• Aucun résultat trouvé

2.2 Les sources de neutrinos cosmiques

En vertu de l’équation (2.3), les accélérateurs cosmiques de protons sont des sources potentielles de neutrinos de haute énergie. Le proton, en interagissant sur la matière ou le rayonnement ambiant, produira des neutrinos de haute énergie. La liste des sources astro-physiques probables de neutrinos de haute énergie se ramène à celle des sites candidats à l’accélération de protons.

Supernovae

Une grande partie de l’énergie émise par une supernovae l’est sous forme de neutrinos (IMB et Kamiokande l’ont confirmé lors de l’explosion de SN 1987A [70]). Cependant l’énergie de ces neutrinos est faible (quelques dizaines de MeV). Cela les rend difficile-ment observables par les détecteurs de neutrinos cosmiques de haute énergie, et en par-ticulier ceux dont l’installation est prévue en milieu sous-marin [71]. Le bruit de fond optique (présenté au paragraphe 3.1.4) contre lesquels ils doivent lutter rend en effet toute recherche systématique de tels événements de très basse énergie extrêmement délicate. Un télescope sous-marin constitué d’environ 1000 photomultiplicateurs ne serait ainsi sensible qu’aux supernovae situées à moins de 5 kpc [71]. L’observation de supernovae provenant du centre galactique (sim8 kpc) par d’autres détecteurs pourrait néanmoins permettre la “détection” de l’événement au sein des données enregistrées [72].

Vestiges de supernovae et rayons cosmiques

L’onde de choc produite par l’explosion d’une supernova est l’un des rares phénomènes galactiques capables d’accélérer des protons jusqu’à des énergies très importantes. Ces derniers acquerraient de l’énergie selon le mécanisme de Fermi au sein de l’onde en ex-pansion se diffusant dans le milieu interstellaire. Le front d’onde ayant une durée de vie finie, ce mécanisme ne peut expliquer les énergies protoniques observées au-delà du PeV. Dans certains cas, le résidu de la supernovae est un pulsar, qui peut contribuer à l’accélé-ration des protons.

Systèmes binaires émetteurs de rayons X

Ces objets astrophysiques, constitués d’un objet compact (étoile à neutrons ou trou noir) et d’une étoile compagnon, sont les sources de rayons X les plus lumineuses de notre Ga-laxie. La dynamique de tels systèmes fait intervenir d’importants transferts de masse du compagnon vers l’objet compact. Les protons gagnent de l’énergie soit par accrétion, soit par l’intermédiaire des champs magnétiques très intenses présents à la surface de l’étoile à neutrons (par effet dynamo-électrique [73]). L’étoile compagnon et le disque d’accrétion constituent la cible sur laquelle les protons vont interagir en produisant des photons et des neutrinos.

Noyaux actifs de galaxies

Les noyaux actifs de galaxie (NAG) sont parmi les objets les plus lumineux de l’Univers. Il existe probablement en leur sein un trou noir supermassif (104 à1010masses solaires). Leur luminosité extrême (1035 à 1041 W [74]) serait alimentée par accrétion de matière sur ce fabuleux moteur, à un taux d’au moins quelques masses solaires par an. Certains

NAG produisent des jets relativistes de matière comprenant des électrons dont le rayon-nement synchrotron peut être observé en radio, sur des distances allant jusqu’à 1 Mpc. Si les jets pointent dans la direction de l’observateur, le noyaux actif de galaxie est ce que l’on appelle un “blazar”, et apparaît plus intense en raison de l’amplification par effet Doppler. Les électrons semblent être accélérés par le mécanisme de Fermi, qui s’applique également sur les protons. Selon les modèles génériques de NAG, des protons seraient accélérés lors de chocs au sein du flux d’accrétion provoqué par le trou noir central. Ces protons interagiraient alors soit avec la matière du disque d’accrétion, soit avec le rayon-nement ambiant. Cela engendrerait un flux de neutrinos très énergiques (équation (2.3)) sans gammas associés, car les photons ne pourraient s’échapper du cœur de la source. Dans les NAG avec jets, les protons accélérés au sein de “paquets” de matière se dépla-çant de manière relativiste le long des jets, interagiraient selon le processus décrit par l’équation (2.4) avec le champ photonique ambiant. Ce dernier, très chaud et très dense dans ces régions, est émis par le disque d’accrétion lui-même ou par l’interaction des particules accélérées avec le champ magnétique local.

p + γ−→ ∆+−→ π0p , π+n (2.4)

↓ ↓

γγ p µ+νµn → e+νµνeνµpeνe

Cette réaction n’est possible que si l’énergie du proton est supérieure à environ100 3 keV



TeV. Elle contribue donc principalement à la production des neutrinos les plus énergiques.

