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Symbolique de l'espace dans le roman La Grotte Éclatée

2.3 La symbolique de la grotte :

2.3.1 La symbolique universelle de la grotte :

La grotte dans la symbolique universelle est le lieu où s’accomplissent les mutations et les changements de l’homme vis-à-vis de son être, et vis-à-vis du monde qui l’entoure. Tenue pour matrice maternelle (regressus ad uterum), la caverne comme la grotte symbolise la renaissance de l’homme, lieu incontesté d’initiation et de résurrection où l’être communique paisiblement avec son être profond. Car, l’ascension à l’illumination, doit passer par la pensée réflexive de l’être sur lui-même.

Ce passage du mystère vers la connaissance et des ténèbres vers la lumière, repose sur le règne de la solitude et de l’éloignement de l’être. Puisque toute mutation, quel que soit son genre, se passe dans l'obscurité et l’intimité absolues.

Dans notre corpus d’étude, la grotte est un lieu élevé et non un lieu souterrain comme la caverne de Platon qui est un lieu symbolique de la condition de l’homme ; cependant, lorsque l’homme découvre le monde du beau et du bien hors de la caverne, son devoir, au retour consiste à administrer la cité. La caverne est donc un lieu ambigu ; au départ, sombre, puis éclairé après l’expérience philosophique.

Dans cette caverne il s’agit alors, de prisonniers enchaînés depuis leur enfance, ne voyant que les ténèbres. Puis, un beau jour, l’un d’eux brise ses chaînes et sort pour découvrir que tout ce qu’il croyait voir à l’intérieur n’était qu’illusion et la vérité est à l’extérieur, c'est ainsi qu’il retourne à la caverne pour prévenir les autres et pour vivre dans le monde intelligible.

Donc, dans La Grotte Eclatée, la narratrice nous emporte dans un univers analogue à ce dernier, un lieu où tout est déformé et dénaturé « Les profils décharnés de mes blessés dansaient avec les flammes des bougies sur les parois de le grotte, en épousaient la forme et devenaient monstrueux. » (L. G. E., p. 21) La réalité, dans ce cas, n'est pas ce qui est projeté sur la paroi de la grotte. Ce n‘est pas non plus ce que nous voyons. L'œil, ici, est trahi, trempé. L'écrivaine tente de nous plonger dans un monde d’illusions où la vérité devient une finalité.

Alors, tout est quête dans son roman, commençant par l'identité méconnue de Ia narratrice, du pays spolié pour finir dans celle des idées, de vérité réalité, qui hantent la narratrice « Que de mutilés ! Quel était le crime de ces hommes nés pour vivre et que l'on avait tués ? Quel avait été le sort de ces hommes auxquels on n‘avait pas laissé le temps d’aimer ? » (L. G. E., p. 22)

La grotte de Mechakra devient, bel et bien, la caverne de Platon. Car, la vérité pour ce dernier, réside dans le monde rationnel, et l’illusion, c’est l‘ignorance de l’homme qui doit impérativement s’en soustraire. L’expression suivante peut nous aider, de plus, à comprendre la portée philosophique de ce lieu choisi par l’auteure.

Sur une frontière à l‘ombre d’une grotte je regardais mourir des frères. Ils avaient compris qu’il fallait briser les chaînes trop lourdes pour leur permettre de marcher, des chaînes qui se voulaient héréditaires et qui n’étaient pas sculptées sur nos chromosomes. (L. G. E., p. 32)

Les propos dégagent une métaphore qui explique le caractère rebelle de l’homme qui transcende la douleur et défie la mort pour vivre libre. La mort ici est le symbole de l’élévation de l’être. Un passage d’un état à un autre. Ceci ne pourrait advenir que par la résolution et le retour à la pensée où la logique trouve refuge.

La parole de la jeune adolescente instaure bien cette idée « Je luttais par raison » (L. G.

E., p. 35) du moment que tout a tari, les sentiments comme les convictions.

