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Survol de la littérature sur les noms composés en français

Chapitre 1. Travaux antérieurs

1.2 Survol de la littérature sur les noms composés en français

Nous venons de présenter comment le phénomène de composition nominale est traité dans la littérature grammaticale grecque. Notre choix d’effectuer un survol de la littérature sur les noms composés du français aussi se justifie par le fait qu’on y retrouve des problèmes similaires (ce qui n’est pas le cas, par exemple, avec les noms composés de l’allemand qui présentent des particularités complètement différentes). Pour ce qui est du français, il existe également un nombre important de travaux portant sur la composition lexicale (ou morphologique) en général et, en particulier, sur les noms composés. Ces études sont issues soit de l’approche linguistique, soit de l’approche statistique, soit d’une approche hybride

combinant des éléments des deux premières approches. Dans ce sous-chapitre, nous citons certains travaux qui ont été effectués dans le cadre de l’approche linguistique et qui servent aujourd’hui de référence pour la plupart des études concernant la composition nominale en français.

Plusieurs auteurs ont déjà proposé des survols des travaux linguistiques sur les noms composés en français, parmi lesquels nous citons : A. Poncet-Montange 1991, A. Monceaux 1993, G. Gross 1996a et Z. Gavriilidou 199734. Dans ce sous-chapitre, nous ne reprenons que les grandes lignes de la réflexion sur la composition lexicale (ou morphologique) en français et, plus particulièrement, sur la composition nominale.

La première étude qui traite les mots composés du français de manière approfondie est le

Traité de la formation des noms composés (A. Darmesteter 1874). L’auteur se propose

d’étudier « les lois de la composition française », c’est-à-dire « les règles auxquelles elle est soumise et les procédés dont elle use lorsque, empruntant à la langue des mots déjà existants, elle les combine dans des créations nouvelles ». L’ouvrage propose, en réalité, un traitement sémantique pour les noms composés. Selon A. Darmesteter (1874), « le nom composé évoque dans l’esprit non les images distinctes répondant à chacun des mots composants mais une image unique ». L’auteur fait la distinction entre les « composés véritables » (e.g. timbre-

poste, rouge-gorge), qui sont asyntaxiques car elliptiques, et les « composés apparents » (e.g. pomme de terre, boîte à lettres), qui sont conformes aux lois de la syntaxe et qui doivent leur

existence aux hasards de l’usage.

Le critère purement sémantique de l’« unité d’image » a été repris par de nombreux linguistes dont Ch. Bally (1965), F. Brunot et Ch. Bruneau (1949) et M. Grevisse (1986). Toutefois, comme le note G. Gross (1986b : 54-55), « la notion d’idée unique qui correspond à celle de signifié unique ne concerne que les mots composés "figés", ceux dont aucun élément ne peut faire l’objet d’un choix : un blanc-bec, une pièce rapportée, un chat-huant, un cordon bleu, etc. Mais, il en est des noms composés comme des phrases figées : le figement peut affecter l’ensemble ou un seul des éléments constituants, avec toutes les combinaisons intermédiaires possibles. Or, les composés totalement figés constituent une minorité. Près de quatre composés sur cinq comprennent une position susceptible de permettre un choix ».

La définition fonctionnaliste des mots composés est motivée par leur comportement syntaxique. A. Martinet (1967) propose le terme de « synthème » pour désigner « les unités linguistiques dont le comportement syntaxique est strictement identique à celui des monèmes avec lesquels elles commutent, mais qui peuvent être conçues comme formées d’éléments sémantiquement identifiables ». Comme le note A. Poncet-Montange (1991 : 7), « la véritable innovation de Martinet consiste à traiter le problème de la définition des mots composés en termes formels et à l’aide de critères objectifs ». Du point de vue syntaxique, les « synthèmes » se comportent exactement comme des mots simples (monèmes), avec lesquels ils sont commutables :

Luc dort sur (la chaise longue + le canapé)

Les éléments constituants perdent leur autonomie syntaxique et ne peuvent pas être déterminés individuellement. Toute détermination porte obligatoirement sur l’ensemble du « synthème » :

* Luc dort sur la chaise (plus + infiniment) longue * Luc dort sur la chaise confortable longue

Mais : Luc dort sur une chaise longue confortable

A. Martinet (1967) reconnaît qu’il existe des degrés de figement sémantique, mais il souligne aussi qu’« il est pratiquement impossible de tracer une limite précise entre ce qui est sémantiquement analysable et ce qui ne l’est pas ». La définition syntaxique est sans doute plus rigoureuse, mais elle s’avère elle-aussi insuffisante pour l’étude de l’ensemble des mots composés.

L’idée d’A. Darmesteter (1874) qu’un nom composé est « une phrase en réduction » a été reprise par des auteurs d’inspiration générativiste, comme par exemple L. Guilbert 1971. Selon l’hypothèse transformationniste (L. Guilbert 1971), les mots dérivés et les mots composés sont formés à partir de phrases de base sous-jacentes. Par exemple, les noms composés de structure Nom + Adjectif seraient issus d’une série de transformations portant sur une phrase de base en être. La relativation, ensuite l’effacement du pronom relatif et du verbe être en constituent les principales étapes :

[que être]=: cette chaise qui est longue [Dét=UN]=: une chaise qui est longue [que être z.]=: une chaise longue35

G. Gross (1996a) présente une étude globale sur les noms composés et sur d’autres locutions telles que les déterminants composés, les verbes composés et les locutions verbales, les locutions adjectivales, les locutions adverbiales et les locutions prépositives et conjonctives. Il applique une série de critères afin de définir le phénomène linguistique de figement. Les propriétés qui caractérisent le figement comprennent, notamment, la polylexicalité, l’opacité sémantique, le blocage des propriétés transformationnelles, la non-actualisation des éléments constituants, le blocage des paradigmes synonymiques et la non-insertion36. Pour ce qui est des noms composés, il en étudie les propriétés morphosyntaxiques et sémantiques spécifiques, et en propose une typologie de classification tout en focalisant sur l’analyse des noms composés de structures Nom + Adjectif et Nom de Nom.

Dans le cadre de la théorie du Lexique-Grammaire, de nombreuses études ont été effectuées sur les noms composés. A titre indicatif, citons les travaux de A. Monceaux (1993) sur les noms composés de structure Nom + Adjectif, de A. Poncet-Montange (1991) sur les noms composés de structures Nom à Nom et Nom à Verbe ainsi que les travaux de A. Firenze et B. Pelletier (1989), G. Gross (1991), G. Gross et A. Dugas (1991) et de A. Belanger (1997) sur les noms composés de structure Nom de Nom.

Enfin, dans une perspective plus applicative visant à l’annotation des noms composés dans des corpus de textes écrits, E. Laporte ; T. Nakamura et S. Voyatzi (2008)37 proposent une classification morphosyntaxique d’un ensemble de 125 791 noms composés (lemmes) du français. De nombreux problèmes y sont discutés concernant, notamment, la délimitation lexicale (ou morphologique) et syntaxique des noms composés, le traitement des noms composés prédicatifs, la représentation formalisée des formes coordonnées dues à la factorisation des parties communes ainsi que le problème de limites entre noms composés et entités nommées.

35 Pour une présentation plus détaillée de l’hypothèse transformationniste de formation des noms composés, voir

aussi : A. Poncet-Montagne 1991 et Z. Gavriilidou 1997.

36 Pour une présentation plus détaillée de ces propriétés, cf. aussi I, 2.2.1-2.2.11. 37 Désormais E. Laporte et al. (2008).