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En 1928, André Beucler estime que « la revue de music-hall est aujourd’hui solidement liée à la destinée des grandes villes1 ». En effet ce spectacle naît dans un cadre urbain puisque les music-halls naissent dans des métropoles comme Londres, Paris ou New York2 et peinent à s'implanter en dehors de la capitale – à l'exception de Marseille3. Il semble que cela ne soit pas uniquement dû à des raisons économiques mais aussi au fait que le music-hall soit un spectacle profondément urbain :

Le music-hall fait partie de l’urbanité de la Ville. Il n’est que modernité. Tout y est moderne. L’art rénové audacieux, précis prend possession de chacune de nos rues, de chacun de nos étalages. La rue devient féérie. Hier elle était boue et grisaille. Le soir est un feu d’artifice captif4.

Le music-hall est lié à la rue et à sa spectacularité particulière, à la « culture du boulevard5 », comme la nomme Vanessa Schwartz. Il faut connaître cette culture spectaculaire si particulière aux grandes villes, car liée aux nouveautés, aux grands magasins, aux événements et à la mondanité pour apprécier et comprendre pleinement le music-hall, qui n'est que le prolongement d'une ville elle-même devenue spectacle6. Ainsi s'il est difficile de savoir qui étaient vraiment les spectateurs du music-hall, un certain nombre d'indices nous permet tout de même d'appréhender son public supposé, celui à qui il s'adresse, celui qui possède les références nécessaires pour appréhender le spectacle et en saisir les subtilités. Un tel public, que l'on pourrait qualifier d'initié, semble se composer en grande majorité d'hommes et de femmes bourgeois et urbains, disposant d'assez de temps libre pour profiter de la vie parisienne. En effet, la ville telle qu'elle apparaît dans ces spectacles n'est pas un lieu d'expression du pouvoir politique ou de revendications, elle est seulement un lieu de plaisir dont il s'agit de profiter au maximum.

1. André Beucler, « La revue de de music-hall. - Danses acrobatiques. - Chevalier. », Nous littéraire, 7 avril 1928, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, 8-RO-15678 (BnF, département des Arts du spectacle).

2. Dominique Jando situe la naissance du music-hall dans ces trois villes. Voir Histoire mondiale du music- hall, Paris, J.P. Delarge, 1979.

3. D., « La crise du music-hall s’aggrave en province », Comœdia, 15 novembre 1926, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, réf. citée

4. Maurice Verne, « Dans dix ans le Music-Hall aura-t-il pris la place de nos Théâtres ? », Paris Soir, 12 décembre 1927, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, réf. citée.

5. Vanessa R. Schwartz, Spectacular realities : early mass culture in fin-de-siècle Paris, Berkeley ; Los Angeles ; London, University of California Press, 1998, p. 13.

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I. La ville comme divertissement : célébrer les loisirs urbains

La modernité est associée par définition à la vie urbaine depuis le XIXème siècle7. Celle- ci s’apprécie pleinement à travers la flânerie et la jouissance de toutes les distractions qu’elle offre. Or, l'expérience du music-hall fait clairement appel à cette posture occupée par le spectateur lorsqu’il arpente la ville : celle de flâneur avide de plaisirs.

1. Flâner au music-hall comme dans la ville

La flânerie s'impose indubitablement dès le XIXème siècle comme le loisir parisien par excellence. Les exhibitions des boulevards, comme les vitrines des magasins, désormais éclairées la nuit8, constituent autant d'attractions accessibles à tous. Flâner devient alors une manière de consommer les loisirs, en grappillant ici et là ce que l'on a envie de voir. Ce mode d'appréciation du divertissement a des répercussions sur le music-hall, livré à un mode d'appréciation similaire. Il semble que ce soit là sa destinée, puisque lors de l'inauguration des Folies-Bergère, le 2 mai 1869, un journaliste décrit la salle comme un « théâtre-fumoir, que les flâneurs du boulevard vont mettre à la mode9 ». Quelques décennies plus tard, André Beucler estime toujours que « le music-hall sollicit[e] aussi les promeneurs10 ». D'ailleurs, la construction architecturale la plus emblématique du music-hall est le fameux promenoir, qui porte son nom sans équivoque : « le promenoir est une avenue11 » estime Francis Carco. Une idée à laquelle adhère Legrand-Chabrier :

Or les promeneurs des promenoirs, remarquez-le chez vos amis et connaissances, sinon sur vous- même, ce sont de vrais dévots du spectacle, modestes, timides, acharnés, épris. Le promenoir c’est l’anneau brûlant des badauds vivants et vivaces. […] Le promenoir tient de la rue12.

