprimés par S. aureus. Le STA plasmidique PemIKSa où

la toxine PemKSa est une ribonucléase spécifique de la séquence nucléotidique UAUU et

PemISa, l’antitoxine qui inhibe la toxine par interaction dans le but de maintenir le plasmide au

sein de S. aureus (Bukowski et al., 2013). Le STA MazEF est exprimé à partir de l’opéron mazEF-rsbUVW-sigmaB (Donegan & Cheung, 2009). La toxine MazF est une ribonucléase spécifique des séquences UACAU présentent sur les ARNm codant par exemple pour la δ- hémolysine, la protéine A et sigmaB (Fu et al., 2009). Une étude récente a permis de montrer une implication du STA MazEF dans la tolérance de S. aureus aux antibiotiques de la famille des β-lactamines (Schuster et al., 2015). Le STA YefM/YoeB est exprimé en deux copies par S. aureus où YoeB est une RNase dépendante du ribosome qui inhibe la traduction et la croissance de S. aureus (Larson & Hergenrother, 2014). La délétion des trois STA MazEF et les deux STA de YefM/YoeB n’a pas permis de mettre en évidence de phénotype particulier (Conlon et al., 2016). Enfin, S. aureus exprime le STA Omega/Epsilon/Zeta où la toxine Zeta est inhibée par l’antitoxine Epsilon et où Omega est une protéine impliquée dans la régulation de l’expression de l’opéron (Locke et al., 2012). La fonction biologique associée à ce STA n’a pas encore été élucidé chez S. aureus mais il est probable que la toxine Zeta inhibe la synthèse du peptidoglycane en phosphorylant le précurseur uridine diphosphate-N-acétylglucosamine conduisant à l’autolyse de la bactérie (Mutschler et al., 2011).

54

Figure 18 : Mode d'action de la toxine ToxN exprimée par la bactérie à Gram négatif Pectobacterium atrosepticum. L’opéron biscitronique est représenté avec les barres noires et blanches indiquant les boîtes -35 et -10 du promoteur et avec l’antitoxine ToxI en rouge et la toxine ToxN en bleu. La transcription de l’opéron permet la synthèse de l’ARNm toxIN et, par conséquent, l’expression de la toxine ToxN. ToxN agit comme une ribonucléase dirigée contre des cibles cellulaires générales et sa propre antitoxine ToxI dont les fragments sont capables de neutraliser directement ToxN (Adapté de (Brantl & Jahn, 2015)).

Les STA de type III

Le premier STA de type III, toxN/ToxI, a été découvert sur le plasmide pECA1039 chez Pectobacterium atrosepticum (Fineran et al., 2009). Le second STA de type III à avoir été bien décrit est abiQ/AntiQ découvert récemment chez Lactococcus lactis (Samson et al., 2013).

Au niveau génétique, les STA de type III sont organisés en opérons bicistroniques où la toxine et l’antitoxine sont transcrits à partir d’un même promoteur situé en amont du gène de l’antitoxine. Un terminateur transcriptionnel Rho-indépendant, localisé entre les deux gènes, garantit l’expression en excès de l’antitoxine par rapport à la toxine (Goeders et al., 2016, Belanger & Moineau, 2015). L’antitoxine dans sa forme complète est une succession de séquences répétées, cependant, une seule séquence est nécessaire pour réprimer la toxicité de la toxine (Blower et al., 2011, Fineran et al., 2009, Samson et al., 2013). C’est la toxine elle-même, par son activité endoribonucléase spécifique de la séquence nucléotidique, qui clive l’antitoxine en monomères. Dans l’exemple de toxN/ToxI, le locus contient le gène toxI composé de 5,5 répétitions en tandem de 36 nucléotides de l’antitoxine ToxI suivi du gène toxN codant pour la toxine ToxN de 19,7 kDa avec un terminateur transcriptionnel Rho-independant entre les deux gènes. La structure cristalline du complexe ToxI-toxN a révelé un complexe hétérohexamérique triangulaire composé de trois monomères de ToxI et de trois protéines ToxN. La formation de ce complexe est donc responsable de l’inhibition de la fonction de la toxine ToxN par ToxI (Short et al., 2013, Blower et al., 2011) (Figure 18).

