0.4. Croyances Bayésiennes et consentement à parier pour étudier l’ambiguïté
0.4.3. Sources uniformes
Les différents concepts ayant été introduits et les intuitions exposées, nous allons à présent définir avec précision l’outil que nous proposons pour étudier l’ambiguïté. Il s’agit du concept de source uniforme. Une source d’incertitude sera dite uniforme si la sophistication probabiliste est vérifiée entre événements de cette source. Le terme uniforme capture l’idée que l’ambiguïté au sein de cette source apparaît comme uniforme, homogène au décideur et que par conséquent son attitude ne sera pas influencée par autre chose que la probabilité de l’événement ; en d’autres termes, le décideur a une connaissance uniforme sur la source et ne pense pas détenir plus d’information pour un événement que pour un autre.
Considérons à présent une partition de S en événements échangeables, c’est‐à‐dire une partition de S en E1,…,En telle que pour tout acte E1:x1,…,En:xn ,
d’un xj pour n’importe quelle paire de i et j prenant des valeurs de 1 à n . Une fois
une telle partition obtenue, il est possible de générer une source en prenant toutes les unions possibles de ces événements. A partir du résultat de Chew & Sagi 2006a on sait alors que cette source est uniforme. Notons que la distribution de probabilité subjective sur les Eis est uniforme : P Ei 1/n pour tout i de 1 à n.
Un contre‐exemple trouve sa source dans le paradoxe d’Ellsberg à 3 cou‐ leurs. En effet, l’urne contenant 30 boules rouges et 60 boules noires ou jaunes n’est pas uniforme, l’agent disposant de plus d’informations pour certains événe‐ ments que pour d’autres. Chew & Sagi 2006b proposent de considérer deux sources, l’une contenant les événements avec probabilité connue, l’autre les évé‐ nements avec probabilité inconnue. Cette seconde source ne couvre pas l’espace des événements et il n’est donc pas possible de définir une partition de S en évé‐ nement échangeables. Ce type de situation ne peut pas être traité avec la méthode exposée dans le chapitre 4.
0.4.4. Description des attitudes face à l’ambiguïté
Nous ne considérerons dans la suite de cette section uniquement des actes binaires avec conséquences positives. Dans ce cadre, lorsque les probabilités sont connues, les modèles RDU et CPT sont équivalents et peuvent s’écrire avec x y : xpy w p u x 1 w p u y .Pour le même type d’actes mais lorsque les probabilités ne sont pas con‐ nues, les modèles CEU, CPT et Maximin ont une formulation commune voir Ghi‐ rardato & Marinacci 2001 : xEy W E u x 1 W E u y . La fonction d’utilité est supposée la même dans les deux cas, probabilités connues ou non. Pour des événements appartenant à une source uniforme donnée, puisque la sophistication probabiliste est satisfaite, alors ceci peut être réécrit :
xEy w P E u x 1 w P E u y ,
où w est la fonction de transformation de probabilité spécifique à la source en question.
Dans le cadre de ce modèle, en élicitant la fonction w quand les probabilités sont connues et pour différentes sources uniformes, il est alors possible d’étudier l’impact précis des différentes sources par rapport au risque. Exposons en effet comment ces fonctions peuvent être analysées. Lorsque les probabilités sont con‐ nues, w est généralement en forme de S inversé surévaluation des petites proba‐ bilités et sous‐évaluation des grandes , et ceci est généré par une sensibilité au changement de niveau de vraisemblance plus forte vers les extrêmes 0 et 100% que pour les probabilités intermédiaires. En d’autres termes, l’agent réagit plus à une variation de probabilité entre 0 et 1% ou entre 99% et 100% qu’entre 49 et 50%. En outre, w dans le risque et pour les gains a tendance à être en dessous de la diagonale, représentant ainsi le pessimisme des agents qui agissent comme si leur chance de gagner était inférieure à la probabilité. Ceci est équivalent à une faible attractivité des loteries par rapport aux gains certains. La courbe en noire du graphique 0.4.1 représente w quand les probabilités sont connues. Elle com‐ bine les deux effets, S inversé et tendance à être en dessous de la diagonale.
Graph a : w dans le risque Graph b : Aversion à l’ambiguïté Graph c : Perte de sensibilité liée à l’ambiguïté Graph d : Perte de sensibilité et aver‐ sion à l’ambiguïté Graph 0.4.1 : Attitudes face au risque et à l’ambiguïté à l’ambiguïté
Lorsque les probabilités ne sont pas connues, le paradoxe d’Ellsberg nous suggérait que les agents sont moins attirés par les paris que lorsque les probabili‐ tés sont connues. Cette baisse d’attractivité des paris, ou de manière équivalente cette hausse du pessimisme des agents, devrait se traduire par une fonction de transformation des probabilités en dessous de celle du risque, comme si un évé‐ nement E avec une probabilité subjective de P E p était pénalisé par rapport à une probabilité objective égale à p lorsqu’il s’agit de parier sur l’un ou l’autre. Il s’agit d’aversion à l’ambiguïté. Le graphique 0.4.1.b représente en pointillé rouge une telle fonction w pour une source uniforme avec probabilités inconnues par rapport à la fonction de pondération w du risque en noir. 0 1 1 0 1 1 0 1 1 0 1 1
Un second effet de l’ambiguïté est la baisse de la discriminabilité entre ni‐ veau de vraisemblance. En effet, s’il est déjà difficile lorsque les probabilités sont connues de distinguer cognitivement entre 49 et 50% de chances de gagner, cela est d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit de probabilité subjective, qui sont avant tout des niveaux de vraisemblance dans l’esprit du décideur. Ce phénomène se traduit par une plus forte réaction aux changements par rapport à la certitude ou l’impossibilité, mais à une moindre sensibilité pour toutes les probabilités inter‐ médiaires. Le graphique 0.4.1.c représente cette situation avec le même code cou‐ leur que 0.4.1.b.
Enfin, lorsque les deux effets de l’ambiguïté sont combinés aversion à l’ambiguïté et moindre sensibilité à l’incertitude qu’au risque , on obtient le gra‐ phique 0.4.1.d. Afin d’obtenir des indices pour ces phénomènes, les différentes transformations de probabilité hors bornes 0 et 1 seront approximées par des droites. La comparaison des pentes nous permettra d’obtenir une évaluation rela‐ tive des sensibilités, et les élévations des droites donneront une indication sur l’attractivité des différentes sources et du risque. Les prochaines sous‐sections présentent la méthode et les résultats d’une étude expérimentale permettant de tester l’uniformité de différentes sources et d’obtenir les transformations de pro‐ babilités pour ces sources et pour le risque.