• Aucun résultat trouvé

d e la SocioloGie oBjective à l ’ action

Dans le document 11 Ethnologues en situations coloniales (Page 45-109)

Charles Le Cœur et l’utopisme colonial Alice L. Conklin

Quel est en fait et quel devrait être le rôle de la sociologie dans les conflits de civilisation ? […] [cette question] est pour le sociologue l’occasion d’un examen de conscience […] Je suis arrivé au Maroc pour faire de la sociologie, et je précise bien de la sociologie scientifique : non pour amasser de la documentation au service d’un parti ou d’un gouvernement, mais […]

pour trouver la vérité. Mais pour faire ces recherches [...] je suis devenu Marocain… je n’ai pas pu rester indifférent à la misère de certains de mes interlocuteurs […] La connaissance de la vérité sociale est-elle un bien ? (Le Cœur 1936b : 290.)

C

harles le cœur est un brillant ethnologue et sociologue français qui travailla pendant seize ans (1928-1944) à Rabat, au Maroc, au temps du Protectorat. Il y est à la fois professeur de lettres auprès des élèves musulmans du collège Moulay Youssef et professeur d’ethnographie marocaine à la section normale de l’Institut des hautes études marocaines qui forme les futurs instituteurs et institutrices, pour la plupart français 1. Dans les années 1930, il mène également des enquêtes de terrain dans la ville d’Azemmour et parmi les Téda, dans une région reculée du nord du Tchad. Il soutient sa thèse de doctorat juste avant l’invasion de la France en mai 1940. Sous le régime de Vichy, Le Cœur reprend son travail de terrain parmi de proches voisins des Téda, les Daza, puis rejoint les forces françaises libres fin 1943. En juillet 1944, il est tué au combat alors qu’il dirige un contingent de tirailleurs marocains en Italie. En 1950, sa femme et sa partenaire dans ses recherches ethnographiques, Marguerite Le Cœur, publie plusieurs sections du dictionnaire de la langue téda, un projet ambitieux sur lequel il travaillait au moment de sa mort (Le Cœur 1950). Dans sa recension empathique, intitulée « Une perte pour la sociologie française : Charles Le Cœur », Jacques Berque écrivait :

Vivant au Maroc, profondément sensible à ce pays où les contraires se coudoient, Ch. Le Cœur en était venu à une option pluraliste pour la vie. Sa pensée, oscillant entre l’histoire et la philosophie, logeait la sociologie dans l’entre-deux […]. Malgré des contradictions essentielles, la vie lui paraissait plus forte qui, sur ce coin de terre africaine, brasse personnalités, intérêts

Delasociologieobjectiveàl'action : charles le cœuretlutopismecolonial

et croyances en ces synthèses inattendues, dont l’une précisément fut ce qu’il appelle « la révolution de Lyautey ». Deux pôles qu’il étiquetait, l’un du terme de rite, l’autre du terme d’outil, se disputaient en lui, avec des droits peut-être inégaux, la méthode du savant et la sympathie de l’homme.

Et Berque, concerné lui-même par l’escalade des revendications nationalistes au Maroc à la fin de la Seconde Guerre mondiale, concluait :

Nul ne sait quelle révolution eussent imprimé à ces idées la crise d’un Maroc cherchant de nouvelles synthèses et l’usage, parfois suspect, que d’autres feront de l’argument pluraliste pour éluder certaines simplifications de l’histoire. Question, hélas, déplacée et vaine : la mort sur le front d’Italie, parmi des compagnons marocains, fixe une pensée désormais inaccessible au temps. (Berque 1952 : 143.)

On ne sait en effet comment la pensée de Charles Le Cœur aurait pu évoluer dans les années 1950, dans le contexte des changements politiques radicaux qui s’opéraient au Maroc.

L’évaluation positive de Berque invite à scruter de plus près la vie et le travail d’un chercheur qui, non seulement, observa de manière scientifique les effets du colonialisme au Maroc mais soutint également le projet colonial tout en se mobilisant contre le racisme dont il s’accompagnait.

Parmi ses nombreuses initiatives pour promouvoir la compréhension mutuelle entre les peuples, il encouragea ses étudiants français et musulmans à écrire de courtes ethnographies les uns des autres et prit position en faveur du scoutisme inter-ethnique au Maroc 2.

