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Dans ce premier chapitre introductif, je replace d’abord dans son contexte l’objet de la recherche. Je commence par présenter dans la revue de la littérature les divers concepts théoriques qui sont ensuite mobilisés dans les articles. Je développe les concepts de connaissance, de compétences, de savoir-faire et j’explique les différences entre transfert et transmission avant d’évoquer la formation des apprentis cuisiniers. Dans un second temps, en introduction de la partie présentant le cadre méthodologique et le terrain d’étude, je commence par expliquer les différentes visions de la cuisine et du métier de cuisinier entre la France et la Chine ce qui permet au lecteur d’avoir une meilleure vision de la tâche à effectuer pour les formateurs. Après cette introduction, j’annonce ma question de recherche : comment transmettre la gastronomie française en Chine ? Et je la décline en trois grands axes de recherche : Comment transmettre des savoir-faire, des pratiques et « l’esprit » de la gastronomie française en Chine ? Quelles sont les différentes formes

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d’interactions entre les formateurs et les étudiants chinois lors des diverses étapes de la transmission ? Comment les stagiaires-formateurs perçoivent-ils les apports de ce stage de transmission de la gastronomie en termes de carrière ?

Afin de répondre à ces questions, j’utilise comme méthodologie de recherche l’étude de cas unique (Yin, 2013) avec le cas du restaurant-école Institut Paul Bocuse de Shanghai. Dans ce restaurant gastronomique d’application, entre le 2 mai 2013 et le 30 avril 2014, 37 étudiants chinois sont formés à la haute cuisine française et au service par 19 stagiaires-formateurs venus de l’Institut Paul Bocuse d’Ecully près de Lyon. J’ai mené 48 entretiens semi-directifs, et effectué deux stages non participatifs d’une semaine – au début et à la fin de l’année de formation – au cours desquels j’ai participé à la vie du restaurant-école. Tout ceci me permet de voir comment les connaissances, les compétences, les savoir-faire et les pratiques propres à un restaurant gastronomique sont transférées en Chine. La seconde partie du premier chapitre de la thèse – dédié à la méthodologie et au design de la recherche – relate comment j’ai collecté, analysé et présenté les données de l’ensemble du document. Les chapitres 2, 3 et 4 sont composés de trois articles comportant des contributions à la fois théoriques et empiriques. Je suis le premier auteur de ces trois articles et celle qui les ai présentés lors des conférences indiquées dans les paragraphes suivants.

Dans le premier article, je me suis interrogée sur la transmission en Chine des savoir-faire, des pratiques, de « l’esprit » de la gastronomie française tel qu’il est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2010. Pour ce faire trois mécanismes sont nécessaires : Tout d’abord un mécanisme « d’inscription » des gestes professionnels et des attitudes dans le corps et le quotidien des apprenants. Ensuite un mécanisme « d’appartenance » à la communauté gastronomique. Cette dernière est la garante de l’esprit de la gastronomie française. Elle se compose non seulement de cuisiniers et de maîtres d’hôtel, mais aussi de gastronomes, de critiques et de guides gastronomiques – tous ceux qui éprouvent une même passion pour la haute cuisine française. Enfin un mécanisme transcendantal qui se réfère à une dimension proche de la foi. Les stagiaires formateurs sont entièrement dévoués à leur mission qui consiste à convertir les étudiants chinois aux

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pratiques et à « l’esprit » de la gastronomie française. La contribution théorique de ce premier article est double avec les concepts de communauté et de transcendance. En effet une communauté dense et diverse est une condition nécessaire pour assurer la transmission de la gastronomie tout en stimulant l’innovation. Cette communauté ne partage pas seulement des pratiques et des gestes mais aussi des goûts, un langage, des références, une passion. La transcendance emprunte à Kant le fait que la pensée précède l’existence même des choses. C’est parce qu’on peut la concevoir que la chose existe. La transmission de l’héritage mondial immatériel suppose le partage préalable d’un cadre de pensée commun, de goûts et de valeurs. C’est à l’intérieur de ce cadre que les concepts, la connaissance, les savoir-faire, les règles et les diverses communautés peuvent être façonnées.

