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Synthèse en série substitué au carbone 13 et application sur le modèle RHE

réel pré-haptène ?

II.2. Synthèse en série substitué au carbone 13 et application sur le modèle RHE

II.2.A. Synthèse de l’isoeugénol substitué au carbone 13

Une des voies d’accès pour répondre rapidement à la question du métabolisme de l’isoeugénol sur le modèle RHE consiste à synthétiser le pré-haptène en substituant au carbone 13 sa position

méthoxylique. En effet, si l’isoeugénol est directement oxydé sous la forme d’une para-méthylène quinone, nous ne devrions pas observer la formation de méthanediol (monohydrate du formaldéhyde)

sur les épidermes reconstruits. A contrario, si la voie métabolique de l’isoeugénol suit celle de l’eugénol

(et du créosol), la formation de méthanediol devrait être constatée par RMN HRMAS.

Que ce soit à l’état naturel ou dans les produits d’usage courant, l’isoeugénol est généralement rencontré sous la forme d’un mélange de deux stéréoisomères dans lequel l’isomère E est majoritaire. Afin de se rapprocher au mieux du phénomène d’allergie de contact à l’isoeugénol, ce dernier a été synthétisé sous la forme d’un mélange Z/E composé essentiellement de l’isomère E. La mise au point des différentes étapes qui composent cette synthèse a été réalisée en série non substituée (Figure 27).

Figure 27. Synthèse de l’isoeugénol (13C)-20

La synthèse de l’isoeugénol (13C)-20, réalisée en 5 étapes à partir du 2-méthoxyphénol commercial,

est en partie inspirée de celle de l’eugénol (13C2)-10. Une première étape de méthylation permet

l’introduction au moyen de (13C)-iodométhane du carbone 13 sur la position méthoxylique. Le

bromophénol (13C)-2 est préparé par bromation du méthoxyphénol (13C)-7 précédemment obtenu.

Ensuite, un échange halogène-métal à l’aide de n-butyllithium suivi d’une formylation avec du

formaldéhyde conduit à l’aldéhyde (13C)-11’. Une réaction de Horner-Wadworth-Emmons menée en

l’obtention de l’isoeugénol (13C)-20 sous sa forme Z majoritaire avec un rendement de 86 %.

Finalement, l’isoeugénol (13C)-20 sous la forme d’un mélange Z/E dans lequel l’isomère E est

majoritaire, est obtenu par isomérisation cis-trans de l’alcène sous l’action catalytique de diiode.[277]

II.2.B. Application sur le modèle RHE et observations

L’isoeugénol (13C)-20 a été appliqué sur 3 échantillons d’épiderme reconstruit. Les temps

d’incubation utilisés sont listé-ci-après :

- 1 heure

- 8 heures

- 24 heures

Les échantillons ont été préparés et analysés par RMN HRMAS au moyen d’expériences 1D 1H

(CPMG) et 2D HSQC 1H-13C éditées. La superposition du spectre HSQC de l’échantillon blanc avec celui

obtenu pour l’échantillon traité par l’isoeugénol (13C)-20 à 1 h est présentée sur la figure qui suit

(Figure 28).

Figure 28. Spectre HSQC édité (superposé au blanc) de l’épiderme 24 h traité par (13C)-20

Corrélations molécule de départ : cercles et flèches pleines (→ ○) ; nouvelles corrélations : cercles et flèches en pointillés (⇢ ◌) ; les déplacements chimiques 1H/13C des nouvelles corrélations sont exprimés en ppm

Après 1 d’incubation, tous les signaux correspondant au (13C)-isoeugénol de départ ne sont pas

visible sur le spectre 2D HSQC édité. Alors que la corrélation du carbone substitué (–O13CH3, δ

3,86/58,2 ppm), celle du méthyl terminal (–CH3, δ 1,82/20,4 ppm) et celles des protons et carbones

aromatiques (Ar–H) sont identifiées, les corrélations qui correspondent aux protons et carbones allyliques de la chaîne latérale (–CH=CH–) ne sont pas visibles. Les corrélations observées à 1 h le sont à 24 h. Néanmoins, leur intensité à nettement diminuée. Il semblerait donc que l’isoeugénol soit, du moins en partie, pris en charge par les épidermes reconstruits.