Avec le recul que nous avons sur le xxe siècle, plusieurs choix de Le Cœur, certes courageux, semblent contradictoires. Tout compte fait, n’aurait-il pas été l’incarnation exemplaire du scientifique colonial mobilisant son savoir pour réformer plutôt que pour défier le système qui le nourrit ? Comme cet ouvrage tente de le montrer, il n’existait pas, en réalité, une « situation coloniale » commune à tous les ethnologues mais des situations multiples et singulières en fonction de l’époque, du lieu et des individus. Le Cœur entreprend son terrain colonial alors que sévit la crise des années 1930 en Europe et aux colonies. Dans ce contexte tendu, sa défense du maréchal Lyautey, premier Résident général du Protectorat (1912-1925), et plus généralement sa foi dans la capacité de l’empire à s’auto-réformer, deviennent plus compréhensibles. Le Cœur tient pour permanente la présence française au Maroc. L’histoire, affirme-t-il, est remplie de conquêtes semblables, génératrices à proportion égale de souffrance humaine et de nouvelles synthèses de civilisation. Il met néanmoins au banc d’essai les dernières avancées en sociologie pour analyser les nombreuses tensions traversant la communauté multi-religieuse qui est celle du Protectorat

Alice L. Conklin

du Maroc, persuadé que la connaissance – quoiqu’insuffisante – peut éclairer la prise de décision politique. Comme George Steinmetz, Helen Tilley, Edmund Burke III et moi-même, l’avons récemment soutenu, les chercheurs ont eu tendance jusqu’à ce jour à juger d’office corrompue toute enquête scientifique menée en situation coloniale. Et pourtant, aussi dérangeante que cette vérité puisse paraître, l’existence d’un système impérial oppressif et la présence d’une « bonne science » ne s’excluent pas mutuellement 3.

Le parcours d’intellectuel engagé de Le Cœur peut être retracé à partir de nombreuses sources différentes, certaines plus fragmentées que d’autres : des témoignages retraçant brièvement sa vie et ses idées, les traces qu’il laissa comme membre du groupe d’étudiants formés par Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie entre les deux guerres, une petite partie de sa correspondance professionnelle et personnelle, et les travaux qu’il publia, en particulier sa thèse de doctorat intitulée Le rite et l’outil.

Essai sur le rationalisme social et la pluralité des civilisations. Fruit d’une dizaine d’années d’immersion dans différentes sociétés africaines, cette thèse est une tentative très originale et déroutante d’utiliser la sociologie pour prôner l’amour de l’Autre dans les conditions inégalitaires du colonialisme. Après sa mort, outre Jacques Berque, un autre sociologue éminent, Georges Balandier, remarquera cette thèse inclassable. En 1969, ce dernier rééditera Le rite et l’outil dans la prestigieuse Bibliothèque de sociologie contemporaine, expliquant que « ce livre […] n’a perdu ni son intérêt scientifique, ni son efficacité polémique […] la recherche de Charles Le Cœur se veut libre de tout dogmatisme, respectueuse de l’action et des créations de la liberté humaine ; elle impose le respect sacré du fait plus que la domination du concept » (Balandier 1969 : v, x).

Après avoir posé les principaux jalons biographiques saisis, pour l’essentiel, à travers le prisme de son expérience coloniale, nous examinerons une sélection des écrits de Le Cœur qui éclairent la façon dont sa propre situation coloniale, en une période marquée par la crise internationale, façonne ses découvertes. Car sa vie et son travail au Maroc sont étroitement mêlés ; il espère trouver dans la science, nourrie de son expérience, une impulsion vers l’action.

Aussi son œuvre ne peut-elle être facilement cataloguée. Formé par des durkheimiens qui n’ont jamais quitté leurs bibliothèques, il découvre à travers le « conflit des civilisations » colonial une diversité sociale vertigineuse et fascinante à ses yeux. Mais son enseignement auprès des jeunes Marocains le confronte à un mouvement nationaliste moderne qui le perturbe profondément.

Peut-être influencé par son proche ami Raymond Aron – lui-même précocement conscient des intentions d’Hitler – il appréhende ce nouveau nationalisme marocain à travers le prisme

Delasociologieobjectiveàl'action : charles le cœuretlutopismecolonial

des montées concomitantes du nazisme et du stalinisme qui hantent la conscience des jeunes intellectuels de sa génération : toute idéologie d’exclusion n’est-elle pas une menace pour la paix dans le monde ? Comment les découvertes les plus récentes en ethnologie et en sociologie, tournées vers une meilleure compréhension du conflit culturel, peuvent-elles aider le monde à éviter de telles catastrophes et enseigner aux hommes le respect de la diversité ? Ces questions taraudent Le Cœur jusque dans ses publications scientifiques, dans son enseignement et dans son engagement dans le mouvement du scoutisme, faisant émerger les contours de ce que l’on pourrait appeler son colonialisme utopique.

