• Aucun résultat trouvé

Les études portant sur la délinquance des adolescents ont mis beaucoup d’emphase sur des aspects comportementaux pour définir les jeunes ayant commis des délits. Ainsi, les auteurs se sont attardés à des facteurs tels que la précocité des conduites délinquantes, le nombre de délits, le type de délits, dans le but de mieux cerner la problématique délinquante (Le Blanc, 2004). Suivant cette perspective, c’est le geste qui définit l’individu. Or, le défi que pose l’identification des jeunes à risque de poursuivre dans des trajectoires criminelles sévères relève notamment sur l’hétérogénéité que constitue l’ensemble des jeunes manifestant des conduites délinquantes. Il n’y a pas d’adéquation entre un comportement et ce qui caractérise l’individu qui l’émet. Tel que le soulignent Fréchette et Le Blanc (1987), il est important de distinguer le comportement de l’agent : « Diverses structures de personnalité peuvent se profiler derrière un mode particulier de fonctionnement » (p.197). Dès lors, il s’agit de sortir d’une vision linéaire entre comportement et individu afin de pouvoir donner un sens aux comportements. Il est donc apparu essentiel dans cette thèse d’aborder la délinquance non pas uniquement sous l’angle des conduites délinquantes, mais également sous l’angle des traits de personnalité et, plus spécifiquement, des traits psychopathiques. Les typologies comportementales ont certes une utilité pour dépister les délinquants dans des échantillons populationnels (Farrington, 2000; Fréchette & Leblanc, 1987; Kratzer & Hodgins, 1999; Loeber, Farrington, Stouthamber-Loeber, Moffitt, Caspi, & Lynam, 2001; Moffitt, Caspi, Harrington, & Milne, 2002; Patterson, Forgatch, Yoerger, & Stoolmiller, 1998). Toutefois, lorsqu’il s’agit d’identifier, dans un échantillon de jeunes présentant des troubles du comportement, ceux susceptibles de poursuivre dans une trajectoire à l’âge adulte, il est apparu profitable d’également tenir compte d’indices liés à la personnalité et ayant une spécificité clinique.

Les recherches menées auprès de populations criminelles adultes ont bien documenté le lien robuste entre la psychopathie et la persistance des délits et des comportements violents (Hare et al., 2000; Hart, 1998; Hart, Kropp, & Hare, 1988; Grann et al.,1999; Salekin et al.,1996). L’évaluation de la psychopathie s’est imposée comme un indice phare dans la prédiction de la récidive criminelle (Hare et al., 2000; Salekin, et al., 1996; Walters, 2003). Dans le but de détecter précocement les délinquants susceptibles de s’inscrire dans une trajectoire criminelle sévère, il est apparu pertinent d’étendre la notion de psychopathie aux plus jeunes. Le premier article avait pour objectif de vérifier les propriétés psychométriques de la version française de la PCL-SV adaptées aux adolescents. Les résultats mettent en évidence des indices de fidélité et de validité comparables à ceux rapportés dans des études utilisant d’autres versions de la PCL auprès d’adolescents et d’adultes. Ils appuient l’utilisation de la version adaptée de la PCL-SV auprès des adolescents.

Le deuxième article s’appuie sur l’hypothèse de la valeur ajoutée d’indices liés à la personnalité et spécifiques au plan clinique pour discriminer les délinquants. Plus spécifiquement, il avait pour objectif de vérifier la contribution des traits psychopathiques évalués à l’adolescence pour prédire les conduites délinquantes au début de l’âge adulte, lorsque sont également considérés des indices comportementaux. Tel que mentionné précédemment, peu d’études longitudinales ont été menées en ce sens et aucune n’a spécifiquement été faite au Québec. La validation d’une version française de la PCL-SV adaptée aux adolescents a permis l’évaluation de la psychopathie dans cet échantillon de jeunes francophones. Les résultats obtenus vont dans le sens d’une contribution significative des traits psychopathiques, au-delà des indices comportementaux, pour prédire la délinquance autorapportée, spécifiquement dans ses volets de violence et de versatilité. Ils mettent en évidence la spécificité de l’instrument pour distinguer un sous-groupe de jeunes manifestants des conduites délinquantes sévères. Ils appuient l’intérêt d’une évaluation précoce de la psychopathie pour identifier les jeunes à risque d’évoluer dans une trajectoire criminelle sévère.

