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Spectroscopie de Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)

2. Méthodes d’analyse

2.4. Spectroscopie de Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)

L’utilisation de la RMN pour l’analyse des galactanes d’algues rouges, agars et carraghénanes, a été introduite vers la fin des années 1970. Hamer (Hamer et al., 1977) et Bhattacharjee (Bhattacharjee et al., 1978) ont tout d’abord réalisé l’attribution des déplacements chimiques 13C d’oligosaccharides produits par dégradation enzymatique à partir d’agarose, de κ- et de ι-carraghénane. Ils en ont ensuite déduit les déplacements chimiques

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C de ces trois galactanes. Au même moment, Welti (Welti, 1977) s’est intéressé à la RMN du proton, et a donné l’attribution des déplacements chimiques de l’agarose, du κ- et du ι-carraghénane.

Par la suite, la RMN du 13C s’est largement développée et est devenue une méthode de référence pour analyser la composition des agars et des carraghénanes. En effet, elle présente l’avantage d’être rapide et non destructive. De plus, elle permet de discriminer facilement les unités D-galactose des unités L-galactose (caractéristiques des agarocolloïdes) car ces dernières présentent un signal anomérique déblindé de 3 ppm par rapport au D-galactose (Usov et al., 1980). Par rapport à la RMN du proton, elle présente également l’avantage de mieux séparer les différents signaux, notamment anomériques, rendant les attributions plus faciles. Cependant cette méthode est peu sensible, elle ne permet pas de détecter les composants ou contaminants minoritaires, et nécessite une concentration importante (jusqu’à 10 mg/mL). Même à température élevée, cette forte concentration impose une forte viscosité des échantillons, qui se traduit par un élargissement important des signaux. La viscosité des échantillons peut néanmoins être réduite par dépolymérisation (sonication, hydrolyse acide, broyage mécanique) et par acquisition des données à haute température. Ceci a notamment permis d’attribuer les déplacements chimiques du λ-carraghénane (Falshaw & Furneaux, 1994), ce qui était auparavant impossible étant donné la largeur des signaux.

La RMN du proton est plus sensible que celle du 13C, et nécessite une concentration moins importante (jusqu’à 1 mg/mL) et un temps d’acquisition plus court. Cette méthode est plus adaptée pour la quantification, et également pour la détection des composés minoritaires. Elle permet également de résoudre dans le détail la structure d’oligosaccharides complexes.

La spectroscopie de RMN permet de déterminer les différentes unités galactopyranoses qui composent la chaîne de carraghénane, mais elle permet également de

déterminer les unités voisines. En effet, dans le cas des unités G4S par exemple, les déplacements chimiques ne sont pas les mêmes si l’unité G4S est entourée de deux unités DA comme dans le cas du κ-carraghénane, ou de deux unités DA2S comme dans le cas du ι-carraghénane.

En spectroscopie de RMN, chaque motif carrabiose peut être caractérisé facilement par les signaux des carbones et protons anomériques, C1 et H1 (Figure 11). En effet, ceux-ci se trouvent déblindés par la proximité des deux atomes d’oxygène liés au C1. Les C1 des unités D et G sont donc isolés dans la zone comprise entre 90 et 110 ppm, tandis que les protons H1α des unités D se retrouvent dans la zone comprise entre 5,0 et 5,7 ppm (Agrawal, 1992). La quantification s’effectue par intégration de ces différents signaux, et la caractérisation de nouveaux motifs carrabiose par comparaison avec les signaux anomériques des motifs déjà caractérisés.

Figure 11 : Spectres 13C-RMN (A) et 1H-RMN (B) d’un κ-/ι-carraghénane, réalisés à 60°C sur un échantillon préalablement soniqué.

Sont indiqués les carbones et protons anomériques (van de Velde et al., 2001).

