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Cette thèse fait appel à différents domaines disciplinaires entrelacés. Elle s’inscrit dans le champ de l’anthropologie des relations humains/non-humains et mobilise à la fois les outils et travaux des ethnoécologues et des anthropologues de la nature. L’étude des savoirs et savoir-faire des paysans-herboristes ne va pas sans l’analyse de leurs pratiques agricoles. En cela, cette thèse s’inscrit également dans le champ de l’anthropologie des savoirs et, de façon plus marginale, dans celui de l’anthropologie des techniques et de l’anthropologie de la santé.

Plusieurs mémoires de master et thèses de doctorat ont été rédigés sur le thème de l’herboristerie. Dans sa thèse de pharmacie soutenue en 1993, Isabelle Aubry a étudié la formation des herboristes et les conditions d’exercice de leur activité depuis le Moyen Âge jusqu’aux années 1990 (Aubry, 1993). Cette recherche a le mérite de dresser un panorama élémentaire de l’état de l’activité à la veille des années 2000. Le mémoire de Master de Laurent Rébillard est également consacré à l’histoire de l’herboristerie (Rébillard, 2002). Concernant l’herboristerie contemporaine, la thèse publiée en 2007 par Raphaële Garreta constitue le travail le plus abouti sur la situation de l’herboristerie citadine. Dans sa recherche intitulée Des simples à l’essentiel : de

l’herboristerie à l’aromathérapie, pratiques et représentations des plantes médicinales,

l’ethnologue a choisi d’enquêter auprès des herboristes d’officine et étudiants en école d’herboristerie. C’est également l’angle d’approche adopté par Ida Bost qui a soutenu en janvier 2016 sa thèse d’anthropologie intitulée Herbaria : Ethnologie des

herboristeries en France, de l’instauration du certification en 1803 à aujourd’hui. Cette

recherche, qui traite essentiellement de l’histoire de l’herboristerie, ne mentionne, pour la partie contemporaine, que très rapidement le rôle des producteurs-cueilleurs de plantes médicinales. Seul le mémoire de Master de Sophie-Anne Sauvegrain (Sauvegrain, 2002-2003) et les différentes contributions que l’ethnologue a publiée avec Yildiz Aumeeruddy-Thomas concernent spécifiquement l’herboristerie paysanne (Sauvegrain et Aumeeruddy-Thomas, 2004, 2006).

32 Parallèlement à ces travaux portant sur l’herboristerie au sens strict, d’autres recherches récentes ont été consacrées aux nouveaux acteurs de la médecine végétale française. La thèse de l’anthropologue Aline Mercan analyse l’essor des enseignements de phytothérapie en France (Mercan, 2012) tandis que les travaux de Claire Julliand portent sur les cueilleurs contemporains de plantes sauvages (Julliand, 2002, 2008 ; Pinton, Julliand, Lescure, 2015). Puisque la relance de l’herboristerie s’intègre tout à la fois dans l’histoire longue de la médecine végétale et dans le développement récent des médecines parallèles, les travaux consacrés à la médecine populaire européenne (Dos Santos, 1985, 1986, 1991, 1995 ; Laplantine, 1978 ; Loux, 1978, 1990 ; Perrin, 2013, 2014), à la transformation de l’industrie pharmaceutique (Gaudillière, 2013) et au développement des médecines parallèles (Benoist, 1990, 1993, 1998 ; Laplantine, 1989 ; Laplantine et Rabeyron, 1987 ; Mercan, 2012 ; Pordié et Gaudillière, 2012 ; Schmitz, 2006) ont permis de contextualiser la place de l’herboristerie paysanne dans le paysage médical. Les premières enquêtes réalisées sur la cueillette comme objet de recherche anthropologique (de la Soudière, 1982 ; Larrère et de la Soudière, 1985 ; Meilleur, 1982 ; Musset, 1983) et les divers travaux ethnologiques portant sur la sorcellerie (Bouteiller, 1966 ; Favret-Saada, 1977, 2009) ont également permis d’historiciser le redéploiement de la culture-cueillette de plantes médicinales et de la médecine végétale populaire.

En 1982, dans un numéro de la revue Études rurales consacré à la chasse et à la cueillette comme champ de recherche anthropologique, Christian Bromberger et Gérard Lenclud considéraient que très peu de travaux avaient été réalisés sur l’ethnologie de la cueillette : « on s’intéresse plus aux plantes ramassées et à leurs divers usages qu’à la procédure du ramassage » constataient les deux ethnologues (Bromberger et Lenclud, 1982 : 31). Pour analyser la matérialité technique et économique de l’herboristerie paysanne, plusieurs publications réalisées en ethnologie des techniques (Bromberger, 1979 ; Cresswell, 1975, 1996 ; Guille-Escuret, 2001, 2003 ; Lemonnier, 1980 ; Leroi- Gourhan, 1964), en anthropologie économique (Godelier, 1973, 2010) et en écologie politique (Gorz, 1988, 1997, 2008) ont été consultées. L’œuvre d’Henri Mendras a également permis de mieux appréhender l’histoire et les caractéristiques de la paysannerie française (Mendras, 1976, 1984). Les travaux qu’Élise Demeulenaere et

33 Christophe Bonneuil ont consacrés au Réseau Semences Paysannes ont également été d’un secours précieux (Demeulenaere, 2013, 2014 ; Demeulenaere et Bonneuil, 2010, 2011 ; Demeulenaere et Goulet, 2012). Enfin, quatre thèses relatives au processus de relance d’une production agricole régionale (Dupré, 2000), aux engagements individuels et collectifs des agriculteurs biologiques (Vankeerberghen, 2011), à l’anthropologie politique du milieu agrobiologique (Leroux, 2011) et aux recompositions de l’identité paysanne (Pibou, 2016) ont été d’une grande aide pour penser les dimensions agricoles du métier de paysan-herboriste.