Badaud, promeneur, flâneur, le spectateur rêvé du music-hall est un homme ou une femme de la nuit, profitant de tous les plaisirs à sa disposition, en passant de l'un à l'autre, sans vouloir accorder de préférence et sans se consacrer pleinement à un seul d'entre eux, de peur de rater les autres :

7. Ibid., p. 3.

8. Pascale Goetschel et Emmanuelle Loyer, Histoire culturelle de la France de la Belle Époque à nos jours, Paris, Armand Colin, 2011, p. 28.

9. X…, « Inauguration des Folies-Bergère », 3 mai 1869, in Recueil factice de documents concernant les Folies Bergère, 4-RO-15722 (BnF, département des Arts du spectacle).

10. André Beucler dans La Belle de Banlieue, cité par Legrand-Chabrier, « Pistes et plateaux », chronique de music-hall parues dans La Presse, 24 novembre 1927, 8-RO-16444 (BnF, département des Arts du spectacle).

11. Francis Carco cité par Jean Mazère, « La transformation du promenoir », Paris Soir, 13 février 1928, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, réf. citée.

151 Comprenez-nous bien, nous avons affaire à un public de gens qui passent, qui jettent un coup d’œil sur notre spectacle comme sur les étalages des magasins, en flâneurs. Il faut que nos tableaux soient très brefs. Ce sont des passants. Pas autre chose. Ils ne demandent pas à réfléchir. Après avoir bien bu, bien mangé, ils viennent ici faire un tour et ils demandent à être servis très vite. Tenez, ce sont des images que nous leur glissons sous les yeux13.

C'est de cette manière que deux directeurs de music-hall décrivent leurs spectateurs. Et les critiques ne sont pas pour les contredire, Legrand-Chabrier estimant :

Un amateur de music-hall est un bon badaud de quatorze juillet, si du moins j’en juge par moi- même. Il sait goûter la ville en fête comme un spectacle de son lieu favori, que ce soit dans la rue diurne, que ce soit au carrefour nocturne. Fête foraine, dancing du trottoir, illuminations et feux d’artifice, rien de tout cela n’est étranger à cette rubrique, n’est-ce pas ?14

En effet, rien ne l'est. Dans sa forme, comme dans ses effets, le music-hall prolonge la rue. Que ce soit dans ses décors qui offrent « des correspondances évidentes » avec « les décors qu'on nous propose quotidiennement15 » ou dans son utilisation de la lumière qui tient inexorablement de la fascination nouvelle pour l'éclairage artificiel urbain :

Je vous ai, maintes fois, expliqué qu’à mon opinion, les jeux de projection sur les chanteurs en habit ou les chanteuses en toilette de soirée me paraissent, la plupart du temps, une erreur de mise en scène qui témoigne d’un désir ingénu de colorer « music-hall » ce qui tient du café-concert [...]. J’estime que le chanteur avec son agrès, la chanson, doit nous faire voir la nuit comme le jour en pleine lumière. C’est la féérie de son expression d’artiste qui doit agir et non un badigeon en bloc de son visage, dont on voit le maniement dans le projecteur de la salle, avec le déclic de l’appareil, et la chute des feux de la rampe ; cela me fait invinciblement penser à l’éclairage des passants devant les bocaux du pharmacien… ce qui fut l’une des premières magies de la rue avant les enseignes lumineuses…16

Le music-hall puise dans les « expériences visuelles partagées17 » des spectateurs urbains – ici celle de la lumière – pour élaborer ses formes de spectaculaire. Il est alors inexorablement lié à cette culture urbaine visuelle dont il se fait l'écho et qu’il prolonge par la même occasion. Il devient l'aboutissement logique d'une soirée passée à déambuler dans la ville :

