Le principe de base de la LES spatiale est que la largeur ∆Sdu filtre est au moins de l’ordre de la taille de maille9. Cette approche est la plus populaire jusqu’`a pr´esent, sans doute pour ce cˆot´e plus intuitif du filtrage.
2.4.1 Familles de mod`eles
On distingue deux familles de mod`eles en LES :
– La mod´elisation fonctionnelle, la plus directe, dans le sens o`u elle a vocation `a estimer la divergence du tenseur des contraintes de sous-maille :
∂τijSGS
∂xj =fi(U)˜ (II.31)
et donc `a reproduire l’effet physique des petites ´echelles sur les grandes, sans s’int´eresser de trop pr`es `a la structure du tenseur de sous-maille.
– La mod´elisation structurelle consiste `a approximer le tenseur des contraintes de sous-maille :
τijSGS =fij(U)˜ (II.32)
sans connaissance a priori de la physique qui r´egit les interactions entre ´echelles s´electionn´ees et ´elimin´ees.
Les mod`eles les plus utilis´es sont ceux du premier type (par ex. Smagorinsky, dynamique...) 2.4.2 Quelques mod`eles de sous-maille
Mod`ele de Smagorinsky Dans le mˆeme esprit que le mod`ele de Boussinesq (I.15), agr´ement´e de consid´erations spectrales, Smagorinsky [Sma63] a propos´e le mod`ele qui porte son nom.
Pour construire une viscosit´e turbulenteνtSGS correspondant `a l’´echelle de coupure (index´eec ci-apr`es), l’analyse dimensionnelle permet :
νtSGS ∝uclc (II.33)
9. ∆S= ∆ ou 2∆
IntroduisonsεLS le taux de transfert d’´energie des ´echelles de tailles plus grandes que lc vers celles plus petites quelc :
εLS ∝ u3c
lc (II.34)
En situation d’´equilibre spectral, on a10 :
εLS =−τijSGSa S˜ij (II.35)
soit, avec l’hypoth`ese de Boussinesq (I.15) :
εLS = 2νtSGSS˜ijS˜ij (II.36)
avec (II.33) on a finalement :
νtSGS= (CSlc)2
qS˜ijS˜ij (II.37)
o`u le coefficient de proportionnalit´eCS est la constante de Smagorinsky. On peut l’obtenir par un raisonnement dans l’espace spectral :
CS = 1 π
2 3CK
3/4
(II.38) soit environ 0.17 si on prendCK = 1.5 Cette valeur n’est pertinente que dans le cas id´eal d’une turbulence homog`ene isotrope, et doit ˆetre corrig´ee pour les autres ´ecoulements, o`u l’´equilibre spectral n’est pas la r`egle.
On notera que, classiquement, la longueur de coupure est repr´esent´ee par la taille de maille (LES spatiale).
Similarit´e d’´echelles Cette approche se base sur l’observation que l’interaction entre ´echelles r´esolues et non-r´esolues se fait essentiellement au voisinage de la coupure. L’id´ee de Bardina et al. [BFR80] est d’exploiter ceci afin de construire un mod`ele de sous-maille bas´e sur des quantit´es connues, ´eventuellement refiltr´ees.
Filtrons l’´equation (II.18) appliqu´ee au champ de vitesse :
< u′′i >= ˜U∗i−<U˜∗i> (II.39) Les ´echelles ´elimin´ees par le filtrage initial sont refiltr´ees afin de ne conserver que les plus grandes d’entre elles, repr´esent´ees par < u”i >. On voit que le membre de droite correspond aussi aux ´echelles ´elimin´ees par le second filtrage ; en d’autres termes, les plus petites ´echelles s´electionn´ees par le premier filtrage. Moyennant les hypoth`eses simplificatrices suivant pour τijSGS :
• Rij =u”^iu”j ≈u”figu”j pour le tenseur de Reynolds de sous-maille
• Cij =<U˜∗iu”j >+<U˜∗ju”i >≈<U˜∗i >fu”j+<U˜j∗ >u”fi pour le tenseur des termes crois´es
la d´ecomposition de Leonard (II.30)11 conduit `a l’expression ([LM96] par exemple) : τijSGS =CB
<U˜∗iU˜∗j >−<U˜∗i ><U˜∗j >
(II.40) o`u CB est la constante formelle de Bardina qui doit ˆetre ´egale `a 1 afin d’avoir un mod`ele invariant par transformation galil´eenne [Spe85].
Remarques :
10. τija est la partie anisotrope du tenseur de sous-maille ;τija =τij−1/3τkkδij
11. On notera qu’une formulation de ce mod`ele sans tenseur de Leonard est possible, mais l’expression de τijSGSest diff´erente [Fer83]
– Il faut s’assurer que le second filtrage ne conduise pas `a l’idempotence12 (sous peine d’avoir τijSGS = 0) : on peut par exemple augmenter la taille du filtre.