H1 H2 H3 H4 H5 H6a H6b H1 H2 H3 H4 H5 H6a H6b ιιιι1111 G4S 4.64 3.62 3.99 4.90 3.77 3.83 3.81 DA2S 5.30 4.67 4.84 4.69 4.67 4.25 4.10 κ κ κ κ1111 G4S 4.61 3.60 3.95 4.81 3.77 3.81 3.79 DA 5.09 4.13 4.51 4.63 4.61 4.19 4.05 α αα α2222 G 4.61 3.62 3.82 4.10 3.65 - - D2S 5.22 4.61 4.73 4.65 4.67 4.21 4.09 λ λ λ λ4444 G2S 4.78 4.50 3.97 4.32 3.75 3.87 3.82 D2S,6S 5.59 4.71 4.26 4.29 4.64 4.37 4.37 β β β β3333 G - - - - - - - DA 5.07 - - - - - - µ µ µ µ3333 G4S - - - - - - - D6S 5.24 - - - - - - ν ν ν ν3333 G4S - - - - - - - D2S,6S 5.50 - - - - - -

Tableau 6 : Déplacements chimiques protons (ppm) des carraghénanes.

(1) 80°C (Welti, 1977), (2) 50°C (Falshaw et al., 1996), (3) 65°C (van de Velde et al., 2004), (4) 70°C (Guibet et al., 2006).

Les tableaux 6 et 7 présentent une synthèse des déplacements chimiques protons et carbones des unités carrabiose déjà caractérisées. Les valeurs sont exprimées en référence au DSS (diméthyl-silapentane-sulfonate), selon les recommandations de l’IUPAC. En RMN du proton, les attributions ne sont complètes que dans le cas des κ-, ι-, α- et λ-carraghénanes. Les autres motifs ne sont présents que de manière minoritaire dans l’une de ces structures, aussi leurs signaux ne sont pas assez intenses pour être totalement attribués. Ceci explique que seuls les déplacements chimiques des protons anomériques H1α soient connus.

C1 C2 C3 C4 C5 C6 C1 C2 C3 C4 C5 C6 µ µ µ µ 1 G4S 107.0 72.7 80.5 76.3 77.1 63.5 D6S 100.3 70.7 72.8 81.4 70.5 69.9 ν ν ν ν 1 G4S 106.7 72.4 82.4 73.4 77.2 63.6 D2S,6S 100.5 78.6 70.4 82.1 70.4 70.0 κ κ κ κ 1 G4S 104.7 71.7 81.0 76.3 77.0 63.5 DA 97.3 72.1 81.4 80.5 79.1 71.7 ιιιι 1 G4S 104.4 71.5 79.1 74.3 77.0 63.5 DA2S 94.3 77.2 80.0 80.6 79.29 72.0 λ λ λ λ 8 G2S 105.8 79.9 76.5 66.5 77.3 63.6 D2S,6S 94.1 78.1 70.5 82.7 71.1 72.1 θ θ θ θ 1 G2S 102.6 79.8 79.4 70.0 77.1 63.4 DA2S 97.8 77.1 79.6 81.8 79.2 72.4 ξ ξξ ξ 1 G2S 105.4 - - 66.9 - - D2S 94.9 - - - - - 7 G2S 106.9 72.7 81.1 67.8 77.5 63.3 D 98.3 71.3 73.0 80.6 72.6 63.6 γγγγ 2 G 106.4 - - 67.4 - - D6S 98.4 - - - - 70.4 β β β β 1 G 104.8 71.7 82.6 68.6 77.55 63.5 DA 96.8 72.4 81.6 80.3 79.3 71.7 α α α α 3 G 104.8 71.7 84.0 69.0 77.4 63.7 DA2S 96.8 77.5 80.2 80.4 79.2 72.1 ω ω ω ω 4 G6S 104.8 71.5 82.4 68.1 75.0 69.3 DA 96.8 72.3 81.6 80.6 79.0 71.5 ψ ψ ψ ψ 6 G6S 107.4 73.0 80.9 75.5 77.2 63.9 D6S 100.3 71.1 73.0 81.4 70.9 70.4 5 GP 104.1 71.3 78.8 69.6 68.8 67.7 DA2S 93.5 77.3 80.0 80.5 79.2 72.1

Tableau 7 : Déplacements chimiques carbones (ppm) des carraghénanes.