Les temps changeront sans doute et des plaisirs nouveaux nous seront proposés, mais aujourd’hui, à l’heure du loisir, on ne saurait rien imaginer de plus achevé ni de plus magistral qu’un spectacle

13. Deval et Héros, directeurs de Marigny en 1916, cités par Claude Berton, « Réflexions sur le music-hall », extrait de La Revue de Paris, 1er décembre 1929, 8-RO-15596 (BnF, département des Arts du spectacle). 14. Legrand-Chabrier, « Pistes et plateaux… réf. citée,15 juillet 1925.

15. Louis Léon-Martin, « Le music-hall et les apparences », Paris Midi, 14 août 1938, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, réf. citée.

16. Legrand-Chabrier, « Pistes et plateaux… réf. citée, 11 mai 1927. 17. Vanessa R. Schwartz, Spectacular realities… op. cit., p. 5.

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de music-hall. Il parle bien entendu, du fêtard, du passant, du dîneur […] ou de cet autre encore dont le soir n’en finit pas et qui le veut allonger par toutes sortes d’images et de passions18.

Le lieu de loisir qu'est le music-hall prolonge alors le divertissement offert par la rue à une époque où « la séparation nocturne se fait [...] moins entre le lieu public de divertissement et la rue, qu’entre ces deux derniers et la maison endormie19 ». Il semble même être le point de chute d'un itinéraire du loisir balisé par la rue elle-même, à travers les affiches publicitaires :

Et le music-hall lui-même n’est plus qu’un établissement amical et désiré, que l’on est satisfait de trouver sur sa route, au bout de ce rallye paper tracé le long des rues par les affiches, jusqu’à la gueule du monstre où l’on traite par la lumière et par le bruit ce lyrisme extérieur dont nous sommes responsables20.

Loin de créer une fracture avec la rue, il en concentre le lyrisme et en épouse le mouvement, à en croire un auteur de revue :

Et puis, il y avait la rue, la rue qui me hantait. Mes spectateurs étaient des passants. Mon spectacle devait être, pour eux, plein de mouvement et de vie populaire21.

S'il est si rapide, si les images et les numéros y défilent, c'est pour mieux faire écho au rythme de la promenade urbaine, pendant laquelle des divertissements multiples se substituent les uns aux autres sans que l'on ait le temps de s'y attarder vraiment. Ainsi, c'est le spectacle lui-même qui « vous promène au grand galop22 », se substituant par là à une voiture ou à l'un des bus qui emmènent les touristes pour un Paris by Night tour23. La culture du sightseing qui se développe alors se retrouve prolongée par le music-hall : tout comme dans un bus, on y voit les images défiler depuis son fauteuil et le spectateur n’est plus maître « du flux des images à travers lesquelles le monde se livre à son regard24 ». Il répond alors parfaitement à cette demande du « voyage immobile25 » puisqu'« il met le

18. André Beucler, « Music-hall par André Beucler », Jazz, 15 mars 1929, in Recueil d’articles de presse concernant le music-hall, réf. citée.

19. Simone Delattre, Les douze heures noires : la nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, A. Michel, 2004, p. 143. 20. André Beucler, « La revue de de music-hall… réf. citée.

21. Claude Berton, « Réflexions sur le music-hall », réf. citée. Il cite ici un auteur chargé d’écrire une féérie- revue pour Alfred Butt, un directeur de music-hall anglais.

22. René Wiser, « Les Revues », Soir, 19 décembre 1929, in Recueil factice d’articles de presse concernant les Revues de music-hall, 8-RO-17908 (BnF, département des Arts du spectacle).

23. Harvey Levenstein, Seductive journey : American tourists in France from Jefferson to jazz age, Chicago ; London, The university of Chicago press, 1998, p. 242.

24. Annie Suquet, L’Éveil des modernités. Une histoire culturelle de la danse (1870-1945), Pantin, Centre national de la danse, 2012, p. 32.

