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L’utilisation des données de la recherche en génétique pour mieux appréhen­ der les facteurs de risque des troubles mentaux de l’enfant doit amener à prendre en considération plusieurs faits.

La notion de déterminisme génétique ne s’applique que modestement aux pathologies polyfactorielles que représentent la grande majorité des troubles mentaux de l’enfant. Les facteurs génétiques actuellement incriminés peu- vent, en effet, augmenter un risque, favoriser l’expression d’un trouble, modi­ fier l’expression de cette maladie, mais non l’expliquer totalement ou la provoquer. On parle plutôt de susceptibilité génétique, de vulnérabilité géné­ tique, de facteurs génétiques interagissant avec les autres facteurs (interaction environnement et gènes). Ainsi, la génétique qui est une des voies de recher­ che dans la compréhension des facteurs étiologiques en cause doit être confrontée avec d’autres approches.

De manière paradoxale, la reconnaissance d’une vulnérabilité génétique offre la possibilité d’une intervention environnementale et/ou familiale sur une pathologie dont le déterminisme est essentiellement génétique. Par exemple, dans la « maladie des os de verre » (la pycnodysostose) exclusivement généti­ que (monogénique), ce sont des événements de vie spécifiques (traumatismes accidentels, fractures) qui révèlent la pathologie. De plus, ce sont des facteurs environnementaux (traitement des fractures, rééducation adaptée) et facteurs éducatifs (prévention des traumatismes) qui forment l’essentiel des aides thérapeutiques, et non une intervention (jusqu’à ce jour) directe sur les facteurs génétiques. La prévention de ce type de maladie par « sélection génétique » nous aurait empêchés de bénéficier du talent d’un Toulouse- Lautrec, par exemple...

Les termes d’« héritabilité », de « poids des facteurs génétiques », de l’impor­ tance de la « variance expliquée par les facteurs génétiques » renvoient à des concepts théoriques assez éloignés de ce qui est généralement compris. Ainsi l’héritabilité correspond au pourcentage d’explication de la maladie due aux différences (polymorphismes) interindividuelles du génome (ensemble des 30 000 gènes qui nous constituent). On considère en général l’héritabilité au sens large, c’est-à-dire comprenant les facteurs génétiques additifs (le poids de un ou plusieurs gènes, y compris leur interaction). Cette distinction est importante dans le sens que l’informativité apportée par les gènes en cause est 145

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inférieure à l’héritabilité totale. Ainsi, une forte héritabilité ne signifie pas forcément qu’un gène candidat (actuellement étudié) ait un poids considéra­ ble. Par exemple, l’anorexie mentale a une héritabilité estimée autour de 70 %, mais l’allèle de vulnérabilité le plus impliqué à l’heure actuelle n’aug­ mente le risque d’anorexie mentale que de 1,8 (risque relatif). L’héritabilité doit donc plutôt être considérée comme le seuil maximal de ce que la généti­ que peut apporter plutôt que la portée à venir des gènes candidats analysés. Les études d’agrégation familiale, de jumeaux et d’adoption permettent de repérer le poids des facteurs « génétiques », « familiaux » et « environnemen­ taux » avec une assez bonne précision. Néanmoins, cette séparation artifi­ cielle ne correspond pas à une séparation aussi claire dans la réalité. En effet, si la définition des facteurs génétiques est intuitivement aisée (ressemblance entre apparentés due à l’importance des facteurs génétiques en commun), cela est plus complexe pour les facteurs familiaux et environnementaux. De fait, les facteurs familiaux correspondent aux facteurs partagés dans la même cellule familiale éducative des apparentés étudiés. Il s’agit donc plutôt de facteurs dits « partagés ». Par exemple, le milieu socioprofessionnel est un facteur familial partagé, de même que le fait d’être élevé dans une famille monoparentale, d’avoir un parent atteint de telle ou telle pathologie. Pour les facteurs environnementaux, il s’agit des facteurs « spécifiques » à l’individu. Cela comprend les événements de vie spécifiques à un individu et vécus en dehors de la cellule familiale, la relation avec des pairs..., mais aussi les interactions familiales spécifiques avec l’un de ses deux parents.

Ce que l’on peut attendre de la recherche en génétique pour la pédopsychia­ trie est de quatre ordres :

• une aide à la compréhension des facteurs non génétiques. En effet, mieux comprendre le rôle des facteurs génétiques facilite la compréhension du rôle des autres facteurs, familiaux et environnementaux. Les études portant sur les interactions gènes-environnement débutent d’ailleurs dans différentes patho­ logies avec des résultats particulièrement intéressants ;

• des modèles intégratifs des troubles mentaux chez l’enfant seront vraisem­ blablement proposés à partir d’une meilleure connaissance des différents gènes impliqués. En cela, une vision plus complexe et dynamique des facteurs étiopathologiques des maladies mentales de l’enfant amènera probablement à abandonner des explications simplistes actuellement proposées ;

• de manière plus pragmatique, la révélation de gènes impliqués donne sur- tout l’occasion de repérer quelles sont les protéines déficientes impliquées, et donc d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques jusque-là ignorées. Loin du fantasme de la « thérapie génique », le but est surtout de connaître quels sont les gènes mutés, donc les protéines déficientes, et par conséquent cibler une aide thérapeutique spécifique à l’individu (en fonction de son patrimoine génétique) ;

• enfin, et cela intéressera spécifiquement le clinicien, il est vraisemblable 146 que la nosologie actuellement proposée soit refondée suite à la connaissance

Susceptibilité génétique

des facteurs (génétiques et autres) impliqués. En effet, il semble que les analyses dimensionnelles et non catégorielles aient plus de validité, et que les regroupements par types de syndromes (dépression versus troubles anxieux par exemple) n’aient pas beaucoup de cohérence si l’on se base sur les facteurs étiopathologiques potentiellement en cause.