La symbolique universelle ne voit pas dans ce lieu un refuge alors que c’était la toute première demeure de l’homme primitif dans laquelle il trouvait repos et protection, puisque toute la primauté et tout l’intérêt sont donnés à l’influence de ce lieu sur l’Homme. Le côté transformationnel engendrées emporte l'homme sur le côté protecteur, que se soient sur le plan moral, spirituel ou même physique. Cette portée par contre est entretenue par le théoricien de la littéraire, Gaston BACHELARD qui confie : « La grotte est un refuge dont on rêve sans fin. Elle donne un sens immédiat au rêve d'un repos tranquille. D’un repos protégé. » (BACHLARD, La terre et les rêveries du repos, 1948)

Donc ce symbole de protection donné à la grotte ou la caverne est bien mérité d'autant plus qu’elle symbolise le moi primitif; refoulé dans les profondeurs de l'inconscient (Chevalier, 1982) nous pouvons illustrer cette idée par l’expression « Il n‘avaient rien vu et je gardai pour moi seule ma grotte et ma peine » (L. G. E., p. 140) , les termes suivants : « moi seule ; ma peine », mettent à nu le moi primaire de la première dame des lieux et exposent le psychisme déjà martyrisé par une petite enfance persécutée par une société dépréciatrice.

Également la grotte, est symbole de résurrection. Une deuxième naissance se manifeste par « j’arrachai une motte de terre, je l’emporterai avec moi à ARRlS. Je la déposerai dans une jarre et j’y planterai des marguerites » (L. G. E., p. 174) La motte de terre, que l’héroïne

compte emporter avec elle et les marguerites qu’elle plantera, sont une réincarnation de tout ce qu’elle a perdu dans l'éclatement de la grotte.

A l’image du sphinx qui renaît de ses cendres, elle espère l’accomplissement d’un miracle. Ce pouvoir de résurrection, cette culture de renaissance par laquelle Mechakra gratifie sa narratrice, révèlent nettement le combat pour la survie. Une philosophie qu’elle essaye de promouvoir tout au long de son roman.

Le choix de la grotte n’est nullement fortuit. Ce lieu en particulier provoque l’attitude de vouloir percer certains mystères qui encerclent la vie. Puisque la grotte, comme la caverne sont vues comme des endroits qui détiennent les secrets de l’existence. Ceci provoque le désir de s’engager dans ce monde, à la poursuite de la vérité qui ne pourrait être que pour les initiés d’entre nous. « Seuls ceux qui avaient encore une chance de reprendre le combat avaient droit à la grotte. » (L. G. E., p. 22) Pénétrer ce repaire alors, revient à être élue parmi les plus supérieurs. Toujours dans cette même lignée, René GUENON3 montre le

caractère électif de l’initiation et ajoute que seuls les plus qualifiés, les plus forts sont destinés à entrer dans la grotte.

Le mystère et l’étrangeté de cet espace persistent toujours dans La Grotte Éclatée l'infirmière n'est pas encore au bout de ses peines, bouleversée par le secret de la renaissance, elle réfute le discours de GUENON et le droit des plus aptes à accéder à la grotte « Nous ne sommes pas des héros mais condamnés ! Regarde de toute la terre, ils ne nous ont laissé qu'une grotte qui ne nous accouchera jamais !». (L. G. E., p. 27)

Or, GUENON, dans cette perspective, ajoute « Pour que cette résurrection, qui est en même temps la sortie de la caverne [grotte], puisse avoir lieu, il faut que la pierre qui ferme l‘ouverture du sépulcre (caverne) soit enlevée ». Dans ce cas, les personnages du roman doivent reconquérir leur pays d‘abord ou bien mourir, deux actes signes de délivrance. La sortie de la caverne, quelle que soit la façon, est symbole d‘accouchement, d‘où la renaissance qu'ils espèrent voir se réaliser.

3GUENON René, également connu sous le nom d’Abd al-Wâhid Yahyâ, né le 15 novembre 1886 à Blois,

en France, et mort le 7 janvier 1951 au Caire, en Égypte, est un auteur français, « figure inclassable de l’histoire intellectuelle du XXe siècle ».

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