25. Gustave Fréjaville, Music-hall et cirque, notes et documents, manuscrit dactylographié, Paris, 1950, p. 398, cité par Anne Décoret-Ahiha, Les danses exotiques en France : 1880-1940, Pantin, Centre national de la danse, 2004, p. 119.

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spectateur dans un paquebot et le promène autour du monde26 ». Il est d'ailleurs fréquemment associé aux moyens de transports modernes, parce qu'il participe de la même fascination pour les images qui défilent rapidement, et la possibilité de voyages, qu'ils soient réels ou imaginaires :

l’atmosphère des gares, des quais, départs de trains, paquebots, foires, images mouvantes, voilà ce qu’est le music-hall pour le monsieur assis à l’orchestre qui voit en deux heures défiler devant ses yeux les artistes de divers continents27.

2. Une culture urbaine et bourgeoise du divertissement

La ville dans laquelle flâne le spectateur de music-hall est celle d'une classe de loisirs plutôt aisée, que les spectacles célèbrent en retour. À partir de la seconde moitié du XIXème siècle « se renforcent et s’imposent à travers le monde l’image et la réputation d’un Paris, cité heureuse, ville de la fête, des plaisirs et des distractions28 » qui imprègnent durablement la représentation que se font les touristes étrangers de la ville. Alors qu'au XIXème siècle les Parisiens fréquentant les cafés-concerts

rejettent cette image, associée à la prise de possession de la ville par les touristes de passage, les music-halls de l'entre- deux-guerres se l'approprient pleinement. En témoigne le changement de statut de la Tour Eiffel, symbole entre tous de la monumentalité offerte aux gens de passage. Si elle « n'appartient manifestement pas à l'imagerie parisienne des cafés-concerts29 », le music-hall en fait un monument parisien incontournable. Dans l'une des revues du Casino de Paris dont un tableau présente les quartiers de Paris, une des girls incarne l'allégorie de la Tour Eiffel (figure 34) aux côtés de Bastille et de Montmartre30.

26. René Bizet, L’Époque du music-hall [dialogues et essais], Paris, éditions du Capitole, 1927, p. 87. 27. André L. Daven dans le périodique L’Opéra-Music-Hall, cité par Legrand-Chabrier, « Pistes et plateaux… réf. citée, 30 mars 1925.

28. Julia Csergo, « Extension et mutation du loisir citadin, Paris XIXe siècle-début du XXe siècle », in Alain Corbin (dir.), L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Flammarion, 2009, p. 121.

29. Céline Braconnier, « Paris en revues la production de communautés imaginées au café-concert au

tournant du XXe siècle », Sociétés & Représentations, n°17, 2004/1, p. 242.

30. Jenny Carré : l'âge d'or du music-hall et de l'opérette : exposition, Musée des années 30, Boulogne Billancourt, 4 octobre-14 décembre 2008, catalogue d'exposition, Cinisello Balsamo, Silvana éditions, 2008, p. 112-113.

Figure 34 : Maquette du costume de la Tour Eiffel par Jenny Carré pour la revue Féérie de Paris, 1938,

in Jenny Carré : l’âge d’or du music-hall et de l’opérette, catalogue d’exposition, p. 112.

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Outre les monuments, cette image du Paris festif se construit aussi à travers une « typicité […] de sociabilité et de convivialité parisiennes, essentiellement tournées vers des lieux de divertissement31 ». Celle-ci est présente dans les chroniques parisiennes32 mais il semble que le music-hall soit également l'un des lieux où elle s'élabore. Chaque revue présente au moins un tableau évoquant un lieu de plaisir : bal, dancing, parc ou restaurant. Ceux-ci peuvent être contemporains ou historiques : on admire « Le Bal à Versailles » aux Ambassadeurs, « Les frivolités du Second Empire » aux Folies ou « Comme en 1900 » au Casino mais aussi « Cinq heures et demi du matin au dancing » au Casino ou encore « Le jazz en folie » aux Folies.

