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3. Données et méthode

3.1 Analyse des résultats 1 Les entrepreneurs du Web 2.0 prennent l’initiative

3.1.1.3 Synthèse préliminaire

Que ce soit dans le cas des Þjóðfundur ou de l’Assemblée constituante, il importe de souligner le lien étroit qui lie les procédures participatives de ces étapes de la démarche constituante au milieu entrepreneurial du secteur informatique, en particulier celui du logiciel libre et des start-up de « l’économie collaborative ».

Les méthodes, pratiques, concepts et même certaines valeurs déployés pour développer les méthodes participatives utilisées sont en effet soit inspirés, soient carrément empruntés au répertoire du développement du logiciel libre ou d’entreprises de design. Magnusson, par exemple, fait l’éloge de procédures en ligne que la firme IDEO a développées et qui auraient pu être mises à profit dans le processus constituant, s’il avait bénéficié de plus de temps. De plus, si l’on se fie aux propos de Guðjón Már Guðjónsson, le paradigme de l’économie collaborative (il utilise souvent le terme « grassroots economy », mais aussi « participatory economy » pour désigner des entreprises misant sur la participation en ligne des usagers59), en

plein essor à partir de la deuxième moitié des années 2000, est par ailleurs central. Il semble

58 Idem.

59 You are in Control - International Conference (2009), « YAIC 2009 - Guðjón Már Guðjónsson », vidéo

YouTube, 8:45, 24 septembre. Consulté [en ligne] le 27 août 2018. Adresse URL: https://www.youtube.com/watch?v=KPg9IVQTkhs.

être celui à l’aune duquel il conçoit ce que doit être la « gouvernance », tant de l’État que de l’entreprise :

« The grassroot is learning from corporations how to apply corporate processes on the grassroot. And we are learning fast, the grassroots is learning fast. [...] ». « The creative industry will take care of itself. It’s in its culture. It adjusts to the newest business models quite fast. […] So I’m more worried about other industries and governments. »60(c’est nous qui

soulignons).

Par ailleurs, l’État et l’entreprise semblent comparables si on se fie à la façon dont il parle du projet de Þjóðfundur 2009 : « The country could behave like a business in terms of sharing common values and a common vision [...] Iceland’s population is the size of General Electric. The opportunity Iceland has is to model a new way of democracy.61 »

Par ailleurs, du côté de Finnur Magnusson, s’il se décrit comme « a nerd by heart - I’ve been into computers since 14 years old » (un peu comme Guðjónsson par ailleurs, qui a commencé à 13 ans et est devenu entrepreneur à 17 ans), il dit néanmoins aussi avoir « a very big interest in social and political activities », intérêt qui s’est traduit par un engagement dans le mouvement étudiant à l’université. Ainsi, contrairement à Guðjónsson, dont le parcours se caractérise plutôt par un engagement dans la communauté des affaires et de la philanthropie62,

60Ibid., 0:40 et 7:28.

61 LEGASPI, Althea (2010), op. cit.

62 Voir ZARAZA, Pedro (2010), « 2009 JCI TOYP Honoree Guðjón Már Guðjónsson », vidéo YouTube produite

par Junior Chamber International, 2:15, le 9 juillet. Consulté [en ligne] le 27 août 2018. Adresse URL : https://www.youtube.com/watch?v=KVBhhFsG_Fg

Magnusson a été davantage socialisé politiquement, ce qui se ressent dans son discours, mais aussi dans sa vision des technologies.

En effet, bien qu’il se montre très enthousiaste quant aux possibilités de celles-ci pour favoriser de nouvelles pratiques de démocratie directe, on sent chez lui une plus grande conscience des limites de ces outils pour favoriser une participation effective : « If we’d had more time, I would have wanted to organise more offline events, in order to reach out to the older generation - to people that were maybe not aware of the process [...] », souligne-t-il, ajoutant à propos du processus mis en place pour les travaux de l’Assemblée constituante :

« I believe such a process could be designed using technology without necessarily doing the election [note: de l’AC], but it needs a bit of time and it needs facilitators or moderators to make sure that you’re engaging with a lot of people through a lot of channels, because otherwise you might end up with a very loud minority taking over the writing and the moderation process of the whole project. »

Cette impression d’une plus grande conscience des déterminants sociaux de la participation et des dynamiques de délibération chez Magnusson pourrait toutefois découler du fait que l’échantillon de ses propos dont nous disposons est plus détaillé que celui de Guðjónsson, et aussi au fait que la démarche du Þjóðfundur est née d’une dynamique tout autre que celle ayant mené à la mise sur pied de l’Assemblée constituante. Cette dernière est issue d’un processus politique et institutionnel déterminé par le Parlement, alors que la première est le fruit d’un remue-méninge effectué essentiellement entre représentants du milieu des start-up de l’économie créative, au sein de la « Maison des idées ». D’ailleurs, les outils et l’expertise développés lors du Þjóðfundur 2009 ne seront pas uniquement repris par le processus

constituant officiel : ils seront aussi offerts à différents organismes et entreprises par la firme Agora, créée pour commercialiser le savoir-faire développé pendant cet exercice - conformément à la pratique du milieu du logiciel libre où c’est l’expertise et non les logiciels (offerts gratuitement et ouverts à la modification et à la redistribution) qui est vendue.

Quoi qu’il en soit, il importe de souligner que s’il est conscient des limites, Magnusson voit les TIC d’un oeil extrêmement optimiste quant à leurs possibilités pour approfondir la démocratie, la rendre plus directe et efficace, par exemple en permettant aux citoyens de prendre eux-mêmes des « décisions éclairées » en leur donnant un accès libre aux données publiques. Il va en effet jusqu’à dire que « we could have prevented the collapse [des banques] if we’d just had a dashboard with the information about the financial market and everything else that was happening in the country, but we don’t have the data ». Dans cette optique, l’idéal de transparence et de libre circulation de l’information rattachée à l’éthique hacker rejoint clairement une certaine conception libérale de l’espace public (voir Habermas, 1987) selon laquelle le citoyen, pour exercer son rôle politique et prendre des « décisions éclairées », a besoin d’avoir accès au plus d’information possible, sans les entraves des pouvoir politiques et des intérêts particuliers.

Soulignons finalement que l’analyse des discours de ces deux acteurs nous a permis de confirmer la présence, dans le choix des méthodes participatives « innovantes », d’un souci de restaurer une certaine représentation de l’identité nationale en réparant en quelque sorte l’image de l’Islande à l’étranger. Nous avons toutefois pu observer cette préoccupation

seulement dans les propos de Guðjón Már Guðjónsson, et ce, même si nous disposions d’extraits beaucoup plus courts et fragmentaires de son discours que pour Finnur Magnusson, ce qui nous laisse croire qu’il s’agit d’une réelle préoccupation chez lui et d’une trace de l’identité nationale postcoloniale décrite entre autres par Bergmann (2014).

3.1.2 Le courant « pragmatique » : assurer la légitimité de la