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Chapitre 2 : Coarticulation nasale

7. Sur la perception de la coarticulation nasale

La plupart des recherches sur la perception de la coarticulation nasale concernent l’influence du contexte vocalique sur l’identification des consonnes nasales /n, m, ŋ/. Les résultats ont montré que deux indices principaux, les transitions de formants et les caractéristiques spectrales murmures nasals durant la tenue de la consonne sont principalement responsables de l'identification du lieu d’articulation des consonnes nasales.

Ouvaroff et Rossatto (2006) ont montré que la nasalisation de la voyelle n’est pas suffisante pour identifier le trait nasal de la consonne précédente une fois le murmure nasal disparu, tandis que le lieu d’articulation, porté par les transitions formantiques, reste perçu. Il a

naturelle ; Zee (1981), étude sur de la parole naturelle). Ces études ont montré que les transitions de formants sont perceptivement plus saillantes dans le contexte d’une voyelle basse que dans le contexte d’une voyelle haute : les consonnes ont un F1 intrinsèquement bas (Fant, 1960), et les voyelles basses un F1 intrinsèquement élevé, d’où des transitions de plus grande ampleur que dans le cas des voyelles avec un F1 intrinsèquement bas. Selon Sharf et Ohde (1981), cette tendance peut être attribuée au fait que les voyelles basses ont une intensité intrinsèque supérieure. D’autres études, par contre, montrent que le lieu d’articulation des consonnes nasales /n, m, ŋ/ est mieux reconnu avec les voyelles hautes (Carlson et al., 1972 ; Abramson et al., 1981).

Des recherches sur l’influence du contexte consonantique sur l’identification des voyelles nasalisées ont montré que l’identification des voyelles ne dépendait pas uniquement des caractéristiques spectrales des voyelles mais aussi du contexte consonantique.

La possibilité que l'origine de la coarticulation ne réside pas uniquement dans les juger les voyelles comme nasalisées dans le contexte nasal que dans le contexte non-nasal ou isolé. Pour expliquer certains des phénomènes qui peuvent donner lieu à la nasalité distinctive, Kawasaki (1986) a utilisé des énoncés naturels pour tester l'hypothèse de Hyman concernant la perception (1975), selon laquelle le phénomène de dénasalisation conduit au renforcement du contraste perçu entre les voyelles orales et nasales. Le niveau de l’amplitude des consonnes nasales initiales et finales des syllabes /mim, mam, mum/ a été progressivement réduit par rapport au noyau de la voyelle. Les résultats montrent que les stimuli avec la voyelle /i/ sont perçus comme étant moins nasals que ceux avec les voyelles /a/

et /u/. En outre, conformément à la théorie, le degré de nasalité perçu d'une voyelle est renforcé par la réduction de l'amplitude de la consonne nasale adjacente. Cette étude confirme l'hypothèse de Hyman (1975). La nasalisation contextuelle d’une voyelle dans un contexte nasal est donc plus facile à percevoir quand la voyelle est extraite (Kawasaki, 1986 ; Vaissière et Amelot, 2008). Il existe une interaction complexe entre les sons oraux et nasals au niveau perceptif.

La plupart des études sur la perception des effets de la coarticulation nasale ont essayé de déterminer les effets de la coarticulation nasale anticipatoire comme un indice supplémentaire pour la perception de segments contigus. Dans diverses études sur la parole naturelle, il a été montré que les effets de la coarticulation anticipatoire ont été utilisés par l'auditeur pour la perception des voyelles nasales et nasalisées et des consonnes nasales.

En utilisant la procédure de tape-splicing (séparation et combinaison de segments d’énoncés enregistrés sur bande magnétique), Malécot (1960) a trouvé qu’en anglais américain, une voyelle est toujours perçue comme nasalisée même quand la consonne nasale suivante a été complètement coupée. De tels effets perceptifs ont également été observés en français par Benguerel et Lafargue (1981) qui a montré que le degré de nasalisation perçue augmentait avec l'ouverture du port vélopharyngé, et que la perception de la qualité nasale était le résultat d'une intégration temporelle.

