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SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE 19 Cour européenne des droits de l’homme, Golder c Royaume‐

EN DROIT I SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

A. Sur la recevabilité du grief tiré de l’article 6 §

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33. La requérante se plaint d’une violation de l’article 6 de la Convention au motif que les juridictions italiennes ont accordé l’exequatur à la déclaration de nullité de son mariage prononcée par les tribunaux ecclésiastiques à l’issue d’une procédure dans laquelle ses droits de la défense avaient été méconnus. 34. Le passage pertinent de l’article 6 se lit ainsi : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » 35. La requérante souligne que, dans un procès canonique, la partie défenderesse, avant d’être interrogée par le tribunal, n’est informée ni de l’identité du demandeur, ni des motifs de nullité allégués par celui‐ci ; elle n’est pas instruite de la possibilité de se prévaloir de l’assistance d’un défenseur (possibilité qui est d’ailleurs contestée par une certaine doctrine), ni de celle de demander des copies du dossier. Par conséquent, les droits de la défense se trouvent fortement diminués dans le cadre de telles procédures. En effet, la requérante n’a pas été informée à l’avance des motifs de sa citation à comparaître ; elle n’a pas davantage été avisée de la possibilité de nommer un avocat ni dans la citation à comparaître ni lors de son interrogatoire. Ces circonstances l’ont empêchée de faire face aux demandes de son ex‐mari de façon éclairée : elle aurait pu, par exemple, ne pas se rendre à l’audition ou se prévaloir de

la faculté de ne pas répondre. De plus, sans l’assistance d’un avocat, elle s’est trouvée intimidée par le fait que le juge était un religieux.

36. Les droits de la défense de la requérante se trouvaient dès lors irrémédiablement compromis après sa comparution devant le tribunal ecclésiastique, et les juridictions italiennes auraient dû refuser d’entériner l’issue d’une procédure tellement inéquitable au lieu de se borner à affirmer – en l’absence de tout examen approfondi – que la procédure devant les juridictions ecclésiastiques avait été contradictoire et équitable.

37. Par ailleurs, l’avocat de la requérante a essayé d’obtenir une copie du dossier déposé au greffe du tribunal ecclésiastique, notamment car elle avait appris que trois témoins avaient été entendus par ce tribunal, mais cette possibilité lui a été refusée. Elle n’a donc pas pu produire ces documents dans la procédure devant les juridictions italiennes.

38. La requérante souligne en outre que la cour d’appel de Florence a rejeté sa demande visant à obtenir que son ex‐mari continue à lui verser une pension alimentaire mensuelle au motif qu’il n’y avait aucune preuve de son état de nécessité, alors qu’elle avait produit les documents attestant d’un tel état. La procédure devant les juridictions italiennes aurait également été inéquitable sur ce point.

39. Le Gouvernement considère que les droits de la défense garantis à la requérante n’ont aucunement été violés en l’espèce. Il souligne que les juridictions italiennes ont examiné attentivement tous les griefs soulevés par la requérante et ont abouti à la conclusion, étayée par une argumentation logique, qu’il n’y avait eu aucune violation des droits de la défense de l’intéressée. En outre, l’annulation du mariage se fondait sur un élément objectif, la consanguinité, qui n’a pas été contesté par la requérante et qui résulte clairement des documents versés au dossier ; le fait que la requérante n’a pas été prévenue de la raison pour laquelle elle avait été citée à comparaître devant le tribunal ecclésiastique régional du Latium, et l’absence d’avocat pour l’assister ne sauraient lui avoir porté préjudice car, à cette occasion, elle s’était bornée à admettre avoir eu connaissance de la consanguinité.

