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3. Perspectives de recherche

3.4. Sur la prise en charge de routine

La réalisation de notre étude à l’hôpital de district de Mfou a permis de mettre en avant les forces et les faiblesses du système de dossier médical informatisé choisi pour équiper les CTA et les UPEC camerounais, ESOPE. La recherche sur les dossiers médicaux informatisés pour la prise en charge du VIH est en plein essort. En effet il est reconnu que les systèmes de dossiers papiers ne peuvent pas permettre d’obtenir des informations fiables sur des cohortes importantes de patients, et que la création de dossier médicaux informatisés est nécessaire (Tierney et al., 2010). Les technologies de l’information et de la communication, et notamment les dossier médicaux informatisés peuvent faciliter la prise en charge des patients vivant avec le VIH, et sont reconnus pour faciliter le passage à l’échelle dans les centres de soins primaires et permettre le suivi-évaluation des programmes (Blaya et al., 2010; Braitstein et al., 2009; Harries et al., 2010). De nombreux systèmes ont été décrits de manière complète, notamment un système basé

sur des écrans tactiles mis en place au Malawi et dont la mise en œuvre a permis de soulever successivement les différents écueils et solutions possibles (Douglas et al., 2010). Dans leur article, les auteurs explicitent les challenges, par exemple des sources de courant nécessaires, au travers de document pouvant guider les autres programmes existant. Dans cette étude, deux systèmes ont été considérés, l’un utilisant des opérateurs de saisie comme c’est le cas dans notre étude, et l’autre ou les professionnels de santé utilisent directement l’outil informatique. C’est cette dernière solution qui y a été choisie, et qui est la plus fréquemment rapportée dans la littérature. En effet, l’intérêt clinique des dossiers médicaux informatisés nécessite que les cliniciens aient la possibilité de les consulter en temps réel. Néanmoins, cette solution nécessite des investissements en infrastructures afin que tous les postes de consultation puissent en être équipés, des systèmes de générateurs électriques de secours, une connexion à internet ou à un réseau intranet fiable et sécurisé, et l’utilisation d’outils suffisamment ergonomiques pour permettre leur prise en main rapide par les cliniciens, qui n’ont souvent que peu de temps à consacrer à chaque consultation.

Comme nous l’avons constaté, et comme cela est rapporté dans de nombreuses études, la problématique de l’identifiant unique est un point clé (Douglas et al., 2010), de part la variabilité possible des noms et de leur orthographe, ainsi que des ouvertures successives de dossiers par un même patient. L’utilisation de documents officiels, comme la carte d’identité, n’est pas encore faisable, d’autant que tous les patients n’en possèdent pas et ne sera pas réalisable pour des problèmes de confidentialité tant que ce systèmes seront uniquement dévolus à la prise en charge du VIH et pas à la santé de manière transversale.

Un point important à souligner est que la clé de voûte de tels programmes est l’utilisation de logiciels en source libre, ainsi que les concertations successives pour faire évoluer les outils (Lober et al., 2008). Il est d’ailleurs bien mis en avant que cette solution est préférable à la perpétuelle ré-invention de nouvelles solutions informatiques sans prendre en compte les résultats issus d’autres programmes (Fraser et al., 2005). La contribution des cliniciens locaux est également impérative (Siika et al., 2005). Des expériences similaires à celle du Malawi, basées sur la saisie directe des données par les médecins et les infirmiers ont été mises en œuvre avec succès en Haïti (Fraser et al., 2004). Les données de la littérature soulignent la nécessité d’un programme pilote avant le passage à l’échelle, comme ce fut le cas entre le Morisot Medical Record System (Rotich et al., 2003) et l’AMPATH (Tierney et al., 2007) entre lesquels plusieurs tables rondes ont permis

de déterminer les informations à recueillir en obtenant une base de données consensus minimale. Cela souligne encore une fois l’importance de l’open source pour l’évolutivité des solutions. La translation et le passage à l’échelle de l’initiative menée à Haïti vers le Rwanda rural a dû comprendre l’ajout de nouvelles fonctionnalités et l’adaptation au contexte locale de celles existantes (Allen et al., 2006).