« Si on lisait les sociologues, on n’aurait pas besoin de tant de haine »

Charles Le Cœur, né à Paris en 1903, est le fils non conformiste d’un père strict et brillant, architecte de profession, dont il abandonnera le style de vie. Il a, semble-t-il, plus d’affinités avec d’autres membres de sa famille, fervents républicains, protestants ou libres penseurs ayant tous accompli de prestigieuses carrières dans l’éducation ou l’empire. Son grand-père maternel, Jules Steeg (1836-1898), participa au cabinet de Jules Ferry chargé de mettre en place l’école gratuite, laïque et obligatoire, avant de devenir inspecteur général de l’enseignement primaire et responsable de la direction du Musée pédagogique à Paris, puis inspecteur des études de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses. Son oncle Paul Dupuy (1856-1948), agrégé d’histoire-géographie, est surveillant général à l’École normale supérieure de 1885 à1925 où Le Cœur poursuit ses études.

Un autre de ses oncles, Théodore Steeg (1868-1950), agrégé de philosophie et député puis sénateur au Parlement de 1895 à 1940, est ministre de l’Éducation et ministre de l’Intérieur avant d’être nommé gouverneur général de l’Algérie de 1921 à 1925 ; il devient ensuite Résident général du Maroc de 1925 à 1929, à l’époque où la France lutte encore contre Abd el-Krim. Évoquant l’influence qu’ont eue sur lui ces illustres ascendants, Le Cœur reconnaît se sentir « écartelé entre [ses] deux grands-pères : mon grand-père Le Cœur, libre penseur d’origine catholique, a délibérément, sous le Second Empire, amené sa famille au protestantisme libéral, tandis que mon grand-père Steeg, pasteur protestant libéral, a au contraire entraîné la sienne vers la libre pensée.

Je suis né au point de rencontre de ces deux mouvements en sens contraire (cité in Germain 1945 : 233). Le Cœur tentera toujours de réconcilier des forces opposées : la libre-pensée et la religion, la science et la poésie, les deux France, le Français et le musulman. « Le but de la sociologie, écrira-t-il plus tard, est de faire comprendre aux non-Marocains ce qui, par définition n’est compréhensible

Alice L. Conklin

qu’aux Marocains. Il n’y a pas de science plus paradoxale et plus révolutionnaire » (Le Cœur 1969a : 10).

Après une licence en histoire-géographie, Le Cœur rejoint la promotion 1924 de l’École normale supérieure où il se lie d’amitié avec Raymond Aron et Gabriel Germain, qui continueront par la suite de l’influencer. Attiré par les idées sociologiques développées par Durkheim et Lévy-Bruhl sur la « religion primitive », il prépare un mémoire pour son diplôme d’études supérieures de l’École pratique des hautes études qu’il entreprend sous la direction de Mauss, alors détenteur de la chaire de « Religions des peuples non civilisés » (id. : 1932). Dans cette première recherche consacrée à la famille en Guinée, il découvre deux thèmes qu’il ne cessera de discuter : le concept de mentalité primitive forgé par Lévy-Bruhl lui apparaît défaillant, tout comme il comprend que le matérialisme historique de Marx, en tant que philosophie de l’histoire, ne peut expliquer, et encore moins préserver, la riche variété de cultures qu’il a découverte à l’occasion de sa recherche. Ce premier travail, bibliographique, l’incite à entreprendre une enquête de terrain en Afrique, telle qu’elle est en train de s’institutionnaliser dans le cursus tout juste introduit en France par Marcel Mauss, Paul Rivet, Lucien Lévy-Bruhl et Maurice Delafosse au nouvel Institut d’ethnologie, établi à l’Université de Paris en 1925. En 1928, il échoue à l’agrégation d’histoire-géographie, contrairement à sa femme Marguerite. Grâce à son oncle Théodore Steeg, alors Résident général au Maroc, Le Cœur passe la dernière année de son service militaire dans le Souss, dans le Grand Sud marocain, puis il obtient un poste d’enseignant au collège musulman de Rabat et à l’Institut des hautes études marocaines. Il y élit domicile jusqu’en 1944 avec sa femme Marguerite, qui enseigne au lycée pour jeunes filles. Loin de sa famille immédiate, « il s’y épanouit complètement, dans une de ces unions rares et qui ne se rencontrent guère dans l’Université, où le cœur et l’âme s’exaltent réciproquement » (Dupuy 1948 : 52).

