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2. La modernité juridique et le droit de l’environnement Nous avons vu comment la cosmologie naturaliste se traduit dans la

2.3. La soft law : un droit par principe

Les principes et les règles s’opposent à la fois par leur portée et par leur sens. La règle épuise en elle-même sa portée : elle désigne son domaine d’application (succession, gestion des déchets, contrat de travail) et elle n’est efficace que dans le domaine désigné. La portée du principe, en revanche, dépasse le domaine d’application particulier : le principe de l’Habeas corpus, par exemple, s’étend sur toutes les règles et les domaines touchant au corps, de la greffe d’organes à la contractualisation des rapports de travail.

Le sens d’une règle est de fixer les critères de l’action selon les catégories de ce que nous devons, ne devons pas, pouvons faire dans des situations

53 Cf. entre autres T. Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris :

idéales prévues par la loi. Son contenu sémantique concerne donc la représentation des actions et la distribution des « modalités » du devoir et du « pouvoir » (cf. chap. 4 infra). Dans l’État sous la loi, la valorisation positive ou négative, euphorique ou dysphorique par rapport à tel ou tel comportement à encourager ou interdire est entièrement soumise à la loi et remise à l’arbitrage du législateur, assemblée représentant de manière homogène les intérêts d'une classe ou volonté souveraine du prince, peu importe pour notre propos. Le principe recouvre précisément cette sphère présupposée des valorisations implicites, comprenant les catégories que la sémantique structurale appelle thymiques. La catégorie thymique, articulée en euphorie/dysphorie, « joue un rôle fondamental dans la transformation des micro-univers sémantique en axiologie » : en connotant comme euphorique un terme de l’opposition, et comme « dysphorique l’autre, « elle provoque la valorisation positive et/ou négative de chacun des termes » de la catégorie en question 54. Ainsi le principe détermine l’attraction ou la répulsion, l’approbation ou la réprobation vis-à-vis de certaines attitudes et comportements et inscrit par là dans l’ordre légal un simulacre de réalité (l’être) déjà compénétré d'orientations éthiques et politiques (devoir-être), qui conduit à considérer comme une opposition participative et symétrique la relation entre le fait et le droit.

La realtà, posta a contatto col principio, viene, per così dire, a vivificarsi acquisendo valore. Invece che materia inerte, oggetto meramente passivo dell’applicazione di regole, fattispecie concreta da inquadrare nella fattispecie astratta prevista dalla regola – come ragiona il positivismo giuridico –, la realtà illuminata dai principî si presenta dotata di proprie intrinseche qualità giuridiche. Il valore si incorpora nel fatto e pretende che seguano conformi « prese di posizione » giuridiche […] L’essere, illuminato dal principio, non contiene in sé ancora il suo « dover essere », cioè la sua regola, ma almeno l’indicazione di una direzione verso la quale deve porsi la regola per non contravvenire al valore contenuto nel principio.

54 A. J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire risonné de la théorie du langage, op. cit.,

L’incidenza diretta dei principi sulla realtà, cioè la possibilità che essi conferiscano ai fatti una propria valenza normativa, determina un evento non previsto, anzi escluso dal positivismo giuridico55.

Évidemment, ces orientations n’ont qu’une signification vague, qui se précise au contact d’une situation concrète et de son contexte. C'est pourquoi la valeur d’un principe ne se mesure pas seulement en relation à la hiérarchie de normes dont il serait le fondement, mais aussi en relation à la multiplicité de cas sur lesquels il diffuse des valeurs culturelles. La valeur d’un principe doit donc être déterminée à la fois dans son acception immanente, interne à la hiérarchie de normes, et transcendante, par rapport à la multiplicité des cas qu’il est susceptible de « juridiciser ». Par la reconnaissance du principe et de l’instabilité constitutive de son sens, l’ordre juridique admet l’existence potentielle de contradictions internes au système légal (et en même temps transcendant le discours de la règle à appliquer) entre lesquelles il faut trouver une médiation interprétative.

