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I. 2.5.3.2 Mécanismes de l’adaptation

I.4. Environnement particulier : la réanimation

I.4.1 Le sommeil en réanimation

I.4.1.1 Description du sommeil en réanimation

(Dlin et al. 1971) est la plus ancienne étude que nous ayons pu identifier à tenter une qualification du sommeil en unité de soins intensifs. D’après ses auteurs et antérieurement à cette étude, les difficultés de sommeil en USI avaient déjà été constatés cliniquement, mais sans faire l’objet ni d’une étude dédiée, ni d’un intérêt de la part du corps médical et paramédical. N’utilisant aucun appareil d’enregistrement du sommeil, les auteurs reconnaissaient une difficulté de l’évaluation par observation clinique simple de l’état de vigilance du patient en USI, ceux-ci présentant soit un état d’hypervigilance, soit un état qualifié de « retrait » (withdrawal) où le patient reste yeux clos, quasi- immobile, mais pouvant répondre facilement à un stimulus externe. La qualité du sommeil était évaluée qualitativement de manière indirecte par le nombre d’interventions de tiers auprès du patient sur l’ensemble du cycle circadien, où il apparaissait la persistance d’interventions possiblement éveillantes au cours de la période nocturne. Les auteurs identifiaient comme facteurs de risque de privation de sommeil l’environnement (activité, lumière, bruits), l’état clinique du patient (douleur, hypothermie), l’attitude du personnel (stimulations du patient sur tout le cycle circadien), et des facteurs propres au patient (qualité perçue du sommeil avant hospitalisation, durée habituelle de sommeil).

Cependant, l’évaluation subjective clinique par le personnel d’un service de réanimation ne semble pas assez précise pour pouvoir en retirer une information fiable sur l’état de vigilance du patient : il a été constaté que cette évaluation surestime le temps de sommeil et sous-estime sa fragmentation (Schwab 1994; Weinhouse et Schwab 2006; Drouot et al. 2008).

L’évaluation de son propre sommeil par le patient lui-même est un élément qui participe au bien-être perçu : 24 à 61 % des patients rapportent un sommeil insuffisant au cours d’un séjour en USI, et une grande majorité un sommeil de moindre qualité comparé à leur sommeil habituel antérieur, sans corrélation avec la durée de séjour en USI. Les autres plaintes plus spécifiques concernant le sommeil concernent des difficultés d’endormissement et un sommeil plus léger avec éveils fréquents (Krachman et al. 1995; Gabor et al. 2001; Weinhouse et Schwab 2006; Elliott et al. 2011).

L’évaluation objective du sommeil peut être réalisée par polysomnographie, actimétrie, ou monitorage de la fonction cérébrale (indice bispectral), cette dernière technique étant peu utilisée pour le sommeil (l’indice bispectral donne un reflet de la profondeur d’une sédation, mais ne distingue pas les différents stades de sommeil). Concernant la macroarchitecture du sommeil, la quantification des états de

vigilance en USI a pu mettre en évidence un temps total et une efficience de sommeil (ES, ratio du temps passé à dormir sur la durée totale de l’enregistrement) diminués ou normaux, voire augmentés, une augmentation de la latence de l’endormissement et du SP, une augmentation de la fréquence et du nombre de microéveils et d’éveils au cours du sommeil (indice éveils-microéveils jusqu’à 79 par heure), une augmentation de la durée du SSL 1, un SLL 2 diminué, normal ou augmenté, et une diminution du SLP et du SP (pouvant être aboli), résultant globalement en un allègement, une fragmentation et une privation de sommeil (Schwab 1994; Gabor et al. 2001;Parthasarathy et Tobin 2004; Weinhouse et Schwab 2006; Drouot et al. 2008; Elliott et al. 2011). La microarchitecture peut également être modifiée : présence d’activités thêta et delta au cours de la veille, mouvements oculaires rapides au cours du SL, fluctuations rapides entre activités EEG de veille et de SL, perte de l’atonie musculaire au cours du SP, présence de fréquences rapides de faible amplitude secondaires à la sédation, pouvant rendre le tracé polysomnographique ininterprétable (Drouot et al. 2008). La répartition nycthémérale du sommeil peut se voir altérée, avec une augmentation du sommeil durant la période diurne, 50-60 % du temps de sommeil étant nocturne ; il a été observé (sur la répartition veille-sommeil, la courbe de la température et de la pression artérielle, le dosage de la mélatonine et du cortisol) une atténuation voire une disparition complète du rythme circadien, ou des rythmes en libre cours (Schwab 1994; Parthasarathy et Tobin 2004; Salas et Gamaldo 2008; Drouot et al. 2008; Oldham et al. 2016). Ces altérations de la macro et de la microarchitecture du sommeil, empêchant parfois la reconnaissance des stades de sommeil normaux, ont conduit à identifier (en dehors des situations spécifiques de coma) deux grands stades de veille/sommeil en réanimation (concernant jusqu’à 50 % des patients sous ventilation artificielle) : un « sommeil atypique » (diminution de l’ES avec fragmentation sur l’ensemble du cycle circadien ; absence de SP, SL dépourvu de complexes K et de fuseaux de sommeil) et une « veille pathologique » (signes électrophysiologiques de veille tels que saccades oculaires rapides et tonus musculaire soutenu coïncidant avec fréquences lentes à l’EEG) (Cooper et al. 2000 cité par Gabor et al. 2001; Drouot et Quentin 2015). Certains travaux ont retrouvé une amélioration de l’architecture du sommeil avec l’augmentation de la durée d’hospitalisation (Gabor et al. 2001), suggérant une adaptation du sommeil à l’environnement délétère, ou bien une

amélioration avec la prise en charge de la pathologie aigue. Il a également été rapporté des parasomnies chez des patients en USI, notamment des troubles du comportement en sommeil paradoxal (TCSP), mais sur un faible nombre de cas, empêchant de déterminer si ces troubles sont effectivement plus fréquents et associés à l’USI (Krachman et al. 1995).