Cet article a été présenté à deux stages de son développement à la conférence EGOS en 2015 à Athènes et en 2016 à Naples.

Transmettre des connaissances et des savoir-faire gastronomiques entre la France et la Chine signifie bien plus que d’apprendre à cuisiner un plat. Il s’agit de la rencontre entre deux groupes ne partageant pas les mêmes valeurs culturelles et culinaires.

Le second article s’interroge donc sur les modes de transmission de la gastronomie française en contexte interculturel en développant le modèle de Carlile (2004) et en lui ajoutant une nouvelle dimension exclusive/inclusive pour définir les types de relations hiérarchiques entre les formateurs et les apprenants. Ce modèle a trois niveaux : le transfert, la traduction et la transformation (remplacé dans notre cas par l’hybridation). En mode transfert, les connaissances se transmettent telles quelles. En mode traduction, les connaissances se transmettent en étant traduites. En mode hybridation quelque chose de nouveau ou de différent – issu de la rencontre entre les deux cultures – est créé (alors que chez Carlile, (2004) on assistait à une transformation). D’autre part en mode exclusif les formateurs ont tendance à glorifier leurs propres connaissances et à ne pas prendre en compte celle des apprenants alors qu’en mode inclusif, au contraire, ils reconnaissent le travail, l’implication et même la créativité des apprenants. La contribution théorique concerne les approches exclusives et inclusives. Ces dernières permettent de voir

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comment les formateurs et les apprenants – en contexte interculturel – communiquent à différents niveaux du modèle, comment leurs relations évoluent. Cela permet d’être conscient des attitudes plus ou moins ouvertes sur l’autre et sur ses différences.

Ces différentes formes de transmission de la haute cuisine française en Chine et les interactions qui y sont associées permettent de contribuer à la littérature sur la transmission des compétences et des connaissances dans les industries créatives en contexte interculturel.

Cet article a été présenté en conférence à Naples pour la conférence EGOS en juillet 2016.

Ma troisième contribution théorique est double. Il s’agit tout d’abord de proposer – en s’appuyant sur les modèles de ‘compétences de carrière’ de Defillippi et Arthur, (1994) puis d’Akkermans et al., (2013) – une nouvelle compétence de carrière nécessaire en contexte interculturel : la compétence de carrière internationale. En effet lorsque les stagiaires se trouvent dans un contexte étranger, ils doivent régler un ensemble de situations plus ou moins compliquées auxquelles ils ne sont pas habitués. Cette nouvelle compétence leur permet de s’adapter et d’être opérationnels plus facilement. Ensuite, les stagiaires formateurs montrent des signes révélateurs d’une ‘carrière nomade anticipée’ dans trois éléments de réponse : dans leurs motivations, dans la catégorisation des compétences utiles à leur future carrière et dans leurs aspirations. En effet, avant même d’avoir commencé leur vie professionnelle ces jeunes pensent à ce qu’ils peuvent retirer comme compétences et expérience de leur stage. Cela laisse présager qu’ils auront une future carrière nomade, c’est-à-dire une carrière sans attache géographique ni institutionnelle, une carrière qu’ils géreront eux-mêmes. Dans les recherches sur les carrières nomades, l’attitude ou la propension des jeunes à adopter une future carrière nomade n’a pas encore été étudié.

La troisième contribution de ce troisième article est empirique. Pour la contribution empirique il s’agit d’un groupe doublement atypique de par sa jeunesse (d’habitude ce

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sont des personnes plus âgées qui sont interrogées dans les recherches sur les carrières nomades) et de par sa fonction : ce sont des artisans du service dans le secteur hautement élitiste de la haute cuisine (alors que d’habitude il s’agit généralement de cols blancs). S’interroger à ces jeunes artisans permet de comprendre les comportements d’un groupe qui n’est pas habituellement étudié pour les carrières nomades. Cela permet aussi d’avoir des informations sur une catégorie socio-professionnelle peu étudié jusque-là dans ce domaine et enrichir les données empiriques.

Cet article a été présenté en conférence à deux stages de son développement à la conférence EGOS en 2014 à Rotterdam et en 2015 à Athènes.

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