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Chapitre 5 La discussion

5.2. Les stratégies

5.2.1. La validation des données du premier volet

Près de deux ans se sont écoulés entre la tenue des entrevues individuelles et celle des groupes de discussion et les participants n’ont que très peu de souvenirs concernant cette première entrevue. Il est néanmoins possible de valider certaines données et de remarquer des divergences. D’abord, les données obtenues lors des groupes de discussions permettent de valider l’utilisation des treize stratégies ressorties de l’analyse des entrevues individuelles. Quant à la fréquence d’utilisation de ces moyens, les données des groupes de discussion confirment que l’écoute sélective et le recours à la vérification sont des moyens relativement peu utilisés par les répondants. Par contre, nous notons aussi quelques différences. Par exemple, le fait de nourrir de l’espoir, qui était ressorti comme une stratégie employée lors du premier volet de l’étude, n’a pas été clairement validé en entrevues de groupe. Puis, la stratégie qui consiste à ignorer ses voix a été très peu soulevée en entrevue individuelle, alors que le tableau présenté à la page 60 du présent mémoire démontre que plus de la moitié des répondants affirment recourir à ce moyen souvent ou très souvent. Finalement, à la lumière des données recueillies lors des entrevues de groupe, certaines stratégies ont émergé très clairement et ont été ajoutées à la grille d’analyse. Il s’agit du fait d’interagir avec les voix, d’avoir recours à l’humour et de briser son isolement.

En somme, de façon générale, les données des entrevues individuelles, en ce qui concerne les stratégies, sont validées par les entrevues de groupe, certaines différences pouvant avoir été mises en lumière par les dynamiques particulières des groupes et par l’orientation des échanges. Certaines différences pouvant s’avérer le reflet d’une maturation, d’expériences positives et de projets constructifs vécus par les répondants.

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5.2.2. L’efficacité relative des stratégies

À la lumière des données obtenues lors de ce mémoire, des éléments intéressants sont ressortis concernant les stratégies. D’abord, certaines stratégies sont perçues comme plus efficaces, tandis que la faisabilité ou les effets d’autres sont plus mitigés. Puis, l’analyse des stratégies, selon leur classification révèle que certaines familles de stratégies semblent plus prometteuses en ce qui a trait aux effets escomptés. De plus, un concept particulier semble être important quant au choix des stratégies et quant à leur efficacité. Enfin, un retour sur les critères d’une stratégie efficace proposés par les écrits scientifiques terminera cette partie.

Deux stratégies ont une efficacité qui fait consensus chez les répondants. Aussi, la prise de médication est-elle sans contredit l’élément crucial à respecter pour espérer arriver à mieux gérer l’audition de voix, selon les participants rencontrés. Se distraire fait également l’unanimité quant à ses effets bienfaisants, car cela permet, entre autres, de penser à autre chose, de se détendre et même de faire partir momentanément les voix. Ensuite, se centrer sur soi et sur le moment présent, s’investir dans des projets, briser son isolement, entretenir des pensées positives et procéder à la vérification de ses voix et de leurs contenus sont des stratégies qui ne sont pas employées par tous, ou encore, qui ne peuvent être employées dans tous les contextes. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées, elles aident grandement les répondants à mieux vivre avec leurs voix.

En revanche, interagir avec les voix et les confronter ne sont pas des stratégies aussi populaires que les précédentes, car certains sont d’avis qu’elles peuvent parfois provoquer des effets indésirables, tels qu’une amplification des voix. Cela est aussi perçu comme pouvant nuire au rétablissement, en accordant trop d’importance aux voix. Toujours en ce qui concerne l’efficacité des stratégies, la pertinence d’adopter de saines habitudes de vie n’est pas évidente pour tous. Puis, concernant la faisabilité de rationnaliser ou d’arriver à ignorer les voix, plusieurs amènent des nuances. Néanmoins, ceux qui parviennent à réaliser ces techniques les jugent efficaces. Pour ce qui est de l’écoute sélective, non

seulement on souligne qu’il est difficile d’y arriver, mais en plus, il est soulevé qu’elle présente un risque de conduire les personnes vers des idées de grandeur. Ce tableau synthèse situe clairement les stratégies, selon leur efficacité et leur faisabilité, du point de vue des répondants.