En ce qui concerne l’identification des consonnes nasales, il a été montré que les consonnes nasales coupées dans la position finale pouvaient être prédites à partir de l'information codée dans les transitions formantiques avec la voyelle précédente (Ali et al.,

1971). L’étude de Ostreicher et Sharf (1976) montre aussi l’importance des effets d’anticipation. Dans leur étude sur la perception de la voyelle en fonction du contexte consonantique et vice versa, les consonnes nasales /m, n/ ont été présentées dans divers énoncés syllabiques et supprimées à l'aide d'une procédure d’effacement de bande » (tape-erasing). Les résultats ont révélé des scores plus élevés d'identification des consonnes précédant la voyelle que des consonnes suivant la voyelle, en particulier dans le contexte avec une voyelle haute ; cela va dans le sens de la découverte antérieure obtenue par simulation vocale analogique (House et Stevens, 1956). Cela suggère que les effets de la nasalisation anticipatoire comme indice pour la perception de segments contigus sont plus importants que les effets de la nasalisation persévératrice.

Comme déjà mentionné plus haut, des études des phonéticiens réalisées grâce aux avancées technologiques de la seconde moitié du XXème siècle ont mis à découvert la non linéarité entre l’articulatoire, l’acoustique et la perception. Un abaissement anticipatoire du voile du palais, visible sur les données cinéradiographiques ou IRM, ou encore sur les données aérodynamiques ou nasographiques, peut être perçu ou non, selon l’identité du phonème nasalisé et de son entourage : par exemple, comme déjà mentionné auparavant, la nasalisation d’un /d / est plus facile à percevoir que celle d’un /s/, car elle crée un son nasalisé contextuellement correspondant à un autre phonème de la langue : /n/. L’oreille est également plus sensible à la nasalisation des voyelles fermées, toutes choses égales par ailleurs (Maeda, 1993). Une voyelle haute nasalisée sera perçue plus rapidement comme nasalisée qu’une voyelle basse (Maeda, 1982-1993), à partir de simulations faites avec un modèle articulatoire, le modèle Maeda. Par exemple, la voyelle fermée /i/ sera perçue plus rapidement comme nasalisée que la voyelle ouverte /a/, avec un même abaissement simulé du voile du palais, toutes choses égales par ailleurs. En utilisant un modèle articulatoire pour synthétiser un continuum depuis la voyelle orale jusqu’à la voyelle nasale, Maeda montre qu’une faible ouverture vélopharyngée conduit à la perception de la nasalité pour la voyelle /i/ tandis qu’à ouverture similaire simulée, cela ne permet pas la perception de nasalité de la voyelle /a/. Le contraste de nasalité peut donc être décrit en terme de degré de couplage et non pas seulement en terme de fermeture et d’ouverture du port vélopharyngé. Maeda a montré le phénomène mais n’a pas su ou pu trancher sur les raisons de la différence du degré de nasalité perçue entre les voyelles ouvertes ou fermées. Comme les voyelles basses sont souvent nasalisées (abaissement naturel du voile du palais), elles seraient donc plus difficiles à être perçues comme nasales, à cause de l’habitude de les entendre sous une forme nasalisée?

Si la langue a une opposition phonologique entre les voyelles orales et les voyelles nasales, comme par exemple, l’hindi, la perception de la nasalité de voyelle serait plus catégorielle que dans une langue qui n’a pas d’opposition phonologique entre les voyelles orales et les voyelles nasales (Beddor, 1982) ; dans les autres cas, elle serait graduelle. Ceci est une hypothèse forte. Dans son étude sur la perception de la nasalité avec des auditeurs anglais et hindis, Beddor (1982), à partir de stimulis créés par synthèse articulatoire a montré que les auditeurs hindis n’ont généralement pas eu de difficultés à percevoir la différence entre /ba/ et /bã/ alors que les auditeurs anglais ont eu besoin d’un plus grand couplage de la cavité nasale (une ouverture vélaire plus importante) pour identifier la nasalité de la voyelle.

Il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes d’auditeurs quant à la perception de la

Nous venons de voir dans ce chapitre que la coarticulation en général et la coarticulation nasale intéressent de nombreux chercheurs depuis très longtemps. La propagation de la nasalité dépend de nombreux facteurs et des études ont été faites pour traiter de tous ces facteurs. Nous avons vu aussi que des résultats contradictoires ont émergé de ces études, une des raisons semblant être des différences entre l’instrumentation utilisée. Nous allons décrire dans le chapitre suivant la méthodologie de notre étude : instrumentation utilisée, corpus et locuteurs, analyse.