De surcroît, le premier article a permis de mettre en évidence une bonne fidélité interjuges dans l’évaluation de ces traits psychopathiques, contredisant ainsi l’idée selon laquelle des traits de personnalité ne peuvent être évalués de façon fiable par des cliniciens. Cet argument avait notamment favorisé l’emphase placée sur les comportements pour la définition du trouble de la personnalité antisociale (TPA) dans le DSM-III (APA, 1980). Une prépondérance était alors accordée à des caractéristiques de nature comportementale, jugées plus objectives. Toutefois, une bonne fidélité n’est pas nécessairement garante d’une bonne validité de construit. En effet, le TPA est surreprésenté en milieu carcéral, étant diagnostiqué dans des proportions allant jusqu’à 80%. En ce sens, il semble se confondre avec le comportement criminel. Il en est de même pour le diagnostic de trouble des conduites, lequel est observé très fréquemment (97%) chez les adolescents délinquants (Forth, 1995). Cette forte proportion limite l’utilité d’un tel diagnostic pour différencier ces jeunes. Or, peu d’adolescents délinquants présentent les traits affectifs et interpersonnels associés à la psychopathie. En ce sens, la psychopathie offre une avenue intéressante car elle est plus spécifique au plan clinique. Sous l’influence des travaux de Hare (1980, 1991, 2003), la définition du TPA dans le DSM-IV (APA, 1994) a placé une plus grande emphase sur les traits de personnalité. Des critiques demeurent néanmoins à l’effet que cette définition ne tient pas suffisamment compte des traits de personnalité associés historiquement à la psychopathie (Hare & Hart, 1995; Widiger & Corbitt, 1995). Le futur DSM-V pourrait apporter des changements en ce sens; les chercheurs recommandent une reformulation des troubles de la personnalité. Pour le TPA, la révision proposée rend davantage compte des aspects relationnels et émotionnels du trouble (p.ex., l’égocentrisme, le narcissisme, le manque d’empathie, etc.) en s'appuyant sur le concept de la psychopathie (Hesse, 2010). Il en est de même pour le trouble des conduites qui inclura des composantes telles la froideur émotionnelle, le manque d’empathie et l’absence de remords, caractéristiques de la psychopathie (APA, 2010). Ceci pourrait permettre une meilleure discrimination des jeunes délinquants.

Ainsi, dans la lignée du DSM-V, le troisième article s’intéressait à une approche dimensionnelle de la psychopathie basée sur le MCF. Plus particulièrement, l’objectif était de vérifier, dans un échantillon d’adolescents présentant des troubles de comportement, si les facettes du MCF permettent de distinguer les jeunes au plan de la gravité de leur délinquance. À cet effet, dix-neuf facettes évaluant des composantes de la psychopathie ont été utilisées, soit dix-sept facettes tirées de la traduction de la PCL-R dans le langage du MCF (Widiger & Lynam, 1998) et deux facettes correspondant à des caractéristiques évoquées par Cleckley (1976) pour définir la psychopathie. Les résultats mettent en évidence la présence d’une composante d’impulsivité plus marquée chez les jeunes présentant une délinquance distinctive : la « recherche de sensations fortes ». Ils appuient en outre l’utilisation d’un modèle général de la personnalité pour cerner des traits associés à la psychopathie, lesquels permettent d’identifier un noyau dur de délinquants. L’article suscite par ailleurs, à titre exploratoire, un questionnement au sujet de la combinaison de certains items dans la version de dépistage de la PCL, soit la PCL-SV, ce qui affecte la sensibilité de la mesure. En effet, certains items regroupés, par exemple ceux se rapportant à l’impulsivité, portent sur des composantes distinctes de la personnalité qui devraient être évaluées séparément. Ces arguments appuient l’intérêt de retrouver les traits élémentaires définissant la notion de psychopathie, notamment avec le MCF.