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Sous-représentations des joueurs et des protagonistes vidéoludiques

2. Prolégomènes d’un outil d’analyse de la faiblesse vidéoludique

2.1. Avant l’entrée en jeu : déceler la faiblesse

2.1.3. Sous-représentations des joueurs et des protagonistes vidéoludiques

Cet écart entre représentation sociale et représentation vidéoludique, qui va à l’encontre du statu quo instauré par la culture hégémonique de la masculinité militarisée, se perçoit dans les données recueillies par Dmitri Williams et ses collègues dans un recensement de 2009. Même s’il est probable que la représentation des minorités semble s’être améliorée dans les dernières années, cette étude reste tout de même pertinente pour mon argumentaire

puisqu’elle permet de constater l’absence ou la faible présence de plusieurs groupes d’individus basés sur l’âge, le sexe ou de l’ethnie, et démontre à quel point la masculinité militarisée domine toujours l’industrie. Les groupes qui apparaissent moins souvent sont d’entrée de jeu considérés comme beaucoup plus faibles, démontrant le déséquilibre des représentations des personnages, tant au sein de la société qu’au sein des traditions issues de la masculinité militarisée : « measuring the imbalances that exist on the screen can tell us what imbalances exist in social identity formation, social power and policy formation in daily life » (Williams et al. 2009, pp.818-819). Il nous serait également possible d’établir une corrélation entre les caractéristiques qui définissent le joueur et celles qui définissent le personnage :

groups look for representations of themselves and then compare those representations with those of other groups. The presence of the group [..] serves as a marker for members to know that they carry weight in society. Conversely, the absence of portrayals should lead to a feeling of relative unimportance and powerlessness. (ibid., p.820)

Plusieurs questionnements, que nous avons déjà exposés en introduction et auxquels nous répondrons plus loin dans ce chapitre, peuvent ressortir de l’écart représentationnel si le joueur appartient à un groupe d’une certaine importance dans la société à l’inverse de son personnage (ou vice versa). Ceci étant dit, le fait que le personnage soit oublié, disparu ou carrément invisible du paysage vidéoludique, comme le note Williams et ses collègues, relève de la passivité qui, comme nous l’avons vu précédemment avec le chapitre de Brian Attebery, est une caractéristique associée à la féminité dans les littératures de l’imaginaire et, de ce fait, à la faiblesse : « demographic groups of people who are not represented are slowly rendered invisible by virtue of their relative inaccessibility in the knowledge store » (Williams et al. 2009, p. 821). Au-delà de la représentation de certains groupes à l’écran ou dans la société, leur impact sur le récit peut également être symptomatique d’une faiblesse de ce personnage virtuel. Certains personnages sont plus « primaires » que d’autres, notamment dans les jeux où l’on peut « contrôler plusieurs personnages à la fois (jeux de rôles, jeux de stratégie, etc.). Les personnages, peu importe leurs rôles, se retrouvent tous sur un spectre du passif/actif, du plus primaire au plus tertiaire. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent avec l’effet- personnage de Hamon, le fait qu’un personnage soit primaire, secondaire ou même tertiaire

peut avoir un impact plus ou moins important sur le déroulement du récit et sur l’expérience du lecteur/spectateur/joueur : « the groups which typically appear in secondary roles may be associated with having secondary roles in daily life. Within the game session, there is evidence to suggest that players regard secondary characters very differently than primary ones » (ibid., p. 821).

Puisque ce sont à la fois les joueurs et les concepteurs qui choisissent de quelles façons les personnages sontt représentés dans les jeux vidéo, la représentation d’une faiblesse, hors des normes de la puissance, serait en quelque sorte un acte de résistance envers et contre la masculinité militarisée perpétuée par des joueurs et des concepteurs qui s’estiment sous- représentés au sein de cette culture hégémonique qui laisse peu de place aux minorités, ce qui fait écho au cercle vicieux de la masculinité militarisée avec ses préoccupations belliqueuses et son exclusion systématique de la féminité :

The game industry, conjured into being by technologically adept and culturally militarized men, made games reflecting the interests of its creators, germinating a young male subculture of digital competence and violent preoccupations. The industry then recruited new game developers from this same subculture, replicating its thematic obsessions and its patterns of female exclusion through successive generations. (Kline et al. 2003, p. 257)

La masculinité militarisée n’est cependant pas un paradigme culturel entièrement basé sur l’hégémonie masculine et la stigmatisation de la féminité. Si l’on se fie aux résultats présentés dans le recensement, les personnages qui dominent, en plus d’être masculins, sont également blancs et adultes. Les hommes apparaissent plus souvent que les femmes qui, pour leur part, se retrouvent généralement dans des rôles secondaires. Près de 85 % des personnages principaux sont blancs, ce qui équivaut à une surreprésentation d’environ 7 % par rapport à la population américaine, alors que les Noirs, les Hispaniques, les Métis et les Autochtones, notamment, sont tous sous-représentés. Les adultes sont surreprésentés d’environ 48 % par rapport aux adolescents, aux enfants et aux aînés de la population réelle. Cette étude ne fait pas mention de l’identité sexuelle des joueurs et des personnages, mais puisque les hommes sont représentés seuls (donc sans femmes ou personnages indéfinis) dans un peu moins de

représentation qui s’éloigne des cadres prescrits de la masculinité hétéronormative (et donc de la puissance liée à cette culture hégémonique) équivaut nécessairement à la faiblesse. La faiblesse devient alors un concept englobant plusieurs caractéristiques « anti-masculinité militarisée ». En se manifestant dans des représentations de personnage hors-normes par rapport aux conventions esthétiques et sociales, à la fois dans la publicité, les pochettes de jeu et dans l’œuvre elle-même, la faiblesse offre un écart important dans l’horizon d’attente du joueur.

2.2. Premier contact avec le personnage : comprendre la faiblesse