Cela donne une position centrale dans l’univers juridique à la figure hybride de l’interprète (législateur, juge ou docteur) ; c’est à lui que revient la tâche d’entretenir un dialogue constant et prudent entre la loi et les valeurs de la constitution telles qu’elles vivent dans la société 56.

Accorder une telle importance à l’interprétation et au contexte de signification des normes revient, en définitive, à ouvrir une brèche pluraliste à l’intérieur d’un système qui se perçoit lui-même comme une hiérarchie fermée, homogène et continue de normes. Plus profondément, concevoir un système multijuridique signifie briser la malédiction moderne qui condamne à opposer toujours la multiplicité des faits et l’unité du droit. Ce glissement aurait la même portée, dans le droit, que la proposition des anthropologues de passer d’une cosmologie mononaturaliste à une cosmologie multinaturaliste par l’adoption du multiperspectivisme ontologique. Étant donné le pluralisme et l’absence de hiérarchie a priori entre les différents principes et valeurs, la forme globale prise

55 Zagrebelsky, op. cit., p. 160-161. 56 M. Vogliotti, Ibidem.

par cette archive sera nécessairement le réseau. Ce réseau existe en vertu du pluralisme de valeurs potentiellement contradictoires et de la possibilité de les relativiser pour les rendre co-possibles. Cette perspective ne signifie pas renoncer à sa vision du monde, mais construire un monde commun qui garantit la survie des visions particulières par des transactions et des médiations. Toutefois, comme l’a bien vu Zagrebelsky, ce renouveau n’est pas exempt de risques :

È giusto però rendersi consapevoli del fatto che questa idea delle transazioni tra valori può significare qualcosa di molto simile al mercato dei valori e questa mutazione genetica dello spirito in economia si realizzerebbe pienamente quando a ogni valore – come «valore di scambio» – fosse attribuito il «giusto prezzo». Le società occidentali, indubbiamente, con l’estensione ormai pressoché illimitata della categoria del danno (cioè del valore violato) risarcibile (cioè trasformabile in danaro) alla quale purtroppo lavorano da decenni generazioni di giuristi e di giudici animati dalle migliori intenzioni, sono molto avanti su questa strada della «mercificazione» integrale dei «valori» giuridici.

Una società davvero pluralista dovrebbe alzare solide difese contro una tendenza di questo genere, alla fine della quale non ci sarebbe affatto l’equa soddisfazione di tutti i valori in campo, sia pure attraverso la trasformazione dei valori sacrificati in valore-danaro, ma ci sarebbe puramente e semplicemente la tirannia di un solo valore, il valore dell’economia, capace di assoggettare a sé tutti gli altri, originariamente di natura non-economica. Le società che volessero preservare il loro carattere pluralista dovrebbero affermare «valori che non hanno prezzo», tra i quali l’equilibrio si debba raggiungere attraverso la ponderazione con altri valori del medesimo genere, con l’esclusione del medium snaturante del denaro.

2.3.1. La formation du droit de l’environnement contemporain

Des telles préoccupations sont particulièrement pertinentes dans le domaine du droit international de l’environnement. Le droit de l’environnement contemporain se différencie des mesures hygiénistes du XIXe siècle à partir des années 1970 par la conviction explicite que l’environnement doit être protégé en

tant que condition de la vie de l’homme sur Terre 57. Cette branche du droit traduit dans le domaine juridique des préoccupations écologiques : celles de repenser la relation entre l’homme et la nature et de réfléchir les contraintes de l’action humaine vis-à-vis des ressources consommées 58 . Au niveau international, il vit une contradiction profonde entre son architecture conceptuelle, dont nous avons esquissé les grandes lignes, plus haut, et son objet, l’environnement, qui semble déborder son cadre de toute part.

Si les interdépendances traversent les frontières, la raison d’État n’a pas disparu et continue à imposer des limites aux Droits de l’homme au nom de la sécurité de la nation. […] Or la globalisation implique une déterritorialisation : qu’il s’agisse des flux immatériels (flux financiers, flux d’informations), des risques globaux (climatiques ou sanitaires) ou des crimes globalisés (trafics, corruption, terrorisme), les frontières qui délimitaient les territoires deviennent poreuses. Au principe de territorialité s’ajoute non seulement l’extraterritorialité pour les États les plus puissants qui imposent leur système de droit, mais la multi territorialité qui correspond à la pluri appartenance à différents ensembles (par exemple droit national, européen, mondial), voire l’ubiquité (aterritorialité) pour les objets virtuels comme les informations 59.

