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Chapitre 4: Comparaison analytique des pratiques de surveillance des données de Google et

4.5. Stratégies centrées sur l’asymétrie et les réseaux

Les études de cas ont souligné deux axes importants des stratégies organisationnelles de Google et de la NSA: l’entretien de l'asymétrie informationnelle et le développement continuel d’un métapositionnement au sein des réseaux d'information.

90 D’abord, l'asymétrie informationnelle repose sur un principe simple qui oriente les stratégies des organisations, en particulier celles spécialisées dans l’information : d’une part, maximiser la transparence de l'environnement opérationnel en vue d’une prise de décision la plus informée possible, et d’autre part, conserver autant que possible l'opacité des processus internes de l'organisation afin de préserver sa compétitivité et sa marge de manœuvre. En somme, il s’agit d’organiser les circuits d’information de sorte que, d’une part, il puisse y entrer un maximum d’informations pertinentes aux opérations, et d’autre part, que ne puisse en sortir qu’un minimum d’informations filtrées en fonction des intérêts de l’organisation :

C’est l’histoire platonicienne de l’anneau de Gygès : celui qui est invisible, et qui donc peut voir tout ce que font les autres à leur insu, dispose d’un avantage stratégique énorme. C’est le ressort central d’entreprises comme Google [...]. Elles disent qu’elles doivent leur richesse et leur succès au fait d’avoir les meilleurs analystes de données et les meilleurs algorithmes. Mais ce succès tient moins à des compétences spéciales qu’à une position de pouvoir particulière, qui leur permet de surveiller tout le monde en se soustrayant elles-mêmes aux regards8.

L'asymétrie en matière de visibilité et d'information apparaît donc être un ressort central à la mise en œuvre de toute stratégie organisationnelle. Ce qui caractérise les cas de Google et de la NSA, c'est leur concentration inégalée du capital informationnel global a u sein de structures dont le fonctionnement interne est voilé. En ce sens, les deux organisations se ressemblent à un niveau fondamental en ce qu'elles constituent des boîtes noires spécialisées dans la surveillance globale et massive des données personnelles. Par conséquent, elles jouissent d’un potentiel stratégique hautement élevé, puisqu’elles peuvent compter sur une connaissance avancée et multidimensionnelle de l’environnement informationnel, tout en s’assurant que leurs adversaires, compétiteurs et cibles n’accèdent pas à des informations qui leur permettent d'anticiper, de contrecarrer ou d'imiter leurs ambitions. En somme, la « position de pouvoir particulière » qu'occupent respectivement Google et la NSA repose sur la maximisation simultanée de la transparence environnementale et de l'opacité organisationnelle.

Le résultat de cette situation constitue ce que nous nommons le métapositionnement. Au sein d'un système informationnel global et universel comme Internet, composé d'une myriade de réseaux interconnectés, le pouvoir d'une organisation informationnelle est lié à sa capacité à intégrer

8 Richard, Claire, « Surveiller, tout en se cachant, est la forme la plus haute du pouvoir », L’Obs, 26 août 2016,

URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-le-grand-entretien/20160826.RUE7798/surveiller-tout-en-se- cachant-est-la-forme-la-plus-haute-du-pouvoir.html#link_time=1472220110 (consulté le 28 octobre 2017).

91 d’autres réseaux au sein de ses propres circuits informationnels. En effet, en rassemblant l’information d’une multitude de réseaux externes (par exemple, sites web, bases de données, communications), l’organisation informationnelle peut s'approprier une partie de leur valeur sans assumer une part du risque inhérent à leur production9. Ainsi, Google entretient un métapositionnement par rapport à toutes les pages de la Toile publique, puisque son moteur de recherche constitue un portail assurant le relais entre les usagers et les informations produites et affichées sur les sites web. Ce faisant, Google engrange des revenus colossaux et génère une valeur commerciale inégalée sans avoir à produire la moindre information : le risque et le coût de la production d'information ne sont pas assumés par Google, tandis que l'entreprise s'arroge une partie notable de la valeur de la production intellectuelle sur la Toile – telle qu’elle se définit par la pertinence de l'information trouvée, par les revenus publicitaires et par l'attention des usagers. D'une manière similaire, la NSA entretient un métapositionnement vis-à-vis des systèmes de communication électronique en général, en vertu non seulement de ses installations techniques destinées à l’interception, mais aussi de l'autorité légale qu'elle dérive de ses mandats exécutifs. Pour sa part, la NSA assure le relais entre les besoins informationnels stratégiques des institutio ns gouvernementales étasuniennes et la sphère globale des communications informatiques et satellites. La prédominance en matière d'interception et de surveillance de la sphère globale de l'information signifie que la NSA opère au niveau d'abstraction le plus élevé, ce qui contribue à l'ascendance stratégique du système gouvernemental étasunien sur le reste du monde, du moins en matière informationnelle. Grâce à un ensemble de partenariats, d'infrastructures, de logiciels spécialisés et de ressources financières, la NSA opère en amont de la plupart des autres institutions, dont les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, les entreprises et les États non membres des « cinq yeux », puisqu'ils dépendent tous de la production, de la circulation et de la consommation d'information par des moyens informatiques ou satellitaires.

Toutefois, si la logique de métapositionnement au sein des réseaux informationnels est commune à Google et à la NSA, il demeure que leurs positions respectives ne sont pas égales ou équivoques. En effet, il est clair à partir des études de cas que la NSA opère en amont de Google, puisque l'entreprise fait elle-même partie des réseaux qui alimentent la métaposition occupée par

92 l'agence de renseignement. Nous constatons donc l'insertion de la métaposition de Google, établie par rapport à la majorité des autres services, sites web et données de la Toile publique, parmi les réseaux constitutifs de la métaposition de la NSA, établie par rapport aux autres organisations et structures informationnelles en tous genres10.