– Cette m´ethode permet le backscatter, c’est-`a-dire un transfert d’´energie des petites vers les grandes ´echelles.
– Son inconv´enient majeur est qu’elle n’entraˆıne pas une dissipation suffisante. Pour rem´edier
`
a cela, on peut l’associer `a un mod`ele diffusif (voir par exemple [Fer96]), comme celui de Smagorinsky. Ce genre d’association constitue un mod`ele dit ”mixte”.
Mod`ele dynamique de Germano Ce mod`ele s’articule autour de celui de Smagorinsky. Le principe en est de faire varier la ”constante”CS. Pour cela, Germano etal.[GPMC91], [Ger92]
se sont appuy´es sur des hypoth`eses de similarit´es d’´echelles, ce qui implique un refiltrage (par le biais d’unfiltre test). Ce double filtrage permet d’estimer les structures turbulentes proches de la coupure. L’introduction du filtre test d´egage un nouveau tenseur de contraintes ; τijT F, donn´e par :
τijT F =<U^i∗Uj∗ >−<U˜∗i><U˜∗j > (II.41) Ce tenseur peut se d´ecomposer comme (II.30), et sa partie explicite (´equivalente au tenseur de Leonard) s’´ecrit :
L’id´ee est d’´evaluer les plus petites ´echelles r´esolues (comprises entre les deux ´echelles de cou-pure successives) pour ajuster le mod`ele de sous-maille (par exemple, d´eterminer la ”constante”
de Smagorinsky par un algorithme). Si l’on mod´elise nos deux tenseursτijT F etτijSGS par un mod`ele de Smagorinsky, on en obtient un pourLij :
Laij =Lij−1
Cette relation tensorielle doit subir une contraction, ce que firent Germano etal. [GPMC91]
en multipliant par ˜Sij `a gauche et `a droite, et en moyennant dans les directions homog`enes (en canal) : Lilly proposa ensuite [Lil92] une m´ethode des moindres carr´es pour minimiser l’erreur sur (II.44), qui aboutit `a :
Cl2c1 = (CSlc1)2 =−1 2
LapqS˜pq
MmnS˜mn (II.46)
Cette approche peut conduire `a des valeurs n´egatives deC, ce qui g´en`ere du backscatter, ponc-tuellement souhaitable, mais susceptible de destabiliser une simulation. La mise en pratique de ce mod`ele a ´egalement montr´e de fortes variations spatiales et/ou temporelles de C. Ces variations peuvent se filtrer par moyennes dans les directions homog`enes, ou en temps, par l’utilisation d’un filtre digital passe-bas.
12. Les notations ne l’indiquent pas, mais le second filtrage peut ˆetre diff´erent du premier ; c’est mˆeme forte-ment souhaitable
Viscosit´e spectrale En situation homog`ene, dans l’espace spectral, l’´equation d’´evolution de la densit´e d’´energie s’´ecrit :
∂
∂t+ 2νκ2
E(κ, t) =T<κc(κ, t) +T>κc(κ, t) (II.47) o`u les T repr´esentent les transferts associ´es aux diverses interactions triadiques (κ, κ1, κ2) : T<κc pour (κ1, κ2)≤κc) etT<κc pour les autres triades.
Dans ce formalisme,T>κc correspond `a la contribution de sous-maille, apr`es application d’un filtre `a coupure spectrale enκc.
Le concept de viscosit´e spectrale vise `a mod´eliser les transferts d’´energies dus aux triades inconnues (T>κc) :
νt=−T>κc(κ, t)
2κ2E(κ, t) (II.48)
de fa¸con `a avoir :
∂
∂t+ 2(ν+νt)κ2
E(κ, t) =T<κc(κ, t) (II.49) Les fermetures en deux points permettent d’obtenir des informations quantitatives surνtmais aussi sur sa d´ependance en κ. On pourra citer, `a titre d’exemple, le tr`es complexe mod`ele propos´e par Heisenberg [Hei48] :
νt(κ) =CH Z ∞
κ
sE(p, t) p3
dp (II.50)
Kraichnan [Kra76] a quant `a lui montr´e que la courbe de νt(κ) pr´esente un plateau vers κ = 0.3κc et croˆıt progressivement au voisinage deκc. Ledit plateau est dˆu aux interactions non-locales entre ´echelles situ´ees de part et d’autre de κc, tandis que la croissance pr`es de κc est attribu´ee aux interactions locales.
Cette approche spectrale permet de s’affranchir du processus de s´eparation d’´echelles : dans l’espace physique, on peut s’aider d’une viscosit´e turbulente pour estimer le rˆole des structures non-r´esolues sur le champ r´esolu, tandis que dans l’espace spectral, la viscosit´e turbulente varie continˆument avec le nombre d’ondeκ.
Enfin, on peut mentionner l’approche `a fonctions de structure, qui consiste `a transposer le concept de viscosit´e spectrale `a l’espace physique [ML92].