Le Cœur s’intéresse très vite aux combats quotidiens que mènent ses étudiants musulmans issus de la bourgeoisie pour s’adapter aux nouvelles valeurs françaises imposées par le Protectorat ; son statut de professeur lui offre un poste privilégié pour observer et orienter leur rencontre avec l’Occident. À l’époque de la conquête française, presque tous les enfants allaient à l’école coranique pour apprendre les devoirs religieux. Le système d’enseignement français, imposé par la force, ciblait très largement les classes commerçantes traditionnelles, comme les classes urbaines et administratives, dont il espérait transformer les fils (et éventuellement les filles) en élites modernes dociles 4. Dans cette perspective, les premières autorités du Protectorat créèrent deux collèges

Delasociologieobjectiveàl'action : charles le cœuretlutopismecolonial

musulmans, l’un à Rabat et l’autre à Fès, où l’on enseignait une double culture, les humanités musulmanes en arabe et les disciplines modernes en français. Un diplôme spécial d’études secondaires musulmanes sanctionnait la fin du second cycle. Par ailleurs les Français mirent en place des lycées urbains essentiellement mais non exclusivement destinés aux résidents européens, où étaient enseignés les programmes métropolitains standards, le baccalauréat clôturant la scolarité. Le recrutement dans les collèges musulmans fut d’abord difficile, les familles marocaines les boycottant de crainte que les écoles ne fassent du prosélytisme chrétien et ne dispensent une mauvaise instruction en arabe. En 1927, cependant, des membres de la bourgeoisie commencèrent à fréquenter les écoles, tout en demandant qu’une stricte parité avec les lycées soit instaurée et que cessent les insultes raciales trop souvent proférées à leur encontre par les résidents européens. Les autorités capitulèrent et introduisirent le baccalauréat dans les collèges musulmans en 1930, dans l’espoir de tuer dans l’œuf un mouvement nationaliste naissant (Segalla 2009 : 208-209).

Les Le Cœur arrivent donc à un moment très sensible en matière de politique scolaire au Maroc. Nombre de leurs élèves venant de la petite cité commerciale d’Azemmour, située non loin de Rabat, le couple décide non seulement d’apprendre l’arabe, mais aussi, de manière plus singulière, de vivre et de travailler aux côtés d’un métayer (ou khammes) dans une petite ferme à l’extérieur d’Azemmour. Ils souhaitent observer par eux-mêmes la construction sociale de la petite ville et de ses faubourgs agricoles, et son évolution depuis la colonisation française (Marguerite Le Coeur 1969 : 7). Une seconde raison de pratiquer l’ethnographie apparaît en 1930. À la demande de l’Institut International des Langues et des Civilisations Africaines, basé à Londres, Mauss doit nommer deux chercheurs pour entreprendre une recherche de terrain « pendant un an environ […] dans une société africaine quelconque, de préférence de l’ethnographie intensive, suivie de ce que l’on appelle dans cet institut dit scientifique et mi-moral et missionnaire, des conclusions pratiques ». Il sollicite immédiatement Le Cœur :

Comme il ne s’agit que de l’Afrique noire, il y a évidemment pour vous peut-être quelques inconvénients à quitter vos Berbères. Mais comme vous vous destinez vous-même à devenir un africaniste et que je vous y encourage, je me demande s’il ne faut pas passer par-dessus ces inconvénients. Il me semble que c’est d’autre part une de vos idées de travailler des deux côtés du Sahara, méthode profondément juste […] Naturellement dans ces affaires vous prendrez conseil de votre femme 5.