Dès 1 h d’incubation, nous constatons l’apparition d’une nouvelle tache de corrélation impaire à 3,65/57,7 ppm. Au vu de sa parité et de la région spectrale dans laquelle elle se situe, cette tache a été

attribué à un carbone méthoxylique (–O13CH3). Après 24 h, cette tache, toujours bien présente, semble

même s’intensifier.

II.2.C. Isoeugénol versus eugénol ou pré- versus pro-haptène

En l’absence de tache de corrélation paire pouvant être attribuée à la formation de formaldéhyde ou de méthanediol, nous pouvons estimer que, contrairement à l’eugénol, l’isoeugénol n’est pas pris en charge par une mono-oxygénase à cytochrome P450 sur le modèle RHE (Figure 29).

Figure 29. Modèle RHE : l’isoeugénol (13C)-20 n’est pas pris en charge par une mono-oxygénase à CYP450

Il est fort intéressant de constater que la voie métabolique de l’isoeugénol sur le modèle RHE diffère de celle de son isomère l’eugénol. Si le second est pris en charge par une mono-oxygénase à CYP450 via une réaction de O-déméthylation conduisant à un catéchol pouvant être oxydé en orthoquinone réactive, ce n’est pas le cas du premier puisque seule une nouvelle tache de corrélation impaire à 3,65/57,7 ppm est observée. En nous basant sur les travaux précédemment effectués sur le créosol et l’eugénol, deux hypothèses peuvent être formulées pour expliquer l’apparition de cette nouvelle tache de corrélation.

Hypothèse 1 : passage par une para-méthylène quinone réactive

L’isoeugénol pourrait être oxydé directement par voie enzymatique au moyen d’une peroxydase en para-méthylène quinone. Cette derrière, réactive vis-à-vis des protéines épidermes, serait sujette par

sa chaine aux additions nucléophiles 1,6 ou 1,8. Le carbone substitué (–O13CH3) conserverait sa parité

(impaire) mais verrait son déplacement chimique influencé (Figure 30).

Figure 30. Hypothèse 1 : oxydation de l’isoeugénol (13C)-20 en para-méhylène quinone réactive

Hypothèse 2 : formation d’un dimère

L’action d’une peroxydase sur le (13C)-isoeugénol pourrait conduire à la formation, par un

mécanisme radicalaire, d’un dimère symétrique. Cette seconde hypothèse permettrait également au

carbone substitué (–O13CH3) de conserver sa parité (impaire) tout en influençant la valeur de son

déplacement chimique (Figure 31).

La synthèse en série doublement substituée au carbone 13 de l’isoeugénol en substituant le carbone méthoxylique et le carbone benzylique, suivie de son application sur les épidermes reconstruits HRMAS permettrait de rapidement valider une des deux hypothèses. Cependant, faute de temps, cette synthèse n’a pas été réalisée.

Dans le but de comparer la réactivité des espèces intermédiaires supposées réactives dans le cas de l’application de l’eugénol et de l’isoeugénol sur le modèle RHE, nous avons cherché à synthétiser la

para-méthylène quinone pouvant être formée par oxydation de l’isoeugénol. Une fois obtenue, cette

para-méthylène quinone aurait été mise en réaction en solution avec différents modèles (acides

aminés et peptides). Malheureusement, les tests d’oxydation menés en présence d’oxyde d’argent ont conduits exclusivement à la formation de deux dimères 20a et 20b de l’isoeugénol et, par conséquent,

à l’impossibilité de mener à bien les tests de in vitro de réactivité (Figure 32).

