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2. DISCUSSION

2.6 Implication des systèmes de neurotransmission dans les dysfonctions

2.6.2 Le système glutamatergique / GABAergique

Le système glutamatergique, très impliqué dans la schizophrénie, serait impliqué dans la modulation des fonctions mitochondriales (cf 1.2.3.1). La transmission glutamatergique est très dépendante de l’homéostasie du calcium, qui est régulée entre autres par la mitochondrie (Brookes et al., 2004). L’excès de calcium retrouvé chez les patients schizophrènes (Berk et al., 2000) peut amener une excitotoxicité pouvant causer une surcharge de Ca2+ dans la mitochondrie et conduire à des dysfonctions mitochondriales (cf 1.3.3.1) (Pivovarova and Andrews, 2010b).

En modèle cellulaire, l’ajout de glutamate sur des cultures cellulaires d’hippocampe, présente une augmentation de la respiration mitochondriale, de la respiration de fuite ainsi qu’une hausse transitoire de la protéine de fission active pDrp 1. Tous ces effets sont renversés par un traitement au sélénium, oligo-élément aux propriétés antioxydantes (Kumari et al., 2012). De plus, dans un modèle animal de schizophrénie par injection de kétamine (antagoniste des récepteurs NMDA), une augmentation de l’activité du complexe I dans plusieurs régions cérébrales (cortex, striatum et hippocampe) est retrouvée (De Oliveira 2011).

Ces deux études lient la mitochondrie à l’une des hypothèses de la schizophrénie, qui est la perte du contrôle excitation/inhibition des neurones pyramidaux glutamatergiques, par les inter-neurones inhibiteurs GABAergiques. L’hypofonction des

récepteurs NMDA, qui conduit à la perte d’activation neuronale et donc à la perte de la relâche de GABA, permettant d’inhiber le neurone excitateur, va conduire à une forte libération de glutamate (Gordon, 2010). Une étude, évaluant les sous-unités du récepteur NMDA a montré en particulier une sous-unité qui pourrait être impliquée dans cette perte de signal. Lorsque la sous-unité NR2A du récepteur NMDA est bloquée par un antagoniste, les effets observés sont similaires à ceux de la kétamine (anesthésique, antagoniste des récepteurs NMDA), c’est-à-dire une diminution des niveaux de GAD67 et de parvalbumine (PV) (Kinney et al., 2006). En revanche, une étude a présenté chez l’animal ces mêmes perturbations lors de l’élimination de la sous- unité NR1 du récepteur, pendant le développement postnatal précoce des animaux. La chronologie étant importante ici, car cette élimination après l’adolescence ne présente pas d’effet (Belforte et al., 2010). La diminution de l’expression de la PV et de la GAD67 est présente dans le cortex préfrontal des patients schizophrènes (Hashimoto et al., 2003) et de façon spécifique dans les neurones exprimant la sous-unité NR2A (Woo et al., 2004). Dans notre modèle, nous avons retrouvé la diminution de la GAD67 dans le PFC et le striatum des animaux (Deslauriers et al., 2013b).

Finalement, l’activation de l’enzyme NADPH-oxydase, enzyme de réaction d’oxydo- réduction pouvant être induite par l’inflammation, particulièrement la sous-unité Nox2 intervenant dans la phagocytose, aurait les mêmes effets que la kétamine sur les inter- neurones GABAergique exprimant la PV, in vivo. Ce mécanisme pourrait être issu de l’oxydation de la sous-unité NR2A du récepteur NMDA, qui est un site de régulation oxydo-réducteur (Lipton et al., 2002), ou d’un antagoniste du récepteur NMDA venant aussi activer la NADPH-oxydase. Dans les deux cas, cela conduit à une perte de signal du récepteur NMDA et donc une hypofonction de celui-ci (Behrens et al., 2007) (Figure 14).

Cette hypofonction va amener la perte de l’équilibre inhibition/ excitation et peut donc conduire à des anomalies mitochondriales, comme l’augmentation de la respiration et de la production de ROS via un manque d’inhibition des neurones glutamatergiques ou encore d’une surcharge en calcium. Dans la schizophrénie, ce mécanisme pourrait lier les anomalies du système glutamatergique/GABAergique et les perturbations du métabolisme mitochondrial retrouvées chez les patients.

2.6.2.1 La parvalbumine

Les inter-neurones à la parvalbumine sont des inter-neurones inhibiteurs, qui dans le cortex sont pour la plupart GABAergiques. Ces inter-neurones sont responsables des oscillations gamma (30-100 Hz), reliés fortement aux fonctions cérébrales, impliquées dans le stockage et la mémorisation d’informations pour la mémoire de travail (Bartos et al., 2007). Les oscillations gamma sont sensibles aux dysfonctions mitochondriales, de par la quantité d’énergie nécessaire à cette activité (Huchzermeyer et al., 2008). Il a d’ailleurs été montré, dans l’hippocampe, que ces inter-neurones contiennent plus de mitochondries et plus de complexe IV (Gulyás et al., 2006). Dans la région CA3 de l’hippocampe, les oscillations gamma semblent combinées à la hausse de la consommation d’oxygène et l’augmentation de sous-unité du complexe I (Kann et al., 2011).

