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Chapitre 3 RÉSULTATS

3.2 Les croyances de santé et l’expression de douleurs physiques et

3.3.4 La stigmatisation

Les entretiens mettent à jour la stigmatisation des hommes en surpoids comme un poids psychologique considérable. La stigmatisation autour du poids ou de l’apparence, qu’elle soit malintentionnée ou pas, touchent les hommes principalement dans leur masculinité, peu importe laquelle ils idéalisent. Les hommes se sentent perdus en tant qu’homme et se sentent en décalage avec la masculinité qu’ils aimeraient être la leur, qu’il s’agit de la masculinité traditionnelle axée sur l’autonomie et le contrôle fort ou de la masculinité nouvelle plus axée sur l’esthétique et sur l’apparence. Les remarques, les regards, parfois même la discrimination se joue au quotidien, avec la famille, les amis, avec les gens inconnus dans la rue, ou en postulant pour un emploi.

« La famille, les proches…des fois, ils disaient : « Tu vas peut-être considérer perdre du poids ?» ou : « Tu n'aime pas être mince comme les autres ?» Ce n'est pas du lavage de cerveau mais ça fait son chemin dans la tête.» (Dylan, 25 ans, célibataire, IMC 25, étudiant, voudrait perdre 23 lbs.) « Ils (membres de la famille) me le disent : « Tu es gros, tu fais de la bedaine.», des choses comme ça. « Tu engranges.»…tout le temps de la « bassinerie.» (Johann, 31 ans, en couple, père, IMC 31, employé, voudrait perdre 30 lbs.)

« À la piscine je me suis fait pointer du doigt et puis les gens qui rient de toi…à un moment donné, je ne suis pas con non plus, j'étais capable de comprendre pourquoi.» (Nathan, 24 ans, célibataire, homosexuel, IMC 26, étudiant, ne voudrait pas perdre du poids)

« Des fois « le petit gros » ou des choses vont se dire pas directement : « Ah, il me semble que tu as engraissé un peu.» ou « Il me semble que tu as maigri.» et ils sont tous contents…Ça met une certaine pression de dire : « Ça te fait bien.», mais si j'engraisse, ça veut dire que je vais être moins bien ?» (Pierre, 35 ans, en couple, père, IMC 34, employé, voudrait perdre 40 lbs.)

« Je pense que chez les hommes, ce n'est pas un mythe, ça (la stigmatisation) existe tout à fait. Par exemple pour un poste, deux hommes…l'un d'une apparence correcte et l'autre d’une apparence plutôt obèse…je pense que ça joue.» (Nathan, 24 ans, célibataire, homosexuel, IMC 26, étudiant, pas de perte de poids désirée)

Parfois, la stigmatisation prend une forme très subtile et est difficile à mettre à jour :

« Je suis à la recherche d'un emploi pour être professeur d'université en ce moment. Et elle (ma copine) m'a suggéré de perdre un peu de poids parce que des amis lui ont dit que j’avais l'air plus sérieux, plus à mon affaire quand j’étais plus mince, comme s'il y avait une espèce de stigmate où il y a l'homme qui est en surpoids, surtout plus jeune, qui ne fait pas vraiment attention et qu'il ne serait pas sérieux non plus dans sa recherche. Et j'en connais beaucoup, de jeunes chercheurs qui ont eu de la difficulté à trouver du boulot. Ils ont perdu du poids…piouff (comme par miracle), ils se sont trouvés un travail.» (Dirk, 35 ans, en couple, IMC 32, employé, voudrait perdre 36 lbs.) « La discrimination homme, femme de taille forte…entre toi et puis moi là…c'est quelque chose qui ne sera jamais dit.» (Antoine, 37 ans, célibataire, IMC 31, employé, voudrait perdre 35 lbs.)

« Si la personne n'est pas capable de se démarquer, on dirait que le stigmate prenne le dessus sur la personnalité et ça devient un handicap, je dirais même pire parce que tu es rejeté toute de suite, on ne voit que ça.» (Boris, 35 ans, en couple, père, IMC 27, étudiant, voudrait perdre 17 lbs.)

Dans l’exercice physique, l’homme en surpoids craint ne pas avoir sa place, ne pas être à la hauteur dans cette compétition masculine si caractéristique et souvent présente. Il est gêné dans les clubs de gym où le regard et le jugement des autres le fait fuir. Il y a une véritable stigmatisation autour de l’exercice physique et du corps masculin. Par conséquent, l’homme en surpoids est peu motivé pour faire de l’activité physique.

« La seule chose qui me fait mal est de me faire dire par quelqu'un : « Tu es un obèse.» Je trouve ça gratuit et puis inutile parce que c'est comme si je ne le savais pas. J'ai un miroir le matin et il fait beau me le dire.» (Dirk, 35 ans, en couple, IMC 32, chercheur, voudrait perdre 36 lbs.)

