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Les stratégies de contrôle utilisées afin d’empêcher la propagation d’une infection ou de la stopper sont multiples. Elles peuvent être dues à l’innovation médicale (p. ex. les antibiotiques, la vaccination), aux comportements individuels (p. ex. se laver les mains, porter un masque), à l’amélioration des conditions d’hygiène ou encore aux pratiques culturelles (p. ex. soins, isolement). Mais leur efficacité et leur généralisation sont dépen- dantes d’autres facteurs comme l’acceptation sociale de la pratique et sa compréhension. Par exemple, avant même la découverte des agents pathogènes infectieux, Ignace Sem-

melweis montre que le manque d’hygiène des médecins et étudiants est la cause de la

mains avant chaque auscultation, il observe une diminution drastique du nombre de morts causés par cette infection. Pourtant, il n’arrive pas à convaincre la communauté médicale et le nombre de décès par fièvre puerpérale reste très élevé [Noskin and Peter- son, 2001]. La découverte de stratégies de contrôle n’est donc pas suffisante pour observer un contrôle des infections il faut que cette pratique soit reconnue, acceptée et utilisée par les populations humaines.

1.6.1 Lien entre étiologie et pratiques

Les pratiques de contrôle et de prévention utilisées par les populations dépendent for- tement des croyances concernant la cause de l’infection (l’étiologie) [Green, 1999; Mur- dock, 1980]. Si on prend l’exemple de la peste bubonique au XIV ème Siècle en Europe, les populations pensaient qu’elle se transmettait via la contamination de l’air pollué par les individus infectés (appelé théorie de miasmes) [Slack, 1988]. Pour s’en prémunir, les indi- vidus infectés étaient donc isolés ensemble dans des quartiers spécifiques. A leur mort, les cadavres étaient retirés dans les six heures maximum puis par souci de rapidité, ils étaient enterrés avec un rituel beaucoup plus court. La vente des biens de personnes mortes dues à la peste bubonique était interdite et leur maison était souvent brûlée pour éviter une contamination [Slack, 1988]. L’utilisation de fumées pour assainir l’air des miasmes était courante. Même si maintenant on sait que cette pratique ne protégeait pas des infections, elle est compréhensible du point de vue de leur croyance.

Toutes les sociétés ont développé une connaissance locale des infections et des pra- tiques de soins qui peuvent différer du modèle culturel euro-américain, à savoir le modèle biomédical. Le modèle biomédical correspond au modèle de santé pensé et utilisé dans les pays euro-américains. Il reprend la théorie des germes largement établie et recon- nue et les pratiques de soins sont tournées vers l’individu [Sobo and Loustaunau, 2010]. Un modèle culturel pour une maladie consiste en l’explication et les prédictions qu’un groupe de personnes fait à propos de cette maladie [Hewlett and Hewlett, 2008].

Hewlett and Hewlett [2008] étudient la perception et la croyance du virus Ebola ainsi que de l’épidémie associée dans les populations Gulu en Ouganda et Congo. L’infection par le virus Ebola est perçue comme une possession du corps de l’individu infecté par un esprit malin. La cause de l’infection est donc perçue comme une cause surnaturelle. Même si les termes employés sont différents du modèle biomédical (“esprit malin” à la place “d’agent pathogène”), les pratiques peuvent permettre de limiter la propagation de

l’infection. En effet, les populations ont des pratiques qui permettent de limiter la propa- gation de l’agent pathogène dans la population comme la mise en place d’un isolement de la personne infectée (isolement dans la maison la plus éloignée du village). Les indi- vidus pouvant prendre soin des individus infectés sont les individus ayant eux mêmes été infectés ou une personne âgée. On peut également observer un arrêt des rapports sexuels pendant l’épidémie, le port d’un bracelet en feuilles de banane censé protéger contre le mauvais esprit, etc [Hewlett and Hewlett, 2008]. Même si toutes les pratiques ne permettent pas de protéger ou de limiter la propagation de l’infection, certaines telles que l’isolement et les soins apportés par des individus immunisés semble adaptatives. Dans le chapitre 4, nous verrons que des pratiques culturelles qui empêchent la propaga- tion des maladies infectieuses peuvent être mises en place par les populations humaines lorsqu’une épidémie est en cours.

1.6.2 La vaccination

Au XVIII ème Siècle, avant l’apparition de la vaccination, les populations se proté- geaient de certaines infections notamment de la variole grâce à l’inoculation qui consis- tait à introduire l’agent pathogène à l’origine de l’infection afin de s’en prémunir. Pour la variole, le risque de décès pouvait varier de 1/50 à 1/250 selon la pratique utilisée.

Il faudra attendre 1796 pour qu’Edward Jenner, médecin de campagne anglais, mette au point le procédé de vaccination en partant de cette observation : les fermières ayant été infectées par la variole de la vache (ou cow-pox) - maladie bénigne transmise par les pustules présentes sur les pies des vaches - ne sont pas atteintes par la variole humaine. Il décide donc d’utiliser la variole de vache pour effectuer les inoculations et constate alors que tous les patients ayant été inoculés avec du pus de pustules de vaches sont entiè- rement immunisés contre la variole humaine. Cette nouvelle pratique connut un succès immédiat. En effet l’inoculation avec un agent bénin plutôt qu’infectieux est beaucoup moins risquée et coûteuse pour les individus. En 1853, la vaccination devient même obli- gatoire pour les nouveaux-nés en Angleterre. Cette innovation médicale a permis l’éradi- cation mondiale de la variole en 1980.

Encore aujourd’hui, la vaccination est un moyen reconnu comme efficace pour lut- ter contre les infections [CDC, 1999]. Cependant, aucune autre infection n’a pu être éra- diquée. Une protection de la population est néanmoins possible lorsqu’une assez large proportion de la population est vaccinée et a donc atteint l’immunité collective [May and

Silverman, 2003]. Ce seuil est cependant difficile à atteindre mais surtout à maintenir. En effet, empiriquement, une diminution de la couverture vaccinale n’est pas rare lorsque des campagnes de vaccination volontaire sont mises en place, par exemple la rougeole [Jansen et al., 2003] et la coqueluche [Baker, 2003]. Les diminutions sont dues au fait que ces campagnes reposent intégralement sur la prise de décision des individus à accepter la vaccination. Afin d’y pallier, des campagnes de vaccination obligatoire peuvent être mises en place. Pour la protection de la santé publique, ces campagnes de vaccination peuvent être justifiées. Pourtant, du point de vue des libertés civiles, elles en sont des violations [Moran et al., 2008]. Le conflit entre décision individuelle et protection de la population est clair. Comprendre les facteurs influençant la prise de décision semble important sur- tout dans le cas des campagnes de vaccination volontaire qui restent majoritaires. Pour cela, nous verrons dans le chapitre 5, comment l’intégration d’une prise de décision dé- pendante de biais cognitifs humains vont façonner la dynamique de la couverture vacci- nale.

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