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I.4.1.2 Facteurs de perturbation du sommeil en réanimation

Les éléments provoquant ces altérations du sommeil dans les services de réanimation sont variés. On peut distinguer (Schwab 1994; Krachman et al. 1995; Gabor et al. 2001; Parthasarathy et Tobin 2004; Weinhouse et Schwab 2006; Drouot et al. 2008; Elliott et al. 2011; Beltrami et al. 2015; Kaplow 2016) : - Les facteurs liés à l’environnement : lumières (notamment éclairage ambiant sans cycle nycthéméral), perturbations sonores (appareils de surveillance, personnel hospitalier, autres patients ; niveau sonore moyen sur 24h : 50-75 dB, avec ou sans creux nocturne selon les études), odeurs désagréables

- Les facteurs liés à la prise en charge : procédures de surveillance clinique, interventions diagnostiques (examen clinique, prélèvements de tissus biologiques, imagerie), traitement pharmacologiques (traitements éveillants : catécholamines ; traitements diminuant le SP : barbituriques, opiacés, antipsychotiques, benzodiazépines, propofol ; traitements diminuant le SLP : benzodiazépines ; traitements influençant la sécrétion de mélatonine : benzodiazépines, catécholamines, bétabloquants, opiacés), soins de support (toilette, intubation, sondage urinaire ou gastrique), interactions avec les appareils de soutien vital (asynchronie entre patient et ventilateur mécanique…)

- Les facteurs liés au patient : âge, état psychologique (anxiété), perte de contrôle/d’autonomie (incapacités dues à la pathologie, contention physique ou pharmacologique), perte d’activité physique

- Les facteurs liés à la maladie prise en charge et aux comorbidités : douleur, fièvre, soif, sévérité de l’affection, pathologies sous-jacentes associées à des troubles du sommeil (syndromes d’apnées du sommeil, BPCO, asthme, insuffisance cardiaque chronique…)

Du fait de la nécessité de surveillance continue, un certain nombre de procédures ponctuelles décrites ci-dessus sont réalisées aussi bien durant les périodes diurnes que nocturnes (Schwab 1994) ; un élément qui peut influencer la dérégulation nycthémérale des interventions est la représentation erronée du sommeil du patient qu’ont les personnels soignants de réanimation, qui surestiment la durée totale de sommeil de leurs patients (Krachman et al. 1995; Drouot et al. 2008).

I.4.1.3 Conséquences des troubles du sommeil en réanimation

L’une des conséquences potentielles les plus étudiées et le plus anciennement reliée aux perturbations du sommeil en réanimation est le syndrome de l’USI (également appelé psychose ou confusion de l’USI) (Schwab 1994; Krachman et al. 1995; Parthasarathy et Tobin 2004). Il s’agit d’un état confusionnel (désorientation, anxiété, hallucinations), apparaissant entre le 3ème et le 7ème jour suivant

entre 12,5 et 38 % des patients. Les troubles du sommeil sont considérés comme précurseurs de ce syndrome plutôt que comme conséquence, en raison de son apparition différée après le début de l’admission en USI, similaire à la durée après laquelle des sujets en état de privation de sommeil expérimentale développent des manifestations proches de celles observées au cours du syndrome de l’USI. On retrouve également plus fréquemment ces manifestations confusionnelles parmi les patients les plus touchés par des troubles du sommeil. Il a également été proposé (Weinhouse et Schwab 2006) que les perturbations du sommeil au cours de l’hospitalisation en USI pouvaient participer aux dysfonctions cognitives du syndrome post-réanimation, mais sans données permettant de l’affirmer. Le manque et la fragmentation du sommeil sont connues pour induire des altérations des fonctions immunitaires (Schwab 1994; Krachman et al. 1995; Weinhouse et Schwab 2006; Salas et Gamaldo 2008; Drouot et al. 2008), cardiovasculaires (Parthasarathy et Tobin 2004), hormonales (Weinhouse et Schwab 2006; Salas et Gamaldo 2008), et pour affecter la résilience face à une pathologie (Krachman

et al. 1995; Weinhouse et Schwab 2006), ensemble de conditions qui pourraient avoir un impact négatif sur le patient de réanimation. Aucune étude spécifique n’a cependant été menée pour tenter d’identifier un impact de ces potentielles conséquences d’un sommeil de mauvaise qualité chez le patient de réanimation.

Les troubles du sommeil, notamment la privation de sommeil, ont des conséquences sur la fonction ventilatoire comme nous l’avons vu plus haut (cf. I.3 Sommeil et ventilation) ; l’impact potentiel de cet élément est décrit plus bas dans une section dédiée (cf. I.4.3 Sommeil et sevrage de la ventilation

assistée en réanimation).

Sur des indicateurs plus globaux, les perturbations du sommeil en réanimation semblent avoir influence négative (Parthasarathy et Tobin 2004; Weinhouse et Schwab 2006; Drouot et al. 2008) : la perception subjective de leur qualité de vie, durant l’hospitalisation en USI et durant une période de temps variable après sortie de l’USI, est moindre chez les patients ayant présenté des troubles du sommeil au cours de leur séjour. Les scores d’évaluation cliniques globaux des patients de réanimation qui ont des troubles du sommeil sont moins bons que ceux qui patients ne présentant pas de troubles du sommeil. La mortalité est également plus grande parmi les patients de réanimation qui ont des troubles du sommeil. Ces relations n’ont cependant aucunement démontré de lien de causalité directe entre elles.