Grâce au soutien de la Fondation Rockefeller, l’Institut a déjà subventionné, côté britannique, plusieurs étudiants diplômés de Bronislaw Malinowski, et subventionnera aussi, côté français, dans

Alice L. Conklin

les années à venir, d’autres étudiants de Mauss comme Denise Paulme, Thérèse Rivière, Germaine Tillion. La Fondation accepte de financer un séjour de dix mois chez les Téda, dans le massif du Tibesti. Au préalable, Charles Le Cœur doit suivre pendant un an, de 1932 à 1933, les séminaires d’anthropologie de Malinowski et C. G Seligman à l’université de Londres, ainsi que des cours de phonétique à la School of Oriental Studies ; cette fois encore, Marguerite Le Cœur accompagne son mari. Quelques mois après avoir fait sa connaissance, le jugement de Malinowski, notoirement autoritaire et cassant, sur Le Cœur, rappelle la profondeur des préjugés qui existaient à l’intérieur même des frontières de l’Europe, comme au-delà :

En ce qui concerne Le Cœur, comme vous le savez, je ne me fais pas d’opinion rapidement et je ne suis guère enthousiaste sur les gens… Il a l’air aufgeweckt [éveillé] et presque intelligent.

Dès que j’irai mieux, je lirai son livre pour me faire une meilleure idée sur lui. Pendant les cours, il est totalement handicapé par le fait qu’il ne comprend ni ne parle anglais… La première chose que je m’apprête à faire est d’essayer de lui faire apprendre l’anglais 6. À l’été 1933, Marguerite et Charles Le Cœur se mettent en route vers leur second terrain de recherche : le massif du Tibesti, dans une région reculée du Tchad, récemment passée sous contrôle colonial français. Le voyage s’avère long et éprouvant. Le premier tronçon de Colomb-Béchar à Niamey se fait relativement vite, grâce à la piste transsaharienne. Ils utilisent ensuite des transports motorisés de Kano à Fort-Lamy où ils arrivent fin décembre. La dernière partie du voyage, des steppes de Fort-Lamy au désert du Tibesti, leur prend six semaines, à dos de chameau.

Le couple atteint enfin sa destination finale en février 1934. Au cours de ce périple, Le Cœur note ses premières impressions sur les Africains et les administrateurs coloniaux dont le couple dépend.

Leur bref passage par Kano (au Nigeria) lui donne aussi l’opportunité de comparer les styles coloniaux anglais et français. Ses carnets de route révèlent non seulement un regard attentif aux détails, mais aussi une conscience aiguë du racisme colonial et un sens certain de l’autodérision.

À Niamey, Le Cœur assiste à « la leçon de gymnastique de l’école » qui s’achève sur « des hymnes patriotiques » entonnés par des jeunes Africains tel « Dans mon pays, je labourais la terre et maintenant je suis soldat français » : « On se croit transporté en 1880 ; c’est tout juste s’il n’y a pas un chant sur l’Alsace-Lorraine. » Il remarque ensuite :

L’impérialisme égalitaire de Gambetta et de Ferry est toujours le maître sur les bords du Niger. Tous les Français, d’ailleurs, lui semblent hostiles. Le commerçant et les petits fonctionnaires qui ont deux bêtes noires : l’Administrateur et le Nègre, ne peuvent souffrir un Noir administrateur, comme un Martiniquais en a donné l’exemple ici. Un adjudant-chef

Delasociologieobjectiveàl'action : charles le cœuretlutopismecolonial

se plaint que Painlevé ait détruit l’armée coloniale en imposant aux Européens de saluer les sous-officiers et les officiers indigènes d’un grade supérieur.

Partout où il va, il consigne le rôle du genre, les modes vestimentaires, les langues parlées et la gestuelle des différents groupes ethniques qu’il rencontre. Son enchantement est palpable : « Ces porteuses d’eau fortes et gracieuses à Niamey évoquent l’idée d’une race intelligente et vigoureuse bien plutôt que de ces esclaves abrutis ou frénétiques qu’imaginent certains ethnographes. » Au bout du compte, malgré tout, le voyage au Niger colonial lui laisse un goût amer : « […] des Blancs

Partout où il va, il consigne le rôle du genre, les modes vestimentaires, les langues parlées et la gestuelle des différents groupes ethniques qu’il rencontre. Son enchantement est palpable : « Ces porteuses d’eau fortes et gracieuses à Niamey évoquent l’idée d’une race intelligente et vigoureuse bien plutôt que de ces esclaves abrutis ou frénétiques qu’imaginent certains ethnographes. » Au bout du compte, malgré tout, le voyage au Niger colonial lui laisse un goût amer : « […] des Blancs

Dans le document 11 Ethnologues en situations coloniales (Page 45-109)

Documents relatifs