L’utilisation de dictionnaires avec des terminologies internationales (comme la Classification Internationale des Maladies, CIM-10) est importante pour l’interopérabilité, ce qui n’est pas le cas actuellement dans ESOPE, qui laisse une place trop importante à la saisie des données en champ libre.

Les résultats obtenus par ces programmes informatisés sont difficiles à évaluer, mais peuvent conduire à la recherche plus complète des informations recueillies par les cliniciens (Häyrinen et al., 2008). En outre, il peut être possible de se servir de ces données, en plus de leur utilité à des fins de suivi clinique et de suivi-évaluation des programmes, pour l’aide à la décision médicale dans à l’ère de l’evidence based medicine (Diero et al., 2004), et pour cibler les efforts de prévention et rationnaliser les moyens, par exemple dans un modèle permettant de prédire la ré-admission de patients dans les 30 prochains jours sur la base de leur dossier médical (Nijhawan et al., 2012).

Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, il est nécessaire, et possible de construire un outil de qualité, aux standards comparables à ceux du nord, à l’instar de ce qui a été souhaité à travers le projet DREAM (Nucita et al., 2009). En effet, puisque dans tous les cas la mise en œuvre de telles solutions impose un temps de formation non négligeable, et une évolution structurelle majeure, elles se doivent donc d’être durables.

Il est également nécessaire de mettre en œuvre des programmes permettant d’évaluer la qualité des données (Chan et al., 2010), et de publier les retours d’information de toutes les itiniatives, car, dans ce domaine, la littérature officielle est réputée parcellaire (Sørensen et al., 2008). L’évaluation de la perception des programmes par les patients et les cliniciens est également essentielle (Shachak and Reis, 2009).

L’évaluation de ces progammes doit également s’attacher à évaluer le temps qu’ils font gagner ou perdre. En effet un article qui évaluait de manière générale les dossiers

médicaux patients pour la prise en charge clinique hors VIH retrouvait des résultats différents suivant le type de système, sa localisation et l’utilisation par docteur ou infirmiers (Poissant et al., 2005). Dans le domaine de la prise en charge par les antirétroviraux, le Morisot Medical Record System retrouvait des visites des patients écourtées (-22 %), et un temps d’attente réduit pour ces derniers (-38 %), tandis que les personnels avaient plus de temps à consacrer à leurs activités personnelles (Rotich et al., 2003). La qualité des données doit également être évaluée, puisque, principalement en raison d’un manque de formation, les données évaluées par Forster et al avaient une qualité insuffisante pour tracer les perdus de vue (Forster et al., 2008).

Il est important de re-contextualiser la mise en œuvre des solutions informatiques, et de l’adapter au contexte et à l’organisation. En outre, il est important que les sytèmes puissent faire gagner du temps aux cliniciens, s’ils doivent l’adopter. Par exemple, il ne doit pas être dévolu aux cliniciens de saisir les informations biologiques, mais celles ci devraient pouvoir apparaître à leur intention, afin de leur faire gagner du temps (cf. logiciel Nadis © au Nord, par exemple). En outre, le lien avec la pharmacie permettrait d’informer les praticiens sur le taux de possession de médicaments qui est un indicateur reconnu d’observance. Le lien avec la pharmacie permettrait aussi d’informer les décideurs pour une meilleure gestion des stocks.

Figure 39. Vue d’une des onze pièces de stockage des dossiers médicaux à l’hôpital de jour de l’hôpital Central de Yaoundé

Au regard de toutes ces exigences, le logiciel ESOPE est donc une initiative intéressante, d’une ampleur remarquable dans les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, notamment parce qu’elle a été accompagnée d’un programme important de formation des personnels sur place, mais présente néanmoins plusieurs désavantages. En premier lieu, ce n’est pas une solution open source, ce qui engendre des difficultés à faire évoluer le logiciel, et ne permet pas la tenue de concertations avec les personnels de santé pour en faire plus qu’un outil de santé publique, un dossier médical informatisé. La gestion des dossiers papiers (Figure 39) étant un goulot d’étranglement critique de la prise en charge, il paraît important qu’elle soit dévolue à des personnels dédiés.