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Le système immunitaire des plantes : du zig-zag à l’invasion

CHAPITRE 2 : Activités de recherche

5 Adaptation à l’hôte et durabilité de résistance - « Pathogen-informed strategies for durable

5.1 En quoi la biologie des populations peut-elle informer sur la durabilité de résistance ? 45

5.1.2 Le système immunitaire des plantes : du zig-zag à l’invasion

Originellement, les interactions plante-pathogène avaient été formalisées par le modèle « gène-pour gène » de Flor. En 2006, Jones et Dangl proposent un nouveau modèle qui révolutionne la vision que l’on avait de la résistance des plantes. Selon ce modèle, dit « en zig-zag » (Jones and Dangl 2006), les plantes possèdent un système immunitaire à deux niveaux de reconnaissance du non-soi : (i) une immunité déclenchée par des récepteurs membranaires (pattern-recognition receptors, PRR) reconnaissant spécifiquement des motifs moléculaires microbiens (Microbe-Associated Molecular Patterns, MAMP) ; ces MAMPs sont des motifs moléculaires conservés, essentiels à la physiologie du microorganisme (flagelline, facteur d’élongation EF-Tu, exopolysaccharides, peptidogyclane,…(Bittel and Robatzek 2007, Erbs and Newman 2012)). L’interaction MAMP-PRR déclenche des réactions de défense impliquées dans la « résistance basale », ou Immunité déclenchée par MAMPs (MTI), à large spectre. (ii) une immunité intra-cellulaire. Au cours de la coévolution, les pathogènes ont généré des protéines effectrices, injectées directement dans la cellule végétale, et capables de réprimer ces réactions de défense ou bloquer la reconnaissance des MAMPs (Effector-triggered Susceptibility, ETS). Ces effecteurs microbiens sont spécifiquement reconnus par des protéines végétales, entraînant la « réponse immunitaire-déclenchée- par effecteurs » (Effector-Triggered-Imunity, ETI). Cette ETI induit des réponses de défense beaucoup plus intenses, incluant la réaction hypersensible (HR), et à spectre d’action plus restreint. Au cours de la coévolution, les microorganismes synthétisent de nouveaux effecteurs capables de réprimer cette ETI.

Chez les bactéries phytopathogènes, le système de sécrétion de type III et ses protéines sécrétées (effecteurs de type III) constituent les facteurs essentiels impliqués dans ces interactions. L’essor de la génomique comparative a permis d’identifier de nombreux effecteurs chez les champignons (NPRS, PKS) et oomycètes (effecteurs RXLR et CRN chez

Phytophthora et Aphanomyces (Gaulin et al. 2008, Stam et al. 2013, Vleeshouwers and Oliver

2014, Vleeshouwers et al. 2008)), qui perturbent les réactions de défense végétales.

Ce modèle implique donc l’existence d’effecteurs microbiens impliqués dans l’avirulence, i.e. reconnus par des gènes de plantes, et d’autres impliqués dans la virulence, i.e. contribuant à la capacité du microorganisme à infecter l’hôte et y induire des symptômes, mais non reconnus par des gènes R de plante, ou réprimant la réponse de défense induite par ces gènes R. Il implique également une dichotomie entre la MTI, extracellulaire, conservée et à spectre large, et la ETI intracellulaire, éphémère et souche-spécifique.

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Cependant, plusieurs études récentes ont montré les limites de ce modèle. Certaines molécules ne cadrent pas avec le modèle, et notamment la dichotomie MAMP- effecteurs : les Nep1-like protéines (ou NLPs), encodées par bactéries, champignons et oomycètes, (Ottmann et al. 2009) servent simultanément des fonctions de virulence et contiennent des épitopes MAMP-like. Certains systèmes MAMP-PRR sont beaucoup plus dynamiques qu’attendu ; ainsi une région de la flagelline, distincte de la région flg-22, est sous sélection diversifiante chez

Pseudomonas syringae pv. tomato (Pto) et joue un rôle de MAMP important (flgII-28) dans le

pathosystème Pto/tomate (Cai et al. 2011). Des allèles de flagelline ont été identifiés dans des populations de Xanthomonas euvesicatoria et Acidovorax avenae qui atténuent la PTI (Vinatzer et al. 2014), signe que les MAMPs suivraient une dynamique évolutive proche de celle des effecteurs impliqués dans l’ETI.

