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II. ZONES HYBRIDES ET SPECIATION

3. Dynamique et évolution des zones hybrides

3.2. Stabilité des zones hybrides

Beaucoup de zones hybrides ont été perçues comme étant stables, au moins pendant un temps assez long où les paramètres de l’environnement fluctuent peu. Les conditions permettant ce maintien ont longtemps intrigué les naturalistes, ce qui a permis de générer plusieurs modèles de zones hybrides stables, pouvant cependant varier dans le temps et l’espace.

Le premier modèle décrit, lié à l’idée que l’hybridation est liée à l’existence d’une spéciation incomplète, a été le concept de zone de tension (Key 1968). Ces zones peuvent être maintenues par un équilibre entre dispersion des génotypes parentaux à l’intérieur de la zone et la contre-sélection des hybrides maladaptés. Elles forment un cline étroit entre deux populations homogènes, qui pour un locus a une largeur proportionnelle à σ²/s, où σ² est la variance de la distribution de la dispersion et s est la force de la sélection (Slatkin 1973; Barton & Hewitt 1985). En théorie, la forme des clines (mono ou multilocus) est théoriquement la même, que la sélection contre les hybrides soit due à des incompatibilités génomiques ou à l’adaptation des populations parentales à des environnements différents de chaque côté d’un écotone (Kruuk et al. 1999). Observer des clines concordants entre plusieurs marqueurs implique que la sélection soit très intense et agisse sur tous les loci comme sur une seule unité génomique. Cependant, si les populations parentales ont des fréquences alléliques très différentes, la migration dans la zone hybride doit contribuer au maintien d’un fort déséquilibre de liaison, et créer une forte covariance génétique entre traits quantitatifs, ce qui peut produire des clines concordants, même entre loci non liés. L’intensité du déséquilibre de liaison peut d’ailleurs permettre d’estimer la dispersion en zone hybride (Barton & Gale 1993; Barton 2000). Mais théoriquement, des clines non concordants peuvent apparaître dans ce type de zone par l’intermédiaire d’une sélection épistatique ne favorisant qu’un seul type d’hybrides, ceux-ci servant de « pont » aux flux de gènes (Gavrilets 1997). Par contre, dans certaines conditions, les mutations délétères présentes au sein des populations parentales pourraient engendrer par recombinaison de l’hétérosis en zone hybride, et de ce fait augmenter la migration efficace et diminuer le déséquilibre de liaison et les barrières aux flux géniques (Bierne et al. 2002c). Si la recombinaison est significative, elle risque de réduire la cohésion de blocs génomiques, ce qui peut être utilisé pour dater la spéciation hybride (voir plus haut, Ungerer et al. 1998). De nombreux exemples de zones de tension semblant être

stables existent dans la nature (Barton & Hewitt 1985). L’un des cas les plus documentés est la zone hybride entre deux espèces de crapauds Bombina en Pologne, formée d’un cline étroit concordant pour de nombreux marqueurs, et maintenue par des incompatibilités génomiques rendant les hybrides peu viables. De plus, elle semble être restée stable sur une période de plus de 50 ans (Szymura & Barton 1986, 1991). Par ailleurs, certaines configurations géographiques de zones de tension impliquent qu’elles soient restées stables depuis les dernières glaciations (Hewitt 1988; Harrison 1990).

Lorsque les espèces parentales sont adaptées à des habitats différents, il est tout de même rare de les retrouver de chaque côté d’une zone de contact étroite. Le modèle de zone hybride mosaïque a donc été décrit comme représentant une mosaïque d’habitats structurés où les espèces parentales cohabitent avec des hybrides (Harrison 1986; Howard 1986; Rand & Harrison 1989). La structure et l’évolution de ces zones vont dépendre de la migration entre les patchs par rapport à leur taille, de la valeur sélective des hybrides et de l’histoire de la zone. Les conditions de maintien sont certainement très particulières, car cette structure peut potentiellement augmenter le contact entre espèces parentales, et donc la probabilité de fusion ou au contraire le renforcement de l’isolement reproducteur (Cain et al. 1999), par rapport à une structure clinale. Deux exemples bien documentés concernent des criquets d’Amérique du Nord, Allonemobius, dont les populations parentales mixtes forment un patchwork lié aux conditions climatiques (Howard 1986; Howard & Waring 1991) et Gryllus, dont la distribution des populations parentales est liée aux types de sols (Harrison 1986, 1990). Une étude récente analysant des données issues de 14 années d’observations montre que certaines zones sont stables, et que l’isolement reproducteur au sein des populations mixtes reste fort et constant (Britch et al. 2001). En milieu marin, les longues distances de dispersion larvaire doivent être compensées par une forte sélection locale pour maintenir une structure en mosaïque : chez les moules Mytilus edulis et M. galloprovincialis, la forte spécialisation d’habitat, la fertilisation préférentielle, la dépression hybride et la ponte asynchrone pourraient contribuer à maintenir une zone hybride mosaïque malgré de longues distances de dispersion et un environnement très hétérogène (grains fins) [Bierne et al. 2002a; Bierne et al. 2002b; Bierne et al. 2003]. Chez les crapauds Bombina en Roumanie, l’absence de croisements préférentiels semble être compensée par une forte préférence d’habitat et de site de reproduction. De fait, l’absence de croisements préférentiels semble avoir permis le mélange de caractères neutres (Vines et al. 2003; Nürnberger et al. 2005).

Un autre type de zone hybride avait été décrit assez tôt, les zones hybrides marginales (Moore 1977). Dans ce modèle, les populations parentales, adaptées à des environnements différents, seraient séparées par une zone de contact plus ou moins étroite où les hybrides seraient mieux adaptés que les parents, alors qu’ils le sont moins dans les habitats parentaux. Ce type de structure pourrait émerger du fait de l’existence de gradients écologiques, mais permettraient plutôt de décrire des zones hybrides apparues après des remaniements d’habitats par l’homme. Peu d’exemples en accord avec ce modèle ont été décrits. Le mieux documenté concerne Artemisia tridentata, mais une étude à long terme de transplantations réciproques montre une hétérogénéité de valeur sélective des hybrides dans les différents habitats (Miglia et al. 2005). Un autre exemple concerne des espèces de mouettes, dont les hybrides semblent mieux adaptés à l’intérieur de la zone de contact, au sein de laquelle ils présentent une survie et une fécondité accrues par rapport aux espèces parentales (Good et al. 2000). Il est relativement aisé, dans ce cas, d’imaginer que la zone hybide puisse facilement se maintenir si l’environnement ne fluctue pas trop.

Néanmoins, ces trois modèles ne permettent pas de décrire toutes les zones hybrides (par exemple Emms & Arnold 1997). Dans le cas des Iris de Louisiane, les espèces parentales et différents types d’hybrides montrent des variations de valeur sélective importantes selon différents types d’habitats : les hybrides sont mieux adaptés que les parents dans certains milieux, dans d’autres non, ce qui génère des distributions complexes des espèces parentes et des différents types d’hybrides, ayant souvent des guildes de pollinisateurs différentes (Arnold 1997; Arnold & Emms 1998).

S’il est possible de détecter les processus limitant des échanges de gènes au sein des zones hybrides, il apparaît souvent difficile de prévoir leur maintien, à moins de réaliser des études à très long terme.

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