Nombre de tableaux présentent d'ailleurs l'évolution des lieux de loisirs parisiens depuis l'Ancien Régime jusqu'aux années 1920, inscrivant ainsi cette tradition de la sociabilité de loisirs dans un temps long. Les Ambassadeurs présentent par exemple l'évolution des courses hippiques avec deux tableaux successifs ayant pour titres « Les courses en 1883 » et « Le Grand Prix de Paris 1923 » dans la revue Paris sans voiles33. De même dans le film La revue de mes revues, qui présente des scènes tirées d'Un vent de folie des Folies-Bergère, nous passons d'un tableau présentant « une hostellerie sous Louis XIII » à « la même en 1927 », devenue un « American bar ». Dans un décor presque similaire – un bar avec des figurants attablés décoré successivement aux goûts des deux époques – un violoniste et un couple dansant la valse sont remplacés par un orchestre de jazz et une danse rapide de Joséphine Baker34.

Tout loisir, du sport au spectacle, fait l'objet d'un tableau. Même la consommation de drogue a le sien en 1923 avec « Monte là-dessus », un tableau d'En pleine Folie qui évoque une « République de Montmartre », lieu de tentations où des figurantes incarnent l’éther, l’opium ou encore la cocaïne35.

Ces représentations de la sociabilité parisienne se construisent dans le cadre des effets de l'haussmannisation qui a ordonné les divertissements « autour de lieux, d’activités et d’itinéraires réglementés et contrôlés36 ». Or, le Paris d'Haussmann est avant

31. Julia Csergo, « Extension et mutation du loisir citadin… art. cité, p. 125. 32. Idem.

33. Programme de Paris sans voiles, 1923 dans la collection de l’Association de Régie théâtrale, 8-PRO- 0005 (BHVP).

34. La revue des revues, réal. Joe Francis, 1927.

35. Programme d'En pleine Folie aux Folies-Bergère, 1923 dans la collection de l’Association de Régie théâtrale, 8-PRO-0097 (BHVP).

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tout une ville pensée par et pour les bourgeois37. Il n'y a alors rien d'étonnant à ce que les loisirs représentés sur la scène des music-halls soient avant tout des loisirs bourgeois et que les divertissements de cours de Versailles ou du Second Empire apparaissent comme des modèles du genre. Quand les divertissements des classes populaires et des brigands sont évoqués ce n'est que pour la fascination qu'ils exercent sur le public, comme une forme d'« exotisme social38 ». Les Apaches continuent en effet de captiver les foules et d'apparaître ici et là dans des tableaux de music-hall. Mistinguett s'est fait une spécialité du personnage de la femme de voyou depuis le succès de sa valse chaloupée en 1909 dans laquelle elle incarne avec son partenaire Max Dearly un couple d'apaches39. La chanson « Mon homme » qu'elle présente pour la première fois au Casino en 1920 exploite aussi le thème du voyou violent mais charmant. Ils ne sont toutefois pas le seul apanage du music-hall puisque Legrand-Chabrier constate en 1925 que les représentations d'Apaches sont également très populaires au cirque40.

Il ne reste cependant guère de trace d'une foule parisienne dépeinte comme révolutionnaire et menaçante41 au music-hall. Elle y est devenue festive et encline à l'ivresse collective. Le sketch « Le Spectateur Gai » (Avec le sourire, 1921) en offre un bon exemple : il met en scène un bourgeois de Tours, interprété par le comique Dutard, venu s'amuser dans la capitale après avoir quitté le Congrès Socialiste organisé dans sa ville où il s'est terriblement ennuyé : « Il faut dire qu'à Tours, à part quelques cinémas, nous n'avons pas grande distraction […] J'suis venu rigoler à Paris42 ». En délaissant la politique pour le divertissement, ce personnage offre un parfait exemple de la dépolitisation de l'image de la foule qui fait écho à celle des spectacles.

3. La ville, lieu des tentations érotiques

« Paris c'est une blonde43 » chante Mistinguett en 1926. Les paroles de cette chanson résument à elles seules le « processus de féminisation de l’image de la ville engagé depuis

37. Vanessa R. Schwartz, Spectacular realities… op. cit., p. 3.

38. Dominique Kalifa, L'encre et le sang : récits de crimes et société à la Belle époque, Paris, Fayard, 1995,