Tableau 7 - Efficacité et faisabilité des stratégies selon les participants Stratégies dites efficaces Stratégies à l’efficacité mitigée

Dites plus faciles à réaliser Médication

Distraction Nourrir de l’espoir

Interagir avec les voix Confrontation

Saines habitudes de vie

Dites plus difficiles à réaliser Se centrer sur soi

Se centrer sur le moment S’investir dans des projets Briser l’isolement Pensées positives Vérification Rationalisation Ignorer les voix

Écoute sélective

Si l’on s’attarde aux stratégies les plus employées par les répondants qui semblent composer plus efficacement avec leurs voix, l’analyse de la Fiche 1 nous permet de mettre de l’avant celles pouvant, hypothétiquement, mener à des effets plus satisfaisants. Ainsi, la prise de médication et l’investissement dans des projets stimulants occupent la première place, suivis du recours à la rationalisation. Cela corrobore la vision de la thérapie cognitive qui suggère des techniques visant à ce que la personne remette en question ses voix et prenne du recul à leur égard (Chadwick et Birchwood, 1994 ; Chadwick et coll., 2003). La troisième place est partagée par quatre stratégies, soit ignorer ses voix, se distraire, nourrir des buts et de l’espoir et adopter des habitudes de vie qui sont saines. Enfin, alors que les résultats de Romme et de ses collaborateurs (1992) qui rapportaient que la distraction était la seule stratégie à être utilisée majoritairement par les personnes qui ne sont pas en mesure de s’adapter à leurs voix, nos résultats révèlent que se distraire, avoir de saines habitudes de vie et nourrir de l’espoir sont des stratégies auxquelles ont autant recours les participants apparaissant comme moins bien adaptés que ceux qui présentent une meilleure adaptation à

79 leurs perceptions auditives. Par contre, ces derniers ignorent davantage leurs voix que leurs pairs qui éprouvent une plus grande difficulté d’adaptation.

Puis, en actualisant le schéma présentant la classification des stratégies9 et en prenant en considération les stratégies présentant une meilleure efficacité, tel qu’expliqué précédemment, nous remarquons qu’une famille de stratégies sort du lot quant aux limites des stratégies appartenant à sa catégorie. Selon les participants, celles-ci sont difficiles à accomplir et les effets obtenus sont trop souvent indésirables. Il s’agit des stratégies « d’engagement ». Cette observation va pourtant à l’encontre des idées de plusieurs auteurs, dont Romme et ses collaborateurs (1989, 1992), qui affirment que l’adaptation aux voix est favorisée par l’adoption de comportements d’engagement dans la relation avec elles. D’autre part, les stratégies « motivationnelles » et « préventives » apparaissent comme étant particulièrement efficaces et favorables à l’adaptation aux voix, tout comme le sont la majorité des stratégies « attentionnelles » et « dissuasives ».

Un élément apparaît comme essentiel en ce qui a trait au succès des stratégies. Il s’agit de l’importance de fixer soi-même ses choix et ses actes. Cette attitude d’autodétermination favorise le bien-être de la personne. Qu’il s’agisse de tenir les rênes en ce qui concerne ses choix de vie, à l’instar des idées apportées de façon impérative, suggérées ou induites par les voix ou simplement de s’accorder le droit de faire ses propres choix quant aux stratégies à adopter à leur égard, la capacité d’autodétermination agit comme catalyseur de comportements facilitant l’adaptation aux voix. Celle-ci est « déterminée par le degré d’influence qu’une personne peut exercer sur les événements de sa vie » (Jouet, 2009).

Finalement, un retour sur les critères d’une stratégie efficace proposés par les écrits scientifiques nous permet de constater une divergence entre nos résultats et ceux de certains auteurs du domaine (Chadwick et Birchwood, 1994 ; Chadwick et coll., 2003 ; Lawrence et

coll., 2010 ; Romme et Escher, 1992 et 2009). Ainsi, pour ce qui est de favoriser la présence d’un sentiment de contrôle sur les voix et de cultiver une vision positive des voix, l’analyse des données obtenues lors des groupes de discussion confirme qu’il s’agit de méthodes permettant de mieux composer avec les voix. Par contre, en ce qui a trait à l’adoption de comportements d’engagement dans la relation avec elles, les participants de notre étude ont fait ressortir des inconvénients relatifs à cette pratique, notamment, l’amplification des voix et de leurs impacts sur eux. À ce sujet, il est probable que le fait de s’engager avec les voix entraîne des résultats différents chez les individus ayant un diagnostic psychiatrique, comme c’est le cas pour notre échantillon, que chez la population non psychiatrique, pour qui il est possible que les effets soient plus positifs.

5.3. L’angle des thérapies cognitives

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