Les déplacements sont exprimés en référence au DSS (dimethyl-silapentane-sulfonate) dans du D2O. Les valeurs issues des références 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ont été corrigées de 2.1 ppm pour être exprimées en référence au DSS au lieu du TMS (tetramethylsilane). (1) (van de Velde et al., 2004), (2) (Greer & Yaphe, 1984a), (3) 50°C (Falshaw et al., 1996), (4) (Usov et al., 1985), (5) (Chiovitti et al., 1998), (6) (Noseda & Cerezo, 1993), (7) 80°C (Usov et al., 1980), (8) (Guibet et al., 2006).

Les travaux d’Izumi (Izumi, 1973) et de Harris (Harris & Turvey, 1970) sur des 3,6-anhydro-D-galactose et sur des galactopyranoses substitués ont servi de point de départ pour l’analyse des agars et des carraghénanes. Par la suite, la résolution des structures et l’attribution des différents signaux a été faite par comparaison avec les spectres déjà résolus, notamment ceux de l’agarose, du κ- et du ι-carraghénane. La position des substituants sulfates et méthyles est notamment déterminée par comparaison avec le galactane non substitué correspondant. Par exemple, la position du sulfate dans le κ-carraghénane (DA-G4S) a pu être déterminée par comparaison avec le β-carraghénane (DA-G) (Usov et al., 1980). La substitution par un groupement sulfate, méthyle ou glycosyle, induit un déblindage (8-11

ppm) du carbone auquel ils sont liés (effet α du substituant) alors que les 2 carbones voisins sont légèrement blindés (2-4 ppm) (effet β) (Usov, 1984). La sulfatation provoque aussi un déblindage du proton géminal de 0,6 ppm, et son effet sur les protons vicinaux dépend de l’orientation axiale ou équatoriale des deux groupements (Harris & Turvey, 1970). La présence de groupements méthyles est caractérisée par le signal singulet du CH3, vers 61 ppm en 13C-RMN et dans la zone 3,40-3,65 ppm en 1H-RMN. La présence de groupements pyruvate est caractérisée par le signal des protons du CH3 à 1,44 ppm, et en 13C-RMN par le signal du CH3 à 27,61 ppm, celui de l’acétal à 103,55 ppm et celui du carboxyle à 177,96 ppm.

La configuration, α ou β, des liaisons glycosidiques peut être déterminée par la mesure du couplage scalaire 3J des protons anomériques. En effet, la valeur de ce couplage dépend de l’angle dièdre H1-C1-C2-H2 (loi de Karplus). Les unités D ou DA, qui ont une conformation α, présentent un angle dièdre H1-C1-C2-H2 d’environ 60°, ce qui correspond à une constante de couplage 3JH1-H2 relativement faible, d’environ 2 à 4 Hz. A l’inverse, les unités G ont une conformation β, soit un angle dièdre d’environ 180°, ce qui correspond à une constante de couplage plus importante, de 7 à 9 Hz environ. Le tableau 8 présente les constantes de couplage 3J mesurées pour les κ-, ι- et λ-carraghénanes.

κ-carraghénane ι-carraghénane λ-carraghénane κ−−−−κ−−−−κ

G4Sββββ DAαααα G4Sββββ DA2Sαααα G2Sββββ D2S,6Sαααα G4S G4Srαααα DA 3JH1-H2 7.8 2.0 9.5 1.5 8 3.8 7.9 3.9 2.4 3 JH2-H3 9.5 5.1 8.5 6.0 9.8 10.3 9.9 10.3 5.4 3JH3-H4 3.0 0.4 3.0 1.0 3 3.3 3.3 3.1 ts 3 JH4-H5 1.25 2.1 1.0 3.0 2 2 0.95 ts 1.9 3JH5-H6a 8.0 3.0 8.0 2.0 5.3 nm 8.2 4.4 3.1 3 JH5-H6b 4.3 3.0 4.25 3.0 7 nm 4.3 8.1 ts 3JH6a-H6b -12.0 -9.5 -12.0 -10.5 -11.7 nm -12.0 -11.9 -10.6

Tableau 8 : Constantes de couplage spin-spin des carraghénanes (1H-RMN)

Constantes de couplage caractéristiques des κ-, ι- et λ-carraghénanes (Welti, 1977 ; Guibet et al., 2006), et du néo-κ-carrahexaose (Knutsen & Grasdalen, 1992b). ts : constante trop petite pour être mesurée ; nm : constante non mesurée.

