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5. Discussion

5.2 LES STRATÉGIES IDENTITAIRES

À cette étape, il est question d'interpréter les résultats à la lumière des stratégies identitaires telles que présentées par Camilleri (1990). De ce fait, une typologie de stratégies identifiées chez les participants sera proposée.

Si l'identité se construit dans une perspective dynamique, au contact d'autrui et dans une multitude de contextes, sa complexité est davantage visible lorsque les références extérieures de la personne sont de deux cultures différentes. C'est dans cette optique que se forment et se cristallisent les stratégies identitaires. Comme présenté précédemment dans la revue de la littérature, les stratégies identitaires permettent à l'individu d'agir, consciemment ou inconsciemment, sur son identité en ayant la possibilité d'exprimer chacune de ses facettes selon différentes situations d'interaction où il se trouve (Malewska- Peyre, 2000, Manço, 1990). Dans ce qui suit seront présentées trois différentes stratégies

99 perçues chez les participants : 1) Le compromis plutôt que le repli, 2) Une alternance conjoncturelle et 3) Je respecte, mais j'ajuste.

5.2.1 LE COMPROMIS PLUTÔT QUE LE REPLI

De prime abord, la situation des participants oriente leurs stratégies beaucoup plus vers le compromis que vers le repli sur le groupe d'origine ou l'assimilation extrême à la culture québécoise. Aucun participant ne rejette l'une ou l'autre des deux cultures et tous mettent en place des stratégies pour les protéger dans leur définition de soi, bien que chacun à sa manière. Pour comprendre ce résultat, il est pertinent de préciser, en comparaison avec les recherches qui ont été faites sur les jeunes issus de l'immigration, majoritairement dans les travaux de Camilleri (1989, 1990), que les enfants d'immigrants installés au Québec n'ont pas une histoire de colonisation comme ceux des pays d'Europe. Ainsi, les rapports historiques entre les Québécois et les jeunes issus de l'immigration ne sont pas marqués par les séquelles de la colonisation, comme le refus de la nationalité ou le racisme. Cette constatation renvoie aussi aux finalités recherchées ou espérées par les participants. À cet égard, rappelons que Camilleri (1990) différencie deux types de finalités : « Une cohérence simple, caractérisant les individus qui résolvent le problème de la contradiction objective (et des tensions consécutives) par la suppression d'une des constatations contradictoires, et une cohérence complexe où l'on cherche à élaborer une formation capable d'assurer l'impression de non-contradiction apparente en tenant compte des éléments en opposition » p.95. De façon générale, les stratégies identifiées ici s'inscrivent donc dans une recherche de cohérence complexe. Il ne s’agit donc pas, pour ces participants, de rejeter une des cultures, mais plutôt de mettre en place des stratégies leur permettant de conserver leur définition de soi.

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5.2.2 UNE ALTERNANCE CONJONCTURELLE

Les résultats montrent la présence d'une stratégie récurrente chez les participants, qui est celle d'une alternance conjoncturelle de l'identité. Il ne s'agit pas d'une identité séparée ou émiettée entre deux appartenances culturelles, mais plutôt d'un jonglage qui permet aux participants d'éviter des situations conflictuelles. Il est question d’adopter une forme d’attitude libre qui permet aux participants de négocier une latitude, notamment en lien avec les conseils des parents ou les pratiques religieuses. Dans ces cas, « les sujets pratiquent l'alternance des codes précisément pour ne pas avoir à accorder constamment les contraires » (Camilleri, 1990, p.100). Ce type de stratégies réfère aux participants qui tentent de dévier certaines situations, susceptibles d'être conflictuelles, en se fondant dans une attitude d'adaptation qui varie et dépend du contexte. Soulignons, qu'il ne s'agit pas ici de situations d'opposition entre des aspects traditionnels de la culture d'origine et la liberté et le modernisme associés à une culture d'accueil nord-américaine, mais simplement de situations où la personne décide, inconsciemment ou consciemment, d'adopter un certain comportement ou de se présenter d'une certaine façon. Les résultats montrent que l'association à une culture plutôt qu'une autre peut dépendre des stéréotypes autour de la culture d'origine. Comme dans le cas de Maria, qui affirme qu'elle serait moins fière de ses origines si elle était colombienne, et ce du fait de l'image stéréotypée, véhiculée sur la Colombie (terrorisme, drogue). Ce constat rejoint ceux présentés dans l'étude menée par Daha (2011) : nous pourrions supposer que les jeunes qui préfèrent se présenter en appartenance à une seule culture, ou qui choisissent de participer à des activités familiales plutôt qu'amicales, tentent d'éviter certaines confrontations ou dévier certaines stigmatisations culturelles.

101 Les résultats de notre étude, nous permettent également de détecter l'existence d'une autre stratégie, qui est celle de l'abandon d'anciennes déterminations institutionnelles fixées dans le passé pour les récupérer sous forme de valeurs (Camilleri, 1990). Il s'agit de l'adoption d'attitude « libre » qui redonne aux traditions et aux valeurs transmises de nouvelles possibilités de réalisation. Ainsi, une soumission aveugle au système « famille » se transforme en une négociation, un compromis qui respectera l'avis des parents en essayant de les satisfaire le plus possible, et donnera au jeune une certaine latitude. Cette stratégie peut expliquer l'attitude des participants à valoriser les conseils de leurs parents, comme le choix des écoles ou encore le respect des pratiques religieuses. Les avis sont ainsi écoutés, mais certaines décisions sont prises individuellement. Comme dans le cas d'Amina (19 ans, Tunisie) qui, secrètement, a un copain, mais tient compte de l'avis de ses parents en n'ayant pas de relations intimes avec lui.

En somme, l'analyse des résultats à partir du modèle de Camilleri (1990) met en évidence l'aspect dynamique de l'identité et l'habileté des participants à modeler leur identité en tenant compte des situations et de leurs finalités. De plus, aucun participant n'a illustré dans son discours une stratégie extrême laissant croire à un repli ou une survalorisation de l'une des deux cultures.

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