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Le père de Xavier était plutôt une personne introvertie mais appréciant l’humour. C’était un homme de la terre. Il en avait les mains. Il portait le nom de son grand-père – Georges !

Ces parents, séparés pour mésentente, confièrent George Junior à sa grand-mère qui vivait à La Source la demeure familiale en plein cœur du Morvan. La Grand- Mère étant très âgée, délégua cette mission au régisseur qui habitait la petite maison juste au-dessus. Georges préférait d’ailleurs passer son temps dans les fermes et les bois, plutôt que de rester confiné avec sa grand-mère. Il allait à l’école communale du village voisin à pied.

Il existe un dicton sur ce pays « du Morvan, ne vient ni bon vent ni bonnes gens ». Ce n’est pas très flatteur. C’est une région sauvage avec des hivers rigoureux et certains sommets de ce massif dépassent les huit cents mètres d’altitude.

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A la fin de la guerre, ses parents, qui avait fait un rafistolage de façade et vivaient sous le même toit, décidèrent de reprendre Georges avec eux à Paris pour lui permettre de meilleures études.

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Tout naturellement, il était très attaché à cette propriété et il n’y avait pas de plus belles vacances que des semaines entières à la Source. Georges finit par en hériter quelques années plus tard et s’y installa définitivement dès sa retraite.

Il décéda le 3 décembre 2010 dans une maison médicalisée proche de La Source. Il était atteint d’une tumeur au cerveau, un glioblastome :

- « C’est la plus maligne des tumeurs » confirma un interne de l’hôpital de Dijon à Xavier « elle s’étend comme une araignée dans le cerveau et il est très difficile de la retirer entièrement ».

Georges mourut seul très tôt le matin dans sa chambre de la maison médicalisée.

Un coup de téléphone résonna dans le vestibule de la propriété familiale. A cet instant, sans même avoir décroché, toute la maisonnée compris que c’en était fini.

C’est finalement la mère de Xavier qui finit par décrocher :

- « Oui, merci ! on arrive » entendit Xavier qui venait de se réveiller et qui descendait le grand escalier de la maison.

- « C’est Papa ? » demanda-t-il

- « Oui ! c’était une infirmière. C’est fini. Tu viens avec moi ? » dit sa mère

- « Bien sûr ! je finis de m’habiller et je t’emmène » répondit-il avec sa tasse de café à la main. Xavier se souvint avoir veillé son père quelques jours auparavant. Alors que celui-ci était plus ou moins conscient, Xavier assis au bout de son lit le regardait respirer. Il resta ainsi une trentaine de minutes avant de se faire relayer soit par sa mère soit par une de ses nièces.

Il s’approcha du lit, prit la main de son père et attendit quelques secondes pour savoir s’il ressentait une réaction. Georges plia doucement ses doigts dans les mains de son fils mais c’était faible. « Tu as été un bon père ! » lui chuchota-t-il dans l’oreille.

Son père se retourna vers lui comme étonné et ouvrit ses grands yeux avec ce regard enfantin et vide sur un corps décharné qu’ont tous les malades arrivés à un point de non-retour. Xavier ne sut jamais si son père l’avait entendu mais il voulait y croire.

En fait quand son père est mort, Xavier eut la sensation d’être passé à côté de quelque chose et de ne pas vraiment le connaître. Il aurait tellement voulu lui parler, dire simplement combien il l’aimait. La génération à laquelle appartenait Georges n’était pas celle des pères d’aujourd’hui comme il peut l’être avec son propre fils. Par pudeur sans doute, jamais son père ne lui a dit « je t’aime ! » ou même s’embrasser, cela était inconcevable. Cela ne veut pas dire que Xavier avait

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l’impression ne pas être aimé, il était sûr de son amour filial, mais c’était impalpable, du « brut de pomme ». Les relations familiales sont souvent complexes, empreintes de « non-dit », de rendez-vous manqués parfois de frustrations conduisant à des blocages affectifs de part et d’autre. Lorsque les parents disparaissent, on se dit « qu’on aurait dû le faire » mais c’est trop tard.

Le jour de l’enterrement, Xavier voulut dire un mot sur son père et il écrivit dans la nuit un petit discours sur une feuille papier :

« Quand on est enfant on pense que nos parents n’ont ni âge ni histoire et qu’ils ne peuvent disparaître.

Puis en grandissant on s’aperçoit bien que les cheveux grisonnent que les dos se voutent et la marche est plus lente. On sait qu’il faudra un jour se séparer mais on veut croire que ce jour-là arrivera le plus tard possible comme pour repousser à l’infini l’échéance fatale.

C’est arrivé pour mon Père vendredi dernier 3 décembre 2010. Une date banale en soi qui deviendra pour moi une date anniversaire …. Un marqueur ! avec un avant et un après …. Le 3 décembre c’est la Saint-Xavier !

Papa était malade depuis quelques mois déjà et ces dernières semaines ont été éprouvantes pour ma mère et ses proches qui l’ont vu s’éteindre comme une chandelle dans la nuit, c'est-à-dire doucement mais inexorablement. Grâce au ciel nous avons été assistés avec cœur par tout le personnel médical de la Maison de Cure et les fréquentes visites du père Guyot.

Papa était un homme avec les deux pieds ancrés dans la terre et plus particulièrement dans cette terre du Morvan et La Source qu’il affectionnait tant. Il en avait les défauts et les qualités – une certaine rudesse alliée à un bon sens. Il fuyait le paraître et les phraseurs et il voulait vivre comme bon il en entendait.

Depuis une quinzaine d’années déjà il vivait aux portes du paradis à « cultiver son jardin » …. Planter, tailler, greffer, baliver … Il était heureux …. Il savait qu’il ne verrait jamais le profit de ses plantations et il me disait souvent : « celui- là ce n’est pas moi qui le couperait, même pas toi …. Ton fils peut-être »

Papa savait aussi que tout ce qui nait, vit ou pousse sur cette terre est amené à disparaître et il s’inscrivait lui-même dans ce cycle avec humilité. Il ne craignait pas la mort ou en tout cas n’en parlait pas souvent et- pour lui d’ailleurs pourquoi en parler puisque cela est inévitable ?

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Je ne pense pas non plus qu’il craignait Dieu mais le servait humblement dans le cadre de la paroisse en assistant le mieux possible le curé notamment lors des enterrements …. Il en était souvent bouleversé surtout quand il s’agissait de jeunes- morts accidentellement ...

Mon père avait surtout une énorme qualité indestructible à mes yeux - celle d’être mon père … Je peux dire à haute voix devant vous « je suis fier d’avoir été ton fils et heureux de ce bout chemin parcouru ensemble …. Tu vas manquer à La Source. Tu vas nous manquer …

Je me fais le porte-parole de ma mère, de mes sœurs et de toute notre famille, pour vous remercier de votre présence réconfortante … Vous êtes en quelque sorte les témoins de son passage sur cette terre vous qui l’avez connu à des degrés et des occasions diverses…

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