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L’avènement des neurosciences sociales dans les deux dernières décennies a permis d’enrichir notre compréhension des substrats neuronaux de la cognition sociale, du développement normal et atypique des fonctions y étant associées et de l’effet complexe de l’expérience sociale sur la structure du cerveau humain. L’hypothèse d’un « cerveau social » tire son origine des études comparatives qui ont démontré à travers les espèces animales une relation entre la complexité sociale et la taille de certaines régions du cerveau suggérant que le cerveau humain aurait grossi et développé des modules spécialisés en réponse aux demandes posées par la socialisation au cours de l’évolution (Adolphs, 2009; Brothers, 1990; Dunbar, 2009). La combinaison des études de lésions et de neuroimagerie fonctionnelle a subséquemment permis de cartographier les zones cérébrales qui sous-tendent le fonctionnement social et fournir des appuis additionnels à l’hypothèse d’un cerveau social (Eslinger, et al., 2004; Kennedy & Adolphs, 2012). Il est désormais reconnu que le cerveau social comprend plusieurs régions cérébrales, notamment aux niveaux frontal et temporal (voir figure 4), qui fonctionnent à la façon d’un réseau intégré aux interconnexions dynamiques au même titre que l’attention ou la mémoire (Beauchamp & Anderson, 2010).

Certaines régions cérébrales sont impliquées préférentiellement dans le traitement social de base (ex. : reconnaissance faciale ou perception des émotions) et sont fonctionnelles tôt durant le développement alors que d’autres évoluent progressivement au cours de l’enfance et l’adolescence et sous-tendent les fonctions de plus haut niveau (ex. : RM) (Blakemore, 2008). Par exemple, la reconnaissance faciale a été associée au gyrus fusiforme (B) et au sulcus temporal supérieur (A) (Posamentier & Abdi, 2003) alors que la perception des émotions regroupe un système davantage diffus qui inclut l’amygdale (G), le striatum ventral et l’insula (Adolphs, 2003; Adolphs, Tranel, & Damasio, 2003; Phillips, Drevets, Rauch, & Lane, 2003). Les études démontrent également que la régulation émotionnelle se distingue de la simple perception ou expérience d’une émotion en recrutant des processus phylogénétiquement plus évolués. Ainsi, la régulation émotionnelle dépendrait de l’interaction entre les régions frontales et les aires du cortex limbique, notamment le gyrus cingulaire antérieure (E) (Ahmed, Bittencourt-Hewitt, & Sebastian, 2015; Etkin, Egner, & Kalisch, 2011; Ochsner & Gross, 2005).

Figure 4. Représentation schématique des régions qui contribuent au « cerveau social »: A) sulcus temporal supérieur; B) gyrus fusiforme; C) pôle temporal; D) cortex préfrontal et pôle frontal; E) cortex cingulaire; F) cortex orbitofrontal; G) amygdale; H) jonction temporopariétale; I) cortex pariétal inférieur; J) cortex frontal inférieur; insula (pas représenté) (Beauchamp & Anderson, 2010).

Certaines représentations du cerveau social font aussi référence au système des neurones miroirs (SNM). Ce dernier a été introduit suite à la découverte de l’activation homologue de neurones du cortex cérébral d’un singe ou d’un humain en réaction à

1995; Gangitano, Mottaghy, & Pascual-Leone, 2004; Hamilton & Grafton, 2006; Rizzolatti, Fadiga, Gallese, & Fogassi, 1996). Depuis, l’intérêt pour le SNM s’est transposé au-delà de la recherche en motricité sous la prémisse que les neurones miroirs pourraient jouer un rôle dans la cognition sociale en raison de leur potentiel à fournir des informations sur les buts et les intentions d’autrui (Kaplan & Iacoboni, 2006; Rizzolatti & Fabbri-Destro, 2008). Bien que cette proposition ait attiré son lot de critiques de la part de certains neuroscientifiques (Dinstein, 2008; Hickok, 2009; Steinhorst & Funke, 2014), un nombre croissant d’études supporte l’idée selon laquelle le SNM jouerait un rôle dans les fonctions sociocognitives de haut niveau et se développerait progressivement au sein du cerveau humain (Bonini, 2016; Bonini & Ferrari, 2011; Keysers & Gazzola, 2009; Marshall & Meltzoff, 2011; Shaw & Czekoova, 2013; Woodward & Gerson, 2014).

