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Sources de variation des préférences

IV. Évolution des préférences vocales

IV.2. Sources de variation des préférences

i. Cycle menstruel

Il a été suggéré que la phase du cycle menstruel et les contextes d’accouplement – choisir un partenaire pour une relation romantique à long terme, ou juste un partenaire pour une relation de courte durée (i.e. relation sans lendemain) – pourrait influencer les préférences des

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femmes pour certains attributs masculins, dont la qualité vocale (Feinberg, Jones, Law Smith, Moore, DeBruine, Corwell, Hillier, & Perrett, 2006 ; Pisanski, Hahn, Fisher, DeBruine, Feinberg, & Jones, 2014 ; Puts, 2005). L’hypothèse du « good genes ovulatory shift » suppose en effet que les femmes en phase d’ovulation expriment des préférences en faveur de partenaires plus masculins (la masculinité perçue étant supposément liée à une plus haute qualité génétique), plus particulièrement dans le contexte d’une relation à court terme (Jünger, Motta-Mena, Cardenas, Bailey, Rosenfield, Schild, Penke, & Puts, 2018). À l’inverse, les femmes en phase non-fertile (phases folliculaire et/ou lutéale) ont tendance à préférer des partenaires moins masculins (i.e. indiquant un investissement parental important), vers lesquels elles pourraient être particulièrement attirées pour une relation à long terme. Cette variabilité au niveau des préférences constituerait une stratégie adaptative permettant aux femmes d’optimiser leur fitness selon la période de leur cycle menstruel.

Concernant les préférences vocales, Puts (2005) a constaté que pour une même voix, les femmes en phase ovulatoire préfèrent les voix graves (F0 bas) dans un contexte de recherche de partenaire sur du court-terme. De même, Feinberg et al. (2006) ont constaté que les préférences des femmes en matière de masculinité pour les voix graves sont plus fortes pendant la phase fertile qu’en dehors de cette période. Bien qu’elle ne soit pas significative, l’étude de Pisanski et al. (2014) a rapporté la même tendance. Enfin, une étude a indiqué que les femmes en phase fertile préfèrent des voix présentant des timbres situés dans les basses fréquences (bas Df), que cela soit dans le contexte d’une relation à court et long-terme (Hodges-Simeon et al., 2010). Les auteurs de cette étude ont également constaté que la préférence pour les voix graves (bas F0) sont plus marquées en phase fertile et dans le contexte d’une relation à court-terme, tandis que les voix les plus monotones (valeurs basses de F0-SD) sont plus attractives dans les phases non fertiles pour le court-terme et la phase fertile pour le long-terme.

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Cependant, le paradigme de la variation des préférences des femmes en fonction du cycle menstruel a récemment été remis en question. En effet, des études récentes suggèrent que le cycle menstruel des femmes n'influence pas leurs préférences pour des corps et des visages plus ou moins masculins (Jones, Hahn, Fisher, Wang, Kandrik, Han, Fasolt, Morrison, Lee, Holzleitner, O’Shea, Roberts, Little, & DeBruine, 2018 ; Marcinkowska, Galbarczyk, & Jasienska, 2018). En utilisant un échantillon de plus grande taille et une méthodologie plus rigoureuse, Jünger et al. (2018) n'ont effectivement retrouvé aucun effet de la phase du cycle, du risque de conception et des niveaux d'hormones stéroïdes pouvant expliquer les préférences des femmes pour la voix des hommes.

Enfin, notons qu’il a également été suggéré que l’attractivité vocale des femmes pouvait changer au cours du cycle menstruel : les voix des femmes n’étant pas en phase d’ovulation sont perçues comme moins attractives par les hommes, alors qu’elles sont jugées comme étant attractives lorsque les locutrices approchent de cette phase (Pipitone & Gallup, 2008). En outre, il a été montré que plus elles approchent de la phase fertile, plus la voix des femmes monte dans les aigus (augmentation du F0), tandis qu’elle descend dans les graves en dehors de cette phase (Bryant & Haselton, 2009 ; Fischer, Semple, Fickenscher, Jürgens, Kruse, Heistermann, Amir, & Halsey, 2011). En effet, comme les plis vocaux possèdent des récepteurs aux hormones sexuelles au niveau des cellules épithéliales, la variation des œstrogènes et de la progestérone au cours du cycle menstruel modifieraient leur masse, leur viscosité et leur tension, et donc leurs propriétés oscillatoires. Il a été avancé que cette variation cyclique pourrait être un signal adaptatif permettant d’augmenter son attractivité pour attirer des partenaires sexuels lorsque le risque de conception est important, ceci dans le but de favoriser la conception d’un enfant (Fischer et al., 2011; Pipitone & Gallup, 2008 ; Puts et al., 2013).

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ii. Environnement socio-culturel

Bien qu’elles soient relativement rares, certaines études suggèrent que les préférences vocales ne sont pas universelles mais varient d’une langue/culture à l’autre.

L’étude pionnière de van Bezooijen (1995) a cherché à montrer l’effet de l’environnement socio-culturel sur les préférences vocales. L’auteur a souligné que le F0 moyen des Japonaises se situe parmi les plus élevés dans l’ensemble des sociétés humaines étudiées, avec une moyenne située autour de 232 Hz, comparativement à celles des Américaines, en moyenne à 214 Hz, et des Suédoises, en moyenne à 196 Hz. A titre comparatif, les Françaises se situent autour des 190 Hz (Vaissière, 2015). Les conclusions générales de l’étude suggèrent que ces différences de F0 s’expliquent par le fait que les hommes et les femmes doivent se conformer à des attentes sociales particulières lesquelles peuvent varier d’une culture à l’autre suivant le rôle social attribué à chaque sexe. Ainsi, au Japon, les traits de caractère traditionnellement associés à la féminité comprennent la modestie, l’innocence, la dépendance et plus généralement l’impuissance physique et la soumission psychologique : les Japonaises les signalent vocalement afin de répondre aux préférences des hommes partageant la même culture. A l’inverse, dans une culture relativement plus égalitaire comme les Pays-Bas, les Néerlandais tendent à valoriser des traits relatifs à l’indépendance féminine, ce qui se traduit par une préférence tournée vers des voix plus masculines et donc plus graves. En conclusion, il semblerait donc que les hommes japonais et/ou néerlandais tournent leurs préférences vers des voix culturellement congruentes par rapport aux valeurs attribuées à la féminité (i.e. soumission vs. indépendance, van Bezooijen, 1995).

Enfin, deux autres études montrent d’une part que dans une population namibienne, l’attractivité vocale des hommes n’est pas prédite par la hauteur de leur voix (F0), mais par le caractère plus ou moins soufflé de celle-ci (Šebesta et al., 2017), et d’autre part que les

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Philippines préfèrent les voix masculines présentant des voix relativement aiguës (haut F0, Shirazi et al., 2018).

Notons pour finir qu’il n’existe pas à notre connaissance d’étude ayant mesuré systématiquement les préférences vocales d’une culture à l’autre en tentant d’identifier les prédicteurs liés à une possible variation. Pourtant, des variations socio-culturelles pour les préférences au niveau vocal ne semblent pas improbables, comme cela a été observé pour d’autres composantes de l’attractivité tels que le ratio taille-hanche, l’indice de masse corporelle ou la stature, lesquelles dépendent en partie de l’écologie (discuté dans Pisanski & Feinberg, 2013). L’influence de l’environnement culturel constitue ainsi une piste de recherche intéressante à explorer dans l’avenir.