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Au-delà du soutien corporel que je peux procurer aux patients lors des propositions et des stimulations, rappelons que « la sensation ne se suffit par à elle-même, le psychomotricien va accompagner les mouvements d’intégration des éprouvés dans le champ des émotions, des affects, des pensées »71.

L’intégration des expériences reste difficile pour les sujets ayant une déficience intellectuelle. J’observe cette complication dans ma pratique, où malgré la continuité recherchée des séances, un jeune peut oublier les étapes déjà travaillées dont il a besoin pour faire un exercice plus compliqué. Par exemple avec Paul, nous ajustons ensemble sa posture, asymétrique au naturel. Il se concentre sur ses appuis et son équilibre, et les expérimente sur différentes plaques sensorielles. A la séance suivante, il est à nouveau question d’équilibre, mais avec des échasses. La situation nouvelle, qui repose sur ce principe d’équilibre travaillée auparavant, lui parait alors impossible à réaliser. Il faut alors retravailler l’équilibre à même le sol pour qu’il ose monter sur les échasses.

J’essaie alors de proposer des stimulations sensorielles en prenant une fonction de support et de soutien psychique, tout en restant un garant pare-excitation contenant, qui aidera le sujet à comprendre et mettre des mots sur ses vécus, de la même façon que la mère prête à son nourrisson des émotions (« Tu as mal au ventre, tu as donc faim ? Tu pleures, tu es triste ? »).

Ce rôle de support que je prends à ce moment renvoie à une fonction maternelle, qui se rapporte aux sollicitations et éprouvés induits qui ne soient ni trop forts ni trop faibles, afin d’en assurer l’intégration.

Dans le groupe de relaxation, lorsque je suis observatrice, j’ai un regard bienveillant, attentif, disponible, mais garant du respect du cadre. Cela fait de moi une tierce personne au rôle d’observateur en retrait mais présent par un regard et une disponibilité corporelle attentifs et bienveillants, et renvoie à la fonction paternelle que j’occupe dans le cadre thérapeutique. Elle se réfère au maintien du cadre et à la rigueur des techniques et du dispositif établis.

Cette question d’ambivalence entre les fonctions maternelle et paternelle m’a beaucoup posé question avec Jean, qui refuse une grande partie des propositions. Il cherche beaucoup l’aspect maternel dans la demande de stimulations sensorielles, de contenance et d’attention constante. Cependant, il joue beaucoup avec les limites que je lui laisse : il demande un jour à s’assoir sur ma chaise (la chaise derrière le bureau), ou encore à augmenter le volume de la musique au maximum. Avec lui j’ai pu me rendre compte combien la fonction

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86 paternelle avait là son rôle : « la première fonction du Père sera d’aider à l’attachement afin de favoriser le détachement »72. Bien que je sois bienveillante et qu’il y ait des choses que je lui autorise, je répète avec lui les règles, les interdits. Cela semble le frustrer dans un premier temps, mais ensuite j’observe qu’il est plus apaisé, rassuré. Dans l’espace de liberté qu’il a durant les séances, savoir que je suis garante du respect du cadre l’aide à se contenir, d’où l’intérêt d’avoir en conscience que je représente à la fois une figure maternelle et paternelle.

Dans ma pratique, je favorise au maximum des séances construites sur un plan semi- directif. J’ai déjà évoqué que je voulais cela afin que la séance soit la leur ; j’irai ici plus loin en développant que je cherche à ce qu’ils soient acteurs de leur prise en charge, dans une finalité d’aider à la prise de conscience de leur Moi.

Il y a donc une co-construction des séances, et c’est pourquoi rappeler qu’il y a toutefois un cadre est nécessaire, notamment pour Jean qui a ces difficultés de limites et d’enveloppe corporelle.

C’est grâce à la contenance de ce cadre que l’alliance thérapeutique sera possible. Paul semble ainsi beaucoup plus investir les propositions où il y trouve une forme de liberté. Par exemple, lorsque nous construisons des plans de la salle et que nous y plaçons des objets à remettre en réel dans la salle, il choisit quel objet prendre, ou quel endroit occuper, et ne rejette pas les propositions.

Dans le groupe de relaxation, où les jeunes font également des propositions, rappeler le cadre passe en majeure partie par la redite des horaires qui sont à respecter, ainsi que la nécessité de respecter les autres jeunes pour favoriser leur détente. Il s’agit de les faire prendre conscience qu’ils sont là pour vivre les propositions qu’on leur propose, mais aussi pour en faire vivre aux autres.

Cependant, « en plus de nos formations universitaires, personnelles, de nos expériences qui contribuent à notre identité, ce sont avant tout nos qualité humaines, nos individualités, nos corporéité, qui nous permettent de trouver les voies de la rencontre »73. Il y aura donc une réelle spécificité pour chaque psychomotricien dans son rapport au patient.

Pour ma part, mon expérience personnelle antérieure m’a davantage appris à prendre une place où j’avais cette fonction maternante. De ce fait, j’ai parfois tendance encore aujourd’hui à vouloir sur-protéger les patients, les aider au maximum pour qu’ils réussissent, sans leur laisser une réelle occasion d’échouer afin de mieux réussir derrière, par essais-erreurs. C’est au cours de ma clinique que j’apprends à trouver l’équilibre avec une position plus paternelle,

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GROSSMANN K.E, 1998, p 44

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87 en rappelant le cadre, et favorisant ainsi la différenciation. Mes réflexions théoriques confortent cette idée, qu’il est nécessaire aux enfants et adolescents de vivre par eux-mêmes les expériences, et non par un appui trop présent, afin de se développer.

Je ne suis dans tous les cas qu’un soutien éphémère, je les aide à découvrir les modes de fonctionnements qui leurs font défaut afin de les travailler avec eux pour qu’ils soient plus à l’aise dans leur corps et dans leurs interactions. Mon but est bien qu’ils évoluent dans l’avenir sans moi.

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