Cerveau moral

Le RM recrute pour sa part un vaste réseau neuronal tributaire de la complexité des processus cognitifs et affectifs qu’il engage (Sevinc & Spreng, 2014). Le consensus qui émerge des études en neuroimagerie est que les régions orbitale et ventro-médiane du cortex préfrontal sont impliquées dans les décisions morales émotionnelles (Harenski & Hamann, 2006; Moll et al., 2002), tandis que le cortex préfrontal dorsolatéral rivalise avec celles-ci en agissant comme modérateur de la réponse (Greene, Nystrom, Engell, Darley, & Cohen, 2004; Young & Koenigs, 2007). Ces processus antagonistes seraient régulés par le cortex cingulaire antérieur (Amodio & Frith, 2006; Greene, et al., 2004) qui, avec le sulcus temporal supérieur (Allison, Puce, & McCarthy, 2000) et la jonction temporo-pariétale (Young & Saxe, 2008), est crucial pour les fonctions impliquées dans la théorie de l’esprit, soit l’attribution des intentions et des croyances envers autrui. Les autres régions telles que les portions médiane et antérieure du lobe temporal, le cortex cingulaire postérieur et le lobe pariétal inférieur semblent jouer un rôle plus complémentaire en étant recrutées pour des processus cognitifs généraux engagés lors des tâches de RM (ex. : contrôle cognitif ou mémoire de travail) (Pascual, Rodrigues, & Gallardo-Pujol, 2013). D’un autre côté, les régions telles que l’amygdale joueraient un rôle important dans le traitement des émotions impliquées dans le RM (Decety, Michalska, & Kinzler, 2012; Mendez, 2006) alors que le cortex insulaire serait recruté durant les processus d’empathie (Decety, et al., 2012; Greene, et al., 2004). Globalement, ces résultats supportent

l’hypothèse selon laquelle le réseau neuronal qui sous-tend le RM n’est pas un module unique, mais représente plutôt un large réseau commun impliqué dans la cognition sociale (Bzdok et al., 2012; Casebeer, 2003; Fumagalli & Priori, 2012; Greene & Haidt, 2002; Sevinc & Spreng, 2014; Sommer et al., 2014).

Maturation cérébrale

Les régions du cerveau social enregistrent une augmentation de la connectivité fonctionnelle au cours du développement, notamment entre les régions frontales et limbiques, traduisant un changement graduel avec l’âge de l’intégration complexe entre les processus cognitifs et affectifs impliqués dans le RM (Decety & Howard, 2013; Ernst & Fudge, 2009; Lenroot & Giedd, 2006). Une phase particulièrement importante pour la maturation du cerveau social est l’adolescence, période au cours de laquelle les relations sociales se complexifient et les enjeux d’acceptation par les pairs prédominent (Steinberg & Morris, 2001). De nombreuses études ont d’ailleurs démontré que les corrélats neuronaux du RM représentent des aires cérébrales qui sont soumises à un développement prolongé jusqu’au début de l’âge adulte, et ce, tant au niveau structurel que fonctionnel (Blakemore, 2008; Blakemore & Mills, 2014; Casey, Jones, & Hare, 2008; Lenroot & Giedd, 2006). Il a d’ailleurs été proposé que l’impact de la puberté sur l’éveil des pulsions émotionnelles et comportementales surviendrait avant même que la maturation des lobes frontaux ne soit complétée (Bava & Tapert, 2010; Crews, He, & Hodge, 2007; Steinberg, 2005). Cet écart en début d’adolescence créerait une période d’hyper-vulnérabilité aux problèmes de régulation émotionnelle et comportementale et serait associé à plus de prises de risque et de comportements allant à l’encontre des normes morales (Steinberg, 2005, 2008b). La maturation progressive des lobes frontaux au cours de l’adolescence viendrait par la suite pallier ces problèmes. Le chapitre de livre présenté en annexe explique en détail la maturation cérébrale et son implication sur le plan de la cognition sociale (Ansado, Chiasson, & Beauchamp, 2014).

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