Aussi, une forte production de ROS peut avoir lieu dans ces inter-neurones due à la forte entrée de Ca2+. En temps normal, cet influx intracellulaire est régulé par la PV, qui est une protéine chélatrice de calcium, permettant de moduler l’activation du neurone. Finalement, ces inter-neurones contiennent une forte expression de la PGC 1α surtout lors du développement cérébral précoce (Cowell et al., 2007). Dans un modèle de souris réprimé pour le récepteur NMDA, dans les neurones PV+, une diminution de l’expression de la PGC 1α est retrouvée associée à l’exacerbation du stress oxydatif, suite à l’isolement social des animaux (Jiang et al., 2013b). L’expression de la PGC 1α dans ces neurones semble régulée par l’activation du récepteur NMDA (Jiang et al., 2013a). De plus, lorsque PGC 1α est supprimée chez des souris cela conduit à une diminution de la PV et des dysfonctions GABAergiques (Lucas et al., 2010) (Figure 14).

Dans la schizophrénie, des anomalies des oscillations gamma (Kittelberger et al., 2012; Woo et al., 2010), une réduction de la PV et de la GAD 67 sont observées dans le cortex préfrontal (Lewis et al., 2004; Woo et al., 2008).

Figure 14 : Résumé de l’hypothèse impliquant le système glutamatergique/GABAergique et la fonction mitochondriale dans la schizophrénie. L’hypofonction des récepteurs NMDA peut-être induite de deux façons : soit par l’activation de la NADPH-oxydase via l’inflammation, qui va venir oxyder la sous-unité NR2A du récepteur ou par un antagoniste (comme la kétamine). Ce manque d’activation va mener à une diminution de l’expression de la PGC 1α et à la diminution de l’expression de la protéine parvalbumine (PV), de protéines antioxydantes et de protéines impliquées dans le métabolisme. D’autre part, la désinhibition des neurones glutamatergiques va se traduire par une forte relâche de glutamate pouvant conduire à des phénomènes d’excitotoxicité par l’influx de forte concentration de calcium dans la cellule. La mitochondrie qui régule l’homéostasie du calcium va alors voir sa concentration augmentée dans la matrice, ce qui apporte des dysfonctions mitochondriales comme une augmentation de la production de ROS et une hausse de la respiration mitochondriale.

2.6.2.2 L’acide kynurénique: un antagoniste naturel.

Une autre voie pouvant être à l’origine des dysfonctions glutamatergiques pourrait être modulée par les anomalies mitochondriales. En effet, la conversion du tryptophane, précurseur de la sérotonine peut être converti en acide kynurénique (KA) ou en acide quinolinique (QA), deux molécules agissant sur le récepteur NMDA. Cette conversion peut être faite par deux enzymes : la tryptophane 2,3-dioxygenase (TDO) ou l’indoleamine-2-3-dioxygenase (IDO), cette dernière pouvant être induite par des cytokines pro-inflammatoires (Anderson and Maes, 2013). Le KA est un antagoniste du site glycine du récepteur NMDA (Parsons et al., 1997) (Figure 15), alors que la QA est

agoniste du récepteur NMDA pouvant favoriser le processus d’excitotoxicité (Stone, 2001). Le KA est donc suggéré comme impliqué dans la schizophrénie de par ces effets antagonistes sur les récepteurs NMDA, similaires à ceux de la kétamine ou du PCP (Erhardt et al., 2007). Chez les patients schizophrènes, une augmentation des niveaux de kynurénine et de KA est retrouvée dans le LCR (Linderholm et al., 2012) et la région corticale (Schwarcz et al., 2001).

Chez des animaux, l’infection immunitaire précoce (virus influenza) ou l’injection de kynurénine, conduit à une altération des comportements semblables à ceux observés dans la schizophrénie (Liu et al., 2014). Au laboratoire, les animaux du modèle présentent une augmentation de l’expression de l’IDO, suggérant l’implication de la voie de la kynurénine. Pour vérifier son rôle dans les anomalies du modèle, les animaux ont été traités au 1-méthyl-tryptophane (1-MT), permettant l’inhibition de l’enzyme IDO. Les résultats préliminaires ont montré un renversement du déficit de PPI retrouvé dans le modèle, suggérant un effet neuroprotecteur de l’inhibition de l’IDO (Deslauriers, thèse 2014). L’acide kynurénique pourrait donc avoir le même effet sur le métabolisme mitochondrial que les autres antagonistes du récepteur NMDA, en bloquant sa conversion (inhibiteur de l’IDO par exemple), la fonction mitochondriale pourrait potentiellement être améliorée.

Figure 15 : Voie de l’acide kynurénique simplifiée. Lorsque l’enzyme indoleamine-2-3- dioxygenase (IDO) est induite par l’inflammation, le tryptophane peut être converti en kynurénine puis en acide kynurénique. L’acide kynurénique a un effet antagoniste sur le récepteur NMDA.

3. CONCLUSION ET PERSPECTIVES