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Chapitre III : Automatisation de l’analyse différentielle par RMN

I. Mét hodes d’identification de molécules naturelles bioactives dans les extraits

I. 3. Les stratégies de déréplication

Depuis une quinzaine d’années, le développement de méthodes d’analyse des mélanges complexes est en plein essor, amorcé par les études protéomiques puis métabolomiques. Ce développement a été possible grâce à l’amélioration de la résolution et de la sensibilité des techniques analytiques, ainsi qu’aux couplages efficaces entre les instruments de séparation et les instruments spectroscopiques. Ainsi, un certain nombre de procédures de « déréplication » ont émergé132. Ce terme a été initialement défini dans les années 90, comme « un processus d’identification rapide de chémotypes connus »133. Aujourd’hui, le concept de déréplication est élargi à l’identification rapide de substances connues dans un mélange. Ces méthodes reposent généralement sur la suppression ou la réduction des étapes de fractionnement, par l’utilisation d’outils analytiques couplés (LC/MS, GC/MS, LC/RMN) et sur l’utilisation de bases de données.

• Déréplication par spectrométrie de masse en tandem (MS/MS) et réseaux

moléculaires

La spectrométrie de masse est une méthode sensible et rapide. La déréplication des produits naturels par spectrométrie de masse MS² se démocratise depuis la mise en place de la plateforme libre et accessible en ligne GNPS (Global Natural Products Social Molecular

Networking) et la possibilité de créer des réseaux moléculaires134. Cette stratégie a été développée par Pieter C. Dorrestein et Nuco Bandeira (Université de Californie, San Diego).

Cet outil repose sur le fait que des molécules structurellement proches se fragmentent de façon similaire, conduisant à des fragments ou des pertes de neutres communs. La plateforme GNPS permet d’aligner ces jeux de données et de calculer un indice de corrélation (cosine score) entre chaque paire de spectres. Ainsi, deux spectres MS² similaires auront un

cosine score de 1 et deux spectres sans ion ou perte de neutre commun ont un cosine score de 0. Les résultats sont visualisés par le logiciel Cytoscape. L’utilisation de ces réseaux permet de détecter un ensemble d’analogues structuraux à partir d’un spectre MS² de référence, d’identifier des groupes spectraux MS² et de comparer finement les analyses MS de différents échantillons.

Laure MARGUERITTE | Développement d’une méthode de déconvolution pharmacophorique pour

la découverte accélérée d’antipaludiques chez les Rhodophytes 71 La puissance de la plateforme GNPS, en plus de contenir des bases de données de spectres MS², a l’avantage d’être communautaire. Les utilisateurs peuvent déposer leurs spectres expérimentaux et ainsi enrichir la base de données135.

Cette méthode est très puissante et rapide mais présente quelques défauts liés aux variabilités d’ionisations dues aux différentes sources d’ionisation (electrospray ou ionisation chimique à pression atmosphérique) et aux différences de fragmentation entre les appareils Q-TOF (quadripole-temps of flight) et trappes à ions. Le choix de l’énergie de collision permettant d’obtenir une fragmentation optimale peut également être une limite lorsque la classe de molécule à identifier est inconnue.

L’identification d’une molécule inconnue reste difficile bien que les données MS² permettent généralement de générer des données suffisantes pour déterminer la famille chimique. Il faut alors passer par des méthodes séparatives plus classiques pour pouvoir isoler le composé. De plus, bien qu’il soit possible de visualiser la provenance des ions en fonction des échantillons, il est impossible de prendre en compte la variation des activités biologiques par cette méthode car l’intensité des pics MS n’est pas prise en compte et ne serait pas représentative.

• Déréplication par résonance magnétique nucléaire (RMN)

La résonance magnétique nucléaire (RMN) est une technique informative et obligatoire pour l’élucidation structurale d’une nouvelle molécule. La RMN a longtemps été critiquée pour son manque de sensibilité. Aujourd’hui, elle est largement augmentée grâce aux avancées concernant les spectromètres à très haut champ (750 à 1.2 GHz) et les sondes cryogéniques et capillaires. Elle a également l’avantage d’être quantitative, de détecter des composés qui auraient pu être difficilement ionisables en MS. La RMN permet d’accéder à la structure d’une molécule inconnue non référencée dans une base de données.

L’approche la plus commune en métabolomique a été l’utilisation de spectres 1H RMN. Or, cette technique présente plusieurs défauts tels que la variation des déplacements chimiques dépendant du solvant ou du pH de la solution, et le nombre de recouvrements des signaux dans un mélange complexe136. Ces effets peuvent fortement influencer les procédures de déréplication. Cependant, ce point est corrigé par l’utilisation de spectres 2D et des expériences 1H-δ DOSY137.