55

Bien que tous les STA de type III présentent le même arrangement génétique, ils peuvent être classés en trois familles en fonction des similitudes entre les séquences d’acides aminés : toxIN, cptIN, et tenpLN, où les « L » et « N » représentent l’antitoxine et la toxine, respectivement. Des loci de la famille des tenpLN ont été identifiés dans trois différentes souches de S. aureus aux niveaux chromosomiques ou plasmidiques (Blower et al., 2011). Jusqu’à présent, deux fonctions biologiques ont été associées aux STA de type III : la protection contre les infections par les bactériophages (Samson et al., 2013) et le maintien de plasmides (Short et al., 2013). Ces fonctions semblent faire intervenir l’activité endoribonucléase des toxines de type III (Goeders et al., 2016).

Le STA de type IV

Le STA de type IV se caractérise par l’action de l’antitoxine de type protéique qui neutralise la toxine par blocage plutôt que par une interaction directe protéine-protéine (Figure 19). L’unique exemple de STA de type IV actuellement mis en évidence, yeeUV, est

retrouvé chez E. coli. L’antitoxine YeeU, renommée CbeA (pour Cytoskeleton bundling- enhancing factor A), permet le regroupement des protéines du cytosquelette MerB et FtsZ, protégeant leur polymérisation contre l’action inhibitrice de la toxine YeeV (ou CbtA) (Masuda et al., 2012a, Masuda et al., 2012b).

Figure 19 : Principales caractéristiques du STA de type IV. Toxine (T) et antitoxine (A) sont indiqués en rouge et bleu, respectivement. La toxine et l’antitoxine se fixent sur la même cible. L’antitoxine inhibe l’activité de la toxine par compétition pour la fixation sur un substrat commun. Abréviation : SD, séquence Shine- Dalgarno. Adapté de (Lobato-Marquez et al., 2016).

56

Le STA de type V

Chez l’unique STA de type V actuellement reporté chez E. coli, ghoST, la toxine GhoT est un petit peptide hydrophobe qui perturbe le potentiel membranaire et, par conséquent, la synthèse d’ATP, facilitant ainsi l’entrée en persistence (Wang et al., 2012). L’antitoxine du système, GhoS, est quant à elle une RNase qui clive l’ARNm ghoT prévenant ainsi la synthèse de la toxine. C’est le seul cas décrit d’antitoxine ayant une activité enzymatique (Figure 20).

Figure 20 : Principales caractéristiques du STA de type V. Toxine (T) et antitoxine (A) sont indiqués en rouge et bleu, respectivement. L’antitoxine a une activité RNase et dégrade le transcrit de la toxine. Abréviation : SD, séquence Shine-Dalgarno. Adapté de (Lobato-Marquez et al., 2016).

La régulation du système ghoST ne passe pas uniquement par l’antitoxine. En effet, un second locus TA, mqsRA, contrôle le niveau du transcrit ghoS grâce à l’activité RNase spécifique de la toxine MqsR (Wang et al., 2012). Ainsi, les systèmes msqAR et gohST agissent de manière coordonnée pour réguler l’activité de la toxine transmembranaire, GhoT (Lobato-Marquez et al., 2016).

Le STA de type VI

Récemment un nouveau type de STA a été découvert : il constitue alors le STA de type VI. A l’heure actuelle, le seul exemple à avoir été identifié est le locus socAB, où l’antitoxine SocA se fixe à la toxine SocB et agit comme une protéine adaptatrice pour les protéases ClpXP qui vont donc pouvoir dégrader la toxine. A l’inverse des STA de type II, SocA ne neutralise donc pas directement SocB, mais assure la promotion de sa dégradation par des protéases spécifiques grâce à la formation d’un complexe toxine-antitoxine (Aakre et al., 2013, Lobato-Marquez et al., 2016) (Figure 21).

57

Figure 21 : Principales caractéristiques du STA de

type VI. Toxine (T) et antitoxine (A) sont indiqués en rouge et bleu, respectivement. L’antitoxine favorise la dégradation de la toxine par la formation d’un complexe T-A ; dans cette conformation, la toxine est sélectivement ciblée par les protéases. Abréviation : SD, séquence Shine-Dalgarno. Adapté de (Lobato- Marquez et al., 2016).

Dans le document en fr (Page 50-58)

Documents relatifs