L’enchaînement des différentes unités peut être déterminé par des expériences de RMN à 2 dimensions. Les expériences HMBC (Heteronuclear Multiple Bond Coherence) permettent d’observer, à travers les couplages 2J et 3J, des protons et carbones séparés de 2 à 3 liaisons. Ainsi, des taches de corrélation entre le H1 (C1) de l’unité G et le C4 (H4) de l’unité D confirment la nature de cette liaison β(1→4). De même, des taches de corrélation seront observées entre le H1 (C1) de l’unité D et le C3 (H3) de l’unité G, confirmant la nature de cette liaison α(1→3). Les expériences HMBC ne doivent pas être confondues avec les expériences HMQC (Heteronuclear Multiple Quantum Coherence), qui permettent d’observer, à travers les couplages 1J, des taches de corrélation entre les protons et les carbones qui les portent (par exemple entre H1 et C1).

Dès les premiers travaux d’analyse des carraghénanes par RMN, les oligosaccharides produits par hydrolyse enzymatique ont aidé à attribuer les signaux dans les spectres des carraghénanes correspondants (Bhattacharjee et al., 1978). Les spectres d’oligo-carraghénanes sont en effet mieux résolus que ceux des carraghénanes, notamment pour des questions de viscosité, mais également de pureté des échantillons. Cependant les spectres d’oligo-carraghénanes sont plus complexes car les déplacements chimiques des protons et carbones diffèrent selon leur position dans l’oligosaccharide : extrémité réductrice (r), interne ou non réductrice (nr). De plus, il s’établit à l’extrémité réductrice un équilibre entre les anomères α et β, qui peuvent s’interconvertir lors d’ouvertures et fermetures spontanées du cycle pyranose. Cette anomérie influence les déplacements chimiques de l’unité positionnée à l’extrémité réductrice, mais parfois également ceux de l’unité voisine (r’) (Knutsen & Grasdalen, 1992b).

Les premières analyses RMN d’oligo-carraghénanes étaient des spectres de 13C-RMN et concernaient la série néo-κ-carrabiose. L’attribution complète de signaux des protons et carbones n’a été réalisée que plus tard, par Knutsen (Knutsen & Grasdalen, 1992b) (Figure

12). Des oligo-carraghénanes de la série néo-ι-carrabiose ont aussi été purifiés et analysés, par 13

C-RMN (Bellion et al., 1982 ; Greer et al., 1985) mais les données 1H-RMN n’ont pas été publiées. Plus récemment, Guibet (Guibet et al., 2006) a proposé une attribution complète des protons et carbones de 4 oligo-carraghénanes de la série néo-λ-carrabiose. Une étape supplémentaire a été franchie, par l’analyse et l’attribution complète d’oligo-carraghénanes hybrides κ-/ι (Guibet et al., 2008).

Figure 12 : Spectre 1H-RMN du néo-κ-carrahexaose (Knutsen & Grasdalen, 1992b).

Sont indiqués les déplacements chimiques des protons anomériques de configuration α.

La spectroscopie de RMN est donc une méthode extrêmement puissante pour la caractérisation structurale des carraghénanes et surtout des oligo-carraghénanes. Cependant l’observation des constituants mineurs (< 5%) reste difficile, même en 1H-RMN à haute température. De plus il reste impossible de déterminer si les différents constituants sont présents sur les mêmes chaînes de carraghénane ou sur des chaînes différentes.