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Les analyses 13C ont été moins utilisées pour l’analyse d’extraits naturels en raison de la plus faible sensibilité de ces expériences. Elles ont pourtant l’avantage de montrer moins de recouvrements de signaux compte tenu de leur fenêtre spectrale plus large (220 ppm). Les améliorations techniques des spectromètres permettent aujourd’hui d’aborder des études de déréplication par ce type d’expériences138,139. En effet, une méthode de déréplication a été développée à l’Université de Reims. Premièrement, elle consiste en un fractionnement d’un extrait brut par chromatographie de partage centrifuge en plusieurs fractions qui sont analysées par RMN 13C. Deuxièmement, une détection et un alignement automatique des signaux sont réalisés. Ensuite, à partir de la liste de signaux détectés, une matrice 2D est construite où les colonnes correspondent aux fractions et les lignes correspondent à une fenêtre de déplacements chimiques contenant au moins un signal 13C dans au moins une fraction. Cette matrice est ensuite soumise à une analyse par classification ascendante hiérarchique. Cette méthode détecte des déplacements chimiques similaires entre les fractions et les regroupent. Cela permet une visualisation efficace des signaux de RMN partagés entre plusieurs fractions et appartenant à la même molécule. Enfin, ces groupes de déplacements chimiques sont comparés à une base de données interne de spectres RMN 13C et de spectres

13C prédits à partir des composés décrits dans la littérature sur l’espèce étudiée138. Cette méthode est particulièrement efficace pour identifier des métabolites connus et majoritaires dans des mélanges complexes.

Les expériences RMN 2D sont en développement pour les études de déréplication et plus particulièrement, les expériences 1H-13C HSQC et 1H-1H TOCSY en raison de l’émergence de bases de données140–143. Une base de données appelée COLMAR a été développée par l’Université de l’Etat d’Ohio. Elle est spécialisée dans les analyses RMN 13

C-13C TOCSY, 13C-1H HSQC-TOCSY et récemment 1H-1H TOCSY140,144. Elle a ajouté dernièrement les données spectrales de la Biological Magnetic Resonance Data Bank et la

Human Metabolome Database145–147. Il est possible de comparer ses spectres expérimentaux à cette base de données, l’échantillon devant être préparé selon leur protocole et la liste des déplacements chimiques des signaux entrée manuellement. Cette base de données est plutôt orientée vers les biomolécules.

Par ailleurs, il existe plusieurs bases de données de spectres RMN qui ne permettent pas de déréplication. NMRShiftDB est une plateforme en ligne intéressante qui contient 42 000 structures et qui peut aider à l’identification de molécules organiques. Elle est libre d’accès et communautaire. Elle peut aussi prédire des déplacements chimiques en RMN du

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la découverte accélérée d’antipaludiques chez les Rhodophytes 73

13C et 1H. D’autres bases de données spectrales libres d’accès existent telles que CSEARCH, NAPROC-13 ou SpecInfo.

Aujourd’hui, il n’existe pas de plateforme équivalente à GNPS capable de faire des déréplications de mélanges complexes à partir d’analyses RMN.

• Déréplication par RMN et MS

Une nouvelle approche appelée SUMMIT MS/NMR (Structure of Unknown

Metabolomic Mixture components by MS/NMR) a été développée148. Cette méthode à l’originalité de combiner à la fois la spectroscopie de masse et la RMN. Elle consiste en l’analyse d’un échantillon par HRMS, pour conduire aux formules brutes de chaque composant. Toutes les structures possibles pour chaque formule sont ensuite générées, ce qui constitue une liste très importante de composés. Un spectre RMN prédit est généré pour chaque composé listé. Le spectre RMN expérimental du mélange est également acquis. Les déplacements chimiques des spectres prédits et du spectre expérimental sont comparés et les molécules sont ainsi identifiées.

Bien que cette approche soit intéressante, des centaines de structures possibles peuvent être proposées pour chaque formule brute. Générer un spectre prédit pour chacune de ces structures peut être long, en particulier, si le mélange est très complexe. De plus, les structures sont proposées par la base de données ChemSpider, ce qui nécessite que la structure cherchée soit connue149. La prédiction de spectres RMN est réalisée par le logiciel MestReNova (Mestrelab Research, Santiago de Compostela, Spain) qui n’est pas libre d’accès.

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