« Ça me gênerait d'y aller parce que je me comparerais aux gens. Voir des gens qui vont au gym qui paraissent déjà très bien, qui ont travaillé sur l'apparence de leur corps et moi qui ne leur arrive pas à la cheville…ça me découragerait d'y aller.» (Dylan, 25 ans, célibataire, IMC 25, étudiant, voudrait perdre 23 lbs.)

« Tu rentres (dans un club de gym) et tu es tout gêné. Tu es trop gêné de franchir la porte et de te dire : « Je vais aller m'entraîner.» Tu n'as pas que la porte à ouvrir, tu as la porte psychologique aussi à franchir. Tu ne vas parler à personne, tu rentres et ce sont tous des « monsieur Muscles », ça fait longtemps qu’ils s'entraînent, tu ne connais personne et tu ne connais pas les équipements.» (Antoine, 37 ans, célibataire, IMC 31, employé, voudrait perdre 35 lbs.)

« Quand on fait du sport les hommes veulent performer. Quand ils ne performent pas, souvent ils lâchent. Et dans les gyms il y a beaucoup de jugement sur l'apparence des gens.» (Dirk, 35 ans, en couple, IMC 32, employé, voudrait perdre 36 lbs.)

« Je crois que beaucoup de personnes en mauvaise forme ne sont pas à l'aise dans ces centres, ils se sentent regardés, peut-être jugés, surtout qu'on travaille normalement en plus petite tenue, ils voient les autres qui travaillent avec beaucoup plus de facilité ce qui augmente leur sentiment d'échec.» (Michel, 32 ans, en couple, père, IMC 27, employé, voudrait perdre 19 lbs.)

La stigmatisation peut susciter un sérieux mal-être chez les hommes et l’expression d’une certaine agressivité ou un isolement social peut en être le témoin.

« C'est sûr que tu ne réagis pas bien, tu n'aimes pas ça…je devenais agressif parce que tu sais que tu as d'autres talents.» (Boris, 35 ans, en couple, père, IMC 27, étudiant, voudrait perdre 17 lbs.) « Il est gêné, il n'aime pas quand je lui parle. C'était mon ami, on a eu beaucoup d'instants de plaisir. Il ne veut plus que je lui parle. Il trouve ça (son état d’obèse) moins masculin, moins viril.» (Frank, 32 ans, célibataire, père, IMC 33, chômeur, voudrait perdre 35 lbs.)

« Un homme obèse, c'est un homme qui est malade, je trouve. Quand tu es gras comme ça de même, quand tu en vois un plus gros (que toi), tu te dis : « Ça n'a pas d'allure, ça n'a pas de sens.» Je ne pourrais pas vivre comme ça. Je me prendrais un fusil et piouff…ça s'arrêterait là.» (Cyril, 50 ans, en couple, IMC 35, chômeur, voudrait perdre 37 lbs.)

Il y a des hommes qui semblent mieux armés psychologiquement pour bien vivre leur état de surpoids.

« Ça m'est arrivé qu'on m'a insulté quand ils passaient (en voiture) : « Fucking big fat…», je ne sais pas trop…c'est arrivé deux, trois fois peut-être. Ce n'est pas très gentil mais ça ne me détruit pas, je ne me laisse pas…» (John, 35 ans, célibataire, IMC 35, employé, voudrait perdre 40 lbs.) « 50 livres de moins, j'aimerais ça…mais ça ne m'empêche pas de rien faire. Il faut dire que je suis aussi musicien et j'ai l'habitude d'être sur une scène de me montrer et que les gens ne me jugent pas sur mon apparence mais plutôt sur ce que je suis capable de leur apporter.» (Martin, 51 ans, en couple, père, IMC 44, employé, voudrait perdre 110 lbs.)

3.4 Les organisations de services de santé et la perception de celles-ci

Après tout ce qui s’est dit sur les hommes, il est fort à parier qu’on les trouve en moins grand nombre que les femmes dans les cabinets des nutritionnistes dans une démarche de perte de poids ou de réapprentissage alimentaire. Pire probablement, ceux qui consultent le font au départ rarement dans une démarche personnelle et volontaire. Le plus souvent, l’homme semble venir voir le nutritionniste sur « ordonnance » du médecin qu’il a d’abord consulté pour une problématique autre que pondérale ou alimentaire ou sur conseils de son entourage, fort probablement de la part d’une femme (amie, conjointe, mère).

Mais est-ce que ça veut dire que les hommes souffrent moins de problèmes de surpoids ou d’obésité ? Si on consulte purement les statistiques, la réponse est négative. Rappelons que Statistique Canada a rapporté un surpoids de 62% (20,9% d’obèses) pour les hommes québécois en 2004 et de 50,7% (22,7% d’obèses) pour les femmes.

Nous allons aborder les raisons probables de la sous-utilisation masculine des services de santé et voir comment le corps médical y contribue. Ensuite, nous verrons comment se passe actuellement l’interaction entre le professionnel de la santé et l’homme patient et quelles sont leurs insuffisances dans les yeux de ces hommes. Dans la dernière partie, les hommes nous raconteront les améliorations souhaitées.