Le cœur de cette recherche est consacré à la relation que les paysans-herboristes tissent avec le végétal et aux savoirs qu’ils mobilisent pour en déceler les propriétés médicinales. Les livres écrits par les praticiens de la relation homme-plante, qu’il s’agisse d’ouvrages portant sur les techniques agricoles en culture de plantes médicinales (Gerbranda, 1991, 2004), sur les usages médicinaux du végétal (Thévenin, 2012b) ou proposant un plaidoyer pour la reconnaissance du métier d’herboriste (Maison, 2015b ; Thévenin, 2008, 2012a, 2013), de même que ceux couramment utilisés par les paysans-herboristes dans leur apprentissage des vertus des plantes (Lieutaghi, 1966, 1969) ont été abondamment consultés. Ils m’ont notamment permis de constater que les savoirs mobilisés par les producteurs sont en grande partie produits et transmis par les ethnobotanistes. Les travaux de Pierre Lieutaghi consacrés aux usages médicaux du végétal (Lieutaghi, 1966, 1969, 1981, 1983b, 1986, 2009) constituent d’ailleurs le trait d’union le plus saillant entre l’ethnobotanique et la production de plantes médicinales.

Pourtant, l’ethnobotanique est loin d’être une discipline dévolue à l’étude des usages médicinaux des plantes. Née d’une reconversion de la botanique coloniale, elle a été conceptualisée par des agronomes désireux de mieux comprendre les relations que tissaient sur les territoires exotiques les hommes et les plantes. La littérature scientifique relative à l’histoire et au champ de recherche de l’ethnobotanique en France (Bahuchet, 2011, 2012, 2014 ; Bahuchet et Lizet, 2003 ; Barrau, 1971, 1973, 1974, 1976, 1979, 1985 ; Bonneuil, 1996 ; Bromberger, 1986 ; Demeulenaere, 2017 ; Hoare, 2012 ; Portères, 1956, 1957a, 1957b, 1961, 1965, 1966, 1969 ; Roué, 2012) et à l’étranger

34 (Clément, 1998a, 1998b ; Hunn, 2007), de même que les œuvres des grands fondateurs (Harshberger, 1896a, 1896b ; Haudricourt, 1956, 1962, 1964 ; Haudricourt et Hédin, 1943), ont été consultées afin de dresser l’histoire et les modalités de l’ethnobotanique. Les recherches menées par les anthropologues du Laboratoire d’anthropologie sociale (Descola, 2004, 2005, 2006, 2011 ; Brunois, 2002, 2005, 2007) ont également permis d’appréhender les autres approches et catégories d’analyse de l’anthropologie des rapports flore-société. Pour caractériser la spécificité de l’ethnobotanique produite à Salagon, la lecture des actes du séminaire annuel organisé par l’institution (Lieutaghi et Musset, 2003, 2004, 2006, 2008, 2010, 2011, 2013, 2014, 2015a, 2015b) et des travaux publiés par les ethnobotanistes fondateurs (Lieutaghi, 1983a, 2003, 2008 ; Musset, 1999, 2003, 2008, 2012 ; Musset et Dore, 2006) a été étayée par l’analyse de publications relatives aux caractéristiques d’un lieu de savoir et d’une école de pensée (Bert, 2015 ; Jacob, 2007, 2014).

Pour les paysans-herboristes, l’ethnobotanique constitue tout à la fois une approche scientifique et une ressource politique qui s’articule avec leur profession. Plusieurs schèmes empruntés à l’histoire et à la sociologie des sciences (Haraway, 2007 ; Harding, 1996 ; Pestre, 2003) ont permis de conceptualiser les dynamiques et les tensions qui modélisent la façon dont les producteurs utilisent les savoirs ethnobotaniques. La reconnaissance patrimoniale des savoirs ethnobotaniques contribue à leur mobilisation au service de l’autonomie thérapeutique. Plusieurs travaux consacrés aux caractéristiques du processus de patrimonialisation ont été utilisés pour appréhender les différentes dynamiques engagées par les producteurs (Cormier-Salem et Roussel, 2002 ; Micoud, 2005 ; Rautenberg, 2003) et les enjeux nouveaux créés par la constitution de la catégorie du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) (Bortolotto, 2011 ; Bromberger, 2014 ; Fournier, 2011). Les notions de communauté épistémique (Haas, 1992), de plaidoyer épistémique (Hayden, 2003) et d’ontologie politique (Demeulenaere, 2014) ont également permis de préciser la façon dont les herboristes paysans mobilisent l’ethnobotanique comme un projet politique.

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