Pour surmonter cette contradiction et converger vers un droit « commun 60 », le droit de l’environnement se développe principalement à travers les interventions de la soft law élaborée dans le cadre des Nations Unies :

Ainsi, le premier Sommet de la Terre, qui se tint à Stockholm en 1972, se conclut par l’adoption d’une « déclaration de principes » et non par l’adoption d’un accord clairement contraignant, tel un nouveau traité. […] Le temps qui passe démontrera que ce soft law est bien du « droit en devenir »,

57 J. Bétaille, « Droit de l’environnement » in D. Bourg et A. Papaux (éd.), Dictionnaire de la

pensée écologique, Paris : PUF, 2015, p. 290.

58 D. Bourg et A. Papaux, « Pensée écologique » in D. Bourg et A. Papaux (éd.), Dictionnaire de

la pensée écologique, Paris : PUF, 2015, p. 757.

59 M. Delmas-Marty, « Repenser le droit à l’heure de l’Anthropocène« dans AOC du 30/01/2019,

disponible sur :

https://aoc.media/analyse/2019/01/30/repenser-droit-a-lheure-de-lanthropocene/#_ftn1, consulté le 30/01/2019.

susceptible de sortir progressivement ses effets. Soit il se formalise rapidement par la suite de textes véritablement assortis de la contrainte classique, après cette première phase de test sous l’habit expérimental du

soft law. Soit il acquiert par lui-même une force particulière au cours du

temps, par la réappropriation qu’en font d’autres sphères ou discours juridiques, allant parfois jusqu’à occuper le rang de coutume ou de principe général du droit. Dans tous les cas, il traduit un accord et il résulte d’une négociation. […] Les Déclarations de Stockholm (1972) et de Rio (1992), produites à l’occasion de Sommets de la Terre organisés sous l’égide des Nations Unies, furent ainsi le véhicule de valeurs ou principes aussi importants que la nécessité de préserver les ressources naturelles du globe dans l’intérêt des générations présentes et à venir, la responsabilité particulière de l’homme dans la sauvegarde et la gestion du patrimoine naturel, le devoir des États de ne pas causer de dommage environnemental au-delà de leur juridiction nationale, le principe de responsabilité commune mais différenciée, la nécessité de la participation citoyenne et de ses trois volets que sont l’accès à l’information, la participation aux processus de décision et l’accès à la justice, ou encore l’importance de l’étude d’impact sur l’environnement, le principe de précaution et le principe selon lequel c’est le pollueur qui doit payer le coût de la pollution. […] les juges, eux aussi, s’inspirent […] des grandes déclarations de principe précitées, [qui] peuvent [par ailleurs] se traduire par une large gamme de textes dont la dimension contraignante n’est pas explicite (travaux des conférences des parties, codes de conduite d’organisations internationales, recommandations issues de rencontres intergouvernementales, etc.). [Le droit mou] joue ainsi un rôle important dans des nombreux domaines sectoriels, tels la lutte contre le changement climatique, la circulation transfrontalière des substances toxiques et des déchets, le milieu marin, la protection des forêts, les ressources halieutiques 61

Cette énumération de principes montre que l’expression « droit de l’environnement » condense une ambiguïté qui caractérise tout son corpus de normes plus ou moins impératives 62. Protéger l’environnement au moyen du droit signifie reconnaître des droits à l’environnement ou donner aux sujets

61 D. Misonne, « Soft Law », in D. Bourg et A. Papaux (éd.), Dictionnaire de la pensée

écologique, Paris : PUF, 2015, p. 946-947.

humains les moyens de faire valoir leur droit sur l’environnement ? Dans le premier cas, quel statut juridique assigner à l’environnement ? Dans le second, sur la base de quels droits humains protéger l’environnement ? Et surtout, ces principes mobilisent-ils des moyens conceptuels efficaces pour unifier dans une même orientation normative le développement d'un droit de l’environnement mondial ?