Les travaux menés sur les adhésines et les senseurs des Xanthomonas (Mhedbi-Hajri et al. 2011) démontrent que ces molécules peuvent également être sous forte sélection adaptative, comme les effecteurs.

D’autre part, alors que les effecteurs étaient assignés à une unique fonction d’avirulence ou virulence, plusieurs exemples émergent d’effecteurs à rôle dual : AvrPtoB (effecteur de type III de Pseudomonas syringae pv. tomato DC3000) est spécifiquement reconnu par le gène PTO (fonction d’avirulence) mais sa partie C-terminale est impliquée dans suppression de la HR (virulence) (Abramovitch and Martin 2005) ; de même AWR2 – ripA2 chez R. solanacearum (Sole et al. 2012), et AvrBsT chez Xanthomonas campestris pv. vesicatoria (Kim et al. 2010) ont un rôle dual dans la virulence et l’avirulence.

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Figure 11. Comparaison des concepts sous-tendant les modèles « Zig-zag » et « Invasion ».

(a) Le modèle en zig-zag est conceptuellement défini en termes stricts : les plantes perçoivent soit des profils moléculaires microbiens (MAMPs; boîte jaune) par des récepteurs de reconnaissance (PRRs), menant à la réponse immunitaire-déclenchée-par-MAMP (MTI), soit des effecteurs (boîte

rouge) grâce à des protéines R, menant à la réponse immunitaire-déclenchée-par-effecteur (ETI). Les

axes de perspective plante (horizontal) ou microorganisme (vertical) indiquent les propriétés qui définissent communément ces termes. Certaines molécules (présentées en exemples sur la figure) défient la classification et tombent en dehors des boîtes colorées.

(b) Le modèle d’invasion est figuré de la même façon, excepté que l’espace définissant les molécules immunogènes est représenté comme un continuum, pour refléter l’idée que molécules et réponses occupent un spectre particulier en fonction de chaque catégorie définie. Les ligands sont appelés profils d’invasion » (invasion patterns, IPs), qui sont perçus par des récepteurs végétaux d’IP (IPRs), menant à une ou des réponses déclenchée(s) par IP [IPTR(s)]. Les molécules immunogéniques sont placées sur les figures de façon à approcher leur localisation dans les espaces de la perception de la plante et la fonction microbienne.

Très récemment, Cook et al. (2015) ont proposé un nouveau « Modèle d’Invasion », qui transcende les limitations et manques du modèle en zig-zag, et considère toutes les interactions comme des symbioses, qu’elles soient mutualistes (rhizobactéries, mycorhizes) ou pathogènes.

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Ce « Modèle d’invasion » considère le système immunitaire de la plante comme un système de surveillance évoluant pour détecter les invasions. Quatre principes fondamentaux le régissent :

- Les envahisseurs sont repérés d’après leurs MAMPs, mais aussi les DAMPs (Damage-Associated Molecular Patterns) et les effecteurs ;

- les symbiotes (mutualistes ou pathogènes) ayant réussi leur invasion ont évolué pour (i) éviter la détection de ligands par diversification de séquence ou modification post-traductionnelle, ou (ii) subvertir la réponse immunitaire de l’hôte grâce à des effecteurs biochimiquement actifs

- La coévolution est modelée par des récepteurs extra- et intra-cellullaires qui trahissent les envahisseurs

- Plusieurs interactions récepteur-ligand se mettent en place simultanément

Ce modèle dissocie notamment la fonction que la molécule peut avoir dans la physiologie du microorganisme, et ses capacités à être reconnue (ou à éviter la reconnaissance) par la plante.