Figure 32. Oxydation de l’eugénol 20 conduisant à la formation des dimères 20a et 20b

Figure 33. Mécanisme de formation des composés 20a et 20b

La première étape consiste en une oxydation à un électron conduisant à la formation d’un radical

phénoxyle. Ce radical peut alors réagir avec la chaîne allylique de l’isoeugénol (13C)-20 et conduire au

dimère 20a (voie 1). L’abstraction d’un second hydrogène présent sur le cycle phénolique du dimère formé peut conduire à une espèce bis-radicalaire capable de réagir de manière intramoléculaire pour conduire au composé 20b (voie 2). Suivant ce mécanisme, la para-méthylène quinone d’intérêt n’est à aucun moment formée. Cette dimérisation de l’isoeugénol n’est pas réellement surprenante puisque

de précédentes études réalisées au laboratoire y font référence.[265] Néanmoins, il semblerait qu’elle

soit tout sauf anodine dans le phénomène d’allergie de contact à l’isoeugénol. En effet, le dimère 20b a été évalué, d’après le GPMT et d’après une version modifiée du LLNA, comme étant un allergène

modéré.[278]

En conclusion, l’application de l’isoeugénol (13C)-20 sur le modèle RHE va dans le sens des

propositions émises par Bertrand et al.. En effet, si elle ne constitue pas une preuve absolue, l’absence

de formaldéhyde (ou de méthanediol) conforte l’idée que l’isoeugénol n’est pas pris en charge in situ

oxydable que son isomère l’eugénol, l’isoeugénol semble être préférentiellement métabolisé sous la

forme d’une para-méthylène quinone. Cette idée est confortée par le fait que l’isoeugénol est un

pré-haptène capable de subir une auto-oxydation par simple contact avec le dioxygène environnant. A

contrario, l’oxydation de l’eugénol en para-méthylène quinone est plus difficile puisqu’elle passe

obligatoirement par l’action enzymatique d’une peroxydase.[110] Il s’ensuit nécessairement une

compétition enzymatique entre, d’un côté, une peroxydase et, de l’autre, une mono-oxygénase à CYP450.

Concernant la seule tache de corrélation observée par RMN HRMAS, elle nous laisse imaginer deux possibilités. Selon la première, l’isoeugénol pourrait être oxydé (enzymatiquement ou non) en

para-méthylène quinone réactive vis-à-vis des résidus nucléophiles des protéines épidermiques.

D’après la seconde, l’isoeugénol dimériserait. Cette dimérisation rapide, également observée en solution, pourrait résulter ou non de l’action d’une peroxydase. Encore une fois, la contribution du dimère au phénomène d’allergie de contact à l’isoeugénol n’est certainement pas négligeable (Figure 34).

III. Conclusion

L’étude des interactions des dérivés para-alkylphénols, l’eugénol et l’isoeugénol, avec le modèle

RHE de SkinEthic® est riche en enseignements. Initialement, nous sommes partis du postulat que ces

dérivés sont de bons substrats des peroxydases capables de les activer sous la forme de

para-méthylène quinones réactives vis-à-vis des protéines épidermiques. Cette affirmation parait être

vérifiée pour l’isoeugénol qui est un pré-haptène facilement oxydable, mais pas pour son isomère, l’eugénol, qui est un pro-haptène. En effet, la prise en charge de l’eugénol par les peroxydases semble aboutir à la formation d’un dimère. L’eugénol suivrait préférentiellement la voie de métabolisation du créosol puisque son application en série doublement substituée au carbone 13 a montré la formation de méthanediol. Cette observation met en évidence que le pro-haptène est métabolisé par une mono-oxygénases à cytochromes P450 (EC 1.14) via une réaction de O-déméthylation conduisant probablement à la formation d’un catéchol pouvant être oxydé en orthoquinone réactive. En outre, la détection de méthanediol confirme encore une fois l’activité importante des cytochromes P450 au sein du modèle RHE.

De manière très intéressante, l’isoeugénol ne semble pas suivre la même voie métabolique que son isomère l’eugénol. Ainsi, l’application de l’isoeugénol sur les épidermes reconstruits n’a pas montré la formation de méthanediol. Il semblerait donc que l’isoeugénol soit directement oxydé sous la forme

d’une para-méthylène quinone réactive. Cette oxydation peut être réalisée par voie enzymatique au

moyen d’une peroxydase (EC 1.11), ou par simple contact du pré-haptène avec le dioxygène environnant. Cette divergence au niveau du mode de prise en charge priviligié par chacun des deux allergènes est, à n’en point douter, à l’origine de leur différence de potentiel sensibilisant.

Chapitre IV