Nous retrouvons ici la question fondamentale du droit par principe, qui assure l’articulation des contradictions internes du système juridique et définit les espaces sémantiques et interprétatifs d’un droit en devenir. Elle est d’autant plus urgente que chacune de ces possibilités suscite une grande quantité d’interprétations contradictoires.

La première proclamation internationale du droit environnemental, la Déclaration de Stockholm de 1972, penche par exemple vers l’hypothèse d’intégrer le droit à un environnement sain à l’intérieur de la tradition juridique des Droits de l’homme (Cf. § 6.2). Mais une telle formulation, conformément à la structure ancienne des droits « selon la justice », dont les Droits de l'homme s’inspirent, présente l’inconvénient d'exclure le développement de règles de prévention, ce droit ne devenant effectif, c’est-à-dire juridiquement perceptible, que par sa violation (de même que l’Habeas corpus n’est réalisé que par son rétablissement après l’infraction), sans compter toutes les ambiguïtés des opérations d’assainissement faites pour des raisons humanitaires. Comme le rappelle l’anthropologue Didier Fassin :

[…] Lorsque, sous la pression d’associations d’aide aux immigrés et de patients du Sida, les pouvoirs publics français autorisent la régularisation des étrangers seulement s’ils sont atteints d’une maladie grave ne pouvant être soignée dans leur pays au nom de la « raison humanitaire », ils emploient le même qualificatif que les chefs d’État occidentaux qui appellent au bombardement du Kosovo dans le cadre d’une campagne militaire dont ils affirment le « caractère purement humanitaire » 63.

63 D. Fassin, Critique de la raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent, Paris :

Dans le premier « ordre humanitaire », il est juste ou tolérable qu’un sans- papiers éprouve toutes les difficultés de la misère économique et sociale, mais pas qu’il soit condamné à mort par sa santé qui, en France, est censée être protégée par une Sécurité sociale universelle : la portée générale du droit de santé empiète et l’emporte sur la portée particulière de la recherche d’épanouissement personnel, politique, social et culturel. Ce qui est protégé dans cet ordre est donc la généralité d’un droit contre la particularité de l’autre. Dans le second cas, au contraire, le droit à la vie des populations bombardées appartient à un ordre où il est inférieur au « devoir » de tuer, au prix de « quelques sacrifices », ceux que l’on aura désignés comme bourreaux. On voit que les politiques humanitaires actuelles exploitent des tensions et des configurations valorisées de façon complexes, prises dans des conceptions plutôt anciennes des droits.

Une interprétation opposée de ce principe conduit, en revanche, à saisir le droit de l’homme non pas selon la tradition des droits de justice, rattachés à un ordre premier et objectif dont il est toujours périlleux de fixer la structure, mais selon la tradition des droits de liberté typiques de la tradition moderne, et notamment la liberté de posséder et même d’échanger un environnement sain : c’est précisément ce qui se passe avec l’institution des mécanismes de flexibilité annexés au Protocole de Kyoto pour mettre en place un marché de droit à polluer 64. Cette interprétation rejoint la préoccupation exprimée plus haut par Zagrebelsky, concernant l’économisation des valeurs morales, qui a en effet eu beaucoup d’applications dans le droit de l’environnement.

L’intégration des facteurs environnementaux dans l’économie passe par deux grands courants, celui de la durabilité faible et celui de la durabilité forte. Le premier postule la nécessité d’une croissance constante (éventuellement à la base d’un contrat entre générations) comme moyen stratégique de résoudre les tensions écologiques et l’autorégulation du marché comme instrument pour y parvenir. Dans cette perspective, la difficulté principale posée par la conservation des écosystèmes est la constitution d’un marché de droits de propriété exclusifs

64 M. Tsayem-Demaze, « Paradoxes conceptuels du développement durable et nouvelles

initiatives de coopération Nord-Sud : le Mécanisme pour un développement propre (MDP) » in

Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage,

document 443, mis en ligne le 20/03/2009, consulté le 30/01/2019, disponible sur : http://journals.openedition.org/cybergeo/22065.

et transférables sur les ressources naturelles qui en rendrait explicites la rareté et la valeur monétaire actualisée. « La privatisation et l’allocation des ressources naturelles à travers les signaux des prix éviteraient les apories des gestions antérieures des écosystèmes 65. » Cette thèse repose sur la conviction, d’une part, que l’économie mobilise trois types de capitaux, le capital humain, le capital physique et le capital naturel, et, d’autre part, que les membres de cette tripartition seraient substituables les uns aux autres. Suivant cette idée, la valeur d’une ressource naturelle (renouvelable ou non) pourrait être calculée sur le marché des droits de propriétés qui lui fixe un prix et permettrait de le remplacer physiquement ou par compensation monétaire.

Si la durabilité faible considère les ressources naturelles, les compétences humaines et les techniques comme des variables dans la catégorie constante du capital, à partir de laquelle elles sont mutuellement substituables, la durabilité forte, ou économie écologique, renverse l’orientation des dépendances et part de la nécessité du maintien du capital naturel par la régulation politique du marché. La substituabilité des capitaux est alors remplacée par la notion de complémentarité, où la nature est un stock au moins en partie irremplaçable et donc, suivant certains courants de l’écologie profonde, une valeur en soi.

Bien qu’opposées sur les rôles respectifs de l’économie et de la politique ainsi que sur les rapports de dépendance entre les différents types de richesse, les deux approches présentent des points communs. Toutes deux considèrent en effet « la durabilité comme un enjeu technique (identification des contraintes pour la poursuite d’une trajectoire donnée) et une injonction normative (définition de la trajectoire optimale et détermination du niveau effectif des contraintes à respecter pour la rendre pérenne) 66 ». Nous retrouvons ces deux traits dans la plupart des recherches économiques empiriques qui, en empruntant une voie mitoyenne, retiennent « l’hypothèse d’une substituabilité limitée des capitaux – en fonction des taux de prélèvement des ressources renouvelables et de l’innovation technologique –, et concluent à l’importance du principe de précaution pour gérer les risques de l’irréversibilité 67 ».

65 C. Mager, « Durablité faible/fort » in D. Bourg et A. Papaux (éd.), Dictionnaire de la pensée

écologique, Paris : PUF, 2015, p. 304.

66 C. Mager, op. cit., p. 305. 67 Ibidem.

2.3.2. L’enjeu sémiotique du droit par principe : la critique de l’idéologie

Si l’interprétation est l’enjeu principal de la génération des normes soumises aux principes plutôt qu’aux règles, alors l’analyse de ce système normatif se place sur un terrain sémiotique : le terrain de la segmentation du réel opérée par un langage juridique qui se reconnaît dans la fonction principale de « dire le sens de la vie en société » :

Au-delà de ses rôles répressifs et gestionnaires, le droit est d’abord cela : une parole, socialement autorisée, qui nomme, classe et départage. Le mode qui lui est propre n’est, dès lors, pas tant l’indicatif qui décrit, ni l’impératif qui commande […], que le performatif qui crée une réalité par le simple fait d’énoncer. Ainsi le droit pourra-t-il qualifier certains éléments de la nature de « patrimoine commun de l’humanité », imposer des devoirs au nom d’une responsabilité à l’égard des générations futures, ou encore déclarer indisponible le corps humain, alors même que les pratiques effectives vont dans le sens contraire et que la « réalité » n’accrédite pas de pareilles fictions 68.

Ce disant, Ost reconnaît la nature éminemment sémiotique du droit qui n’est, au fond, qu'un système sémantique (et syntaxique) parmi d’autres. Or, comme l’écrit Umberto Eco, un système sémantique est une « interprétation partiale du monde » : cette partialité résulte de l’inclusion de certains traits à l’intérieur de sa description et de l’exclusion d’autres traits, que le système culturel rend également disponibles et prédicalbles, mais qui restent temporairement exclus du discours ou de la pratique en question. Du point de vue marxien, ces contradictions prennent le nom de « fausse conscience »,