Dans le cas des blazars, les jets relativistes, pouvant présenter un facteur de Lorentz de l’ordre de 10, pointent dans la direction de l’observateur: l’énergie des neutrinos en est alors d’autant plus élevée (phénomène relativiste de décalage vers le bleu). La figure 2.4 schématise la production de neutrinos de haute énergie selon ces modèles de blazar.

Sursauts gamma

Des bouffées de rayons gamma de courte durée (entre 10−2 et 103 secondes), représen-tant un des phénomènes les plus violents de l’Univers connus à ce jour, sont détectées au rythme d’environ une par jour depuis plus de 25 ans. Leur origine reste incertaine et constitue une énigme de l’astronomie moderne. D’après le modèle, maintenant bien éta-bli, de la boule de feu [75], l’émission des photons s’explique par la radiation synchrotron d’électrons accélérés dans un flot énergétique ultra-relativiste. La boule de feu résultante s’étend à une vitesse ultra-relativiste (facteur de Lorentzγ ≥ 300) à travers le milieu en-vironnant. Une composante hadronique ne serait pas surprenante dans des phénomènes aussi violents. Un proton pourrait alors être accéléré à travers les ondes de chocs résul-tantes. Des sursauts gammas proches pourraient être à l’origine des rayons cosmiques de ultra-haute énergie.

Comme montré sur la figure 2.5, le flux diffus de neutrinos de haute énergie que ces modèles prévoient est faible [76]. Les événements issus de telles sources seront donc peu nombreux. Ils doivent être cependant facilement détectables puisque corrélés en direction et en temps aux bouffées de rayons gamma. La détection des sursauts gammas dans An-tares a été étudiée dans la référence [77].

2.2 Les sources de neutrinos cosmiques 41 Jet Vent rayons gamma ~10 ~10-2pc Observateur Disque d’accretion γ Trou noir

FIG. 2.4 – Schématisation des modèles de blazar. La partie grisée représente les fins paquets au sein desquels les particules sont accélérées. Les jets peuvent avoir des facteurs de Lorentzγ de l’ordre de 10.

Milieux denses et rayons cosmiques

De manière générale, toutes les régions denses sont des sources potentielles de neutrinos de haute énergie, puisque les rayons cosmiques peuvent y interagir et produire les par-ticules secondaires aboutissant aux neutrinos. Les cibles les plus facilement observables en neutrinos sont: l’atmosphère terrestre, le soleil 3 et le centre galactique. Les rayons cosmiques peuvent également interagir avec le fond cosmologique.

L’imprévu

La détection de neutrinos de haute énergie ouvre une nouvelle fenêtre sur l’Univers. His-toriquement, les grandes découvertes ont été le résultat, parfois inattendu, de l’introduc-tion de nouvelles techniques d’exploral’introduc-tion et d’extension du domaine spectral. Dès lors, comme l’observation du ciel en micro-ondes avait débouché de manière inattendue sur la mise en évidence du rayonnement fossile (1965), celle en ondes radio sur la découverte des radio-galaxies (1966) et des pulsars (1968) ou celle en rayons gamma sur la détection des sursauts gamma (1970-73), cette nouvelle manière de regarder l’Univers pourrait nous offrir de nouvelles découvertes.

Les figure 2.5 et 2.6 présentent les flux de neutrinos diffus prédits par différents modèles et les flux attendus pour quelques sources ponctuelles.

3. Le soleil est également une source directe de neutrinos, produits en son cœur par les réactions de fusion nucléaire, mais que ces neutrinos sont de trop faible énergie (< 20 MeV) pour être étudiés au sein

10-11 10-10 10-9 10-8 10-7 10-6 10-5 10-4 10-3 10-2 10-1 104 105 106 107 108 109 1010 Eν(GeV) Eν 2 dΦ / dEν ν d (cm -2 s -1 sr -1 GeV) ATM (Volkova) GAL (Montanet) COS (Yoshida) GRB (Waxman) AGN (Stecker) AGN (Protheroe) AGN (Halzen) AGN (Mannheim)

FIG. 2.5 – Flux diffus de neutrinos de haute énergie: neutrinos atmosphériques (ATM [78]), neutrinos du plan galactique (GAL [79]), neutrinos cosmologiques (COS [80]), neutrinos de sursauts gamma (GRB [76]), neutrinos des noyaux actifs de galaxies (AGN [81], [82], [83], [84]). Eν (GeV) Eν 2 dΦ / dEν ν (cm -2 s

-1 GeV) SOL (Ingelman)

CGA (Crocker) 3C273 (Stecker) Crabe (Roy) jeune SNR (Roy) 10-14 10 -13 10-12 10-11 10-10 10-9 10-8 10-7 10-6 10-5 10 -4 104 105 106 107 108 109 1010

FIG. 2.6 – Flux de neutrinos de quelques sources ponctuelles: le soleil (SOL [85]), le centre galactique (CGA [86]), la galaxie ac-tive 3C273 ([87]), la nébuleuse du Crabe ([88]) et le reste d’une jeune supernova (jeune SNR [88]).