40. La Cour note d’emblée que la déclaration de nullité du mariage de la requérante a été prononcée par les juridictions du Vatican, puis rendue exécutoire par les juridictions italiennes. Or le Vatican n’a pas ratifié la Convention et, du reste, la requête est dirigée contre l’Italie : la tâche de la Cour consiste donc non pas à examiner si l’instance devant les juridictions ecclésiastiques était conforme à l’article 6 de la Convention, mais si les juridictions italiennes, avant de donner l’exequatur à ladite déclaration de nullité, ont dûment vérifié que la procédure y relative remplissait les garanties de l’article 6 ; un tel contrôle s’impose, en effet, lorsque la décision dont on demande l’exequatur émane des juridictions d’un pays qui n’applique pas la Convention. Pareil contrôle est d’autant plus nécessaire lorsque l’enjeu de l’exequatur est capital pour les parties.

41. La Cour doit examiner les motifs donnés par la cour d’appel de Florence et la Cour de cassation pour rejeter les griefs de la requérante concernant la procédure canonique.

42. Or la requérante s’était plainte d’une violation du caractère contradictoire de la procédure : en effet, elle n’avait pas été informée en détail de la demande d’annulation présentée par son ex‐mari et n’avait pas eu accès au dossier de la procédure. Par conséquent, elle ignorait en particulier le contenu des dépositions des trois témoins qui auraient été entendus en faveur de son ex‐mari et des observations du procureur général. De plus, elle n’avait pas été assistée par un avocat.

43. La cour d’appel de Florence a estimé que les circonstances dans lesquelles la requérante avait comparu devant le tribunal ecclésiastique et le fait qu’elle avait par la suite interjeté appel du jugement rendu par ce dernier suffisaient pour conclure qu’elle avait bénéficié d’un procès contradictoire. La Cour de cassation a déclaré que, pour l’essentiel, la procédure canonique respectait le principe du contradictoire.

44. La Cour estime que ces motifs ne sont pas suffisants. Les instances italiennes ne semblent pas avoir attribué d’importance à la circonstance que la requérante n’avait pas pu prendre connaissance des éléments apportés par son ex‐mari et par les – prétendus – témoins. Pourtant, la Cour rappelle à cet égard que le droit à une procédure contradictoire, qui est l’un des éléments d’une procédure équitable au sens de l’article 6 § 1, implique que

chaque partie à un procès, pénal ou civil, doit en principe avoir la faculté de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (voir, mutatis mutandis, les arrêts Lobo Machado c. Portugal et Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‐I, respectivement pp. 206‐207, § 31, et p. 234, § 33, ainsi que Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, Recueil 1997‐II, p. 436, § 33).

45. Peu importe que, comme le fait valoir le Gouvernement, la requérante n’aurait de toute manière pas pu s’opposer à la nullité du mariage, qui découlait d’un fait objectif et non contesté. Il appartient aux seules parties à un litige de juger si un élément apporté par l’adversaire ou par des témoins appelle des commentaires. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce au dossier (voir, mutatis mutandis, F.R. c. Suisse, no 37292/97, § 39, 28 juin 2001, non publié).

46. Il en va de même quant à l’assistance d’un avocat. Une telle assistance étant possible, selon la Cour de cassation, même dans le cadre de la procédure canonique abrégée, la requérante aurait dû être placée dans une situation lui permettant d’en bénéficier si elle le souhaitait. L’argument de la Cour de cassation selon lequel la requérante aurait dû connaître la jurisprudence en la matière ne convainc pas la Cour : en effet, les juridictions ecclésiastiques pouvaient présumer que la requérante, qui ne disposait pas de l’assistance d’un avocat, ignorait cette jurisprudence. De l’avis de la Cour, étant donné que la requérante avait été citée à comparaître devant le tribunal canonique sans savoir de quoi il s’agissait, il incombait audit tribunal de l’informer de sa faculté de se prévaloir de l’assistance d’un avocat avant qu’elle ne se rende à l’audition. 47. Dans ces conditions, la Cour estime que les juridictions italiennes ont manqué à leur devoir de s’assurer, avant de donner l’exequatur à l’arrêt de la rote romaine, que dans le cadre de la procédure canonique la requérante avait bénéficié d’un procès équitable. 48. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. (…)

28.

Cour européenne des droits de l’homme, Salduz c. Turquie –

27 novembre 2008 – Grande Chambre

(…) EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 11. Le requérant est né le 2 février 1984 ; il réside à İzmir. A. L’arrestation et le placement en détention du requérant

12. Soupçonné d’avoir participé à une manifestation illégale de soutien au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale), le requérant fut arrêté le 29 mai 2001 vers 22 h 15 par des policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté d’İzmir. On lui reprochait également d’avoir accroché une banderole illégale sur un pont à Bornova le 26 avril 2001.

13. Le 30 mai 2001 vers 0 h 30, le requérant fut emmené à l’hôpital universitaire Atatürk, où il fut examiné par un médecin. D’après le rapport médical établi à la suite de cet examen, le corps de l’intéressé ne présentait aucune trace de mauvais traitements. 14. Vers 1 heure le même jour, le requérant fut interrogé dans les locaux de la section antiterroriste en l’absence d’un avocat. D’après un formulaire explicatif des droits des personnes arrêtées signé par lui, les policiers lui notifièrent les charges qui pesaient sur lui et l’informèrent de son droit de garder le silence. Dans sa déclaration, le requérant reconnut qu’il faisait partie de la section des jeunes du HADEP (Halkın Demokrasi Partisi – Parti de la démocratie du peuple). Il donna les noms de plusieurs personnes travaillant pour la section de la jeunesse du bureau de district de Bornova. Il déclara qu’il était l’assistant du responsable du service de presse et des publications de la dite section, et qu’il était également responsable du secteur d’Osmangazi. Il expliqua qu’une partie de son travail consistait à attribuer leurs tâches aux autres membres de la section. Il reconnut qu’il avait participé à la manifestation de soutien au chef emprisonné du PKK que le HADEP avait organisée le 29 mai 2001. Il déclara que la manifestation avait rassemblé quelque soixante personnes, qui avaient crié des slogans de soutien à Öcalan et au PKK. Il précisa qu’il avait été arrêté sur les lieux de la manifestation. Il admit également que c’était lui qui avait écrit les mots « longue vie à notre chef Apo » qui figuraient sur une banderole qui avait été accrochée à un pont le 26 avril 2001. La police prit des échantillons de son écriture et les envoya au laboratoire de la police criminelle d’İzmir pour examen.

15. Le laboratoire remit son rapport le 1er juin 2001. Il y concluait que si certaines caractéristiques

de l’écriture du requérant présentaient des analogies avec l’écriture de la banderole, on ne pouvait établir si celle‐ci avait réellement été écrite par l’intéressé. 16. Le 1er juin 2001 vers 23 h 45, le requérant fut une nouvelle fois examiné par un médecin, qui déclara que le corps de l’intéressé ne présentait aucune marque de mauvais traitements. 17. Le même jour, le requérant fut traduit devant un procureur, puis devant un juge d’instruction. Devant le procureur, il expliqua qu’il n’était membre d’aucun parti politique mais qu’il avait pris part à certaines activités du HADEP. Il nia avoir confectionné la moindre banderole illégale ou avoir participé à la manifestation du 29 mai 2001. Il déclara qu’il se trouvait dans le quartier de Doğanlar, où il devait rendre visite à un ami, lorsqu’il avait été arrêté par la police. Il fit également devant le juge d’instruction une déclaration dans laquelle il rétractait celle qu’il avait faite devant la police, alléguant que celle‐ci lui avait été extorquée sous la contrainte. Il affirma qu’il avait été frappé et insulté pendant sa garde à vue. Il démentit une nouvelle fois avoir participé à la moindre activité illégale et expliqua que, le 29 mai 2001, il s’était rendu dans le quartier de Doğanlar pour y rendre visite à un ami et qu’il ne faisait pas partie du groupe de personnes qui avaient crié des slogans. A l’issue de l’interrogatoire, le juge d’instruction ordonna son placement en détention provisoire eu égard à la nature de l’infraction et à l’état des preuves. Le requérant eut alors